Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
 
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 André du Bouchet

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Sigismond
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Sigismond


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MessageSujet: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyLun 23 Nov 2015 - 15:31

André du Bouchet
André du Bouchet Adb_photo_hauteur_col


Biographie:
Spoiler:


Bibliographie pas tout à fait complète:
Spoiler:


Mon avis:
Spoiler:
André du Bouchet Giacometti%20l'inhabite%20I
André du Bouchet, par Alberto Giacometti.
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Sigismond
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyLun 23 Nov 2015 - 15:33

Le moteur blanc
André du Bouchet $_35
(édition originale, 1956)

Débutons ce fil par un écrit assez ancien, peut-être sera-ce moins déroutant (?). Je ne suis pas persuadé, pour ce qui concerne du Bouchet, qu'il faille partir de l'alpha pour parvenir à l'omega, mais ses premières manières me paraissent (on peut bien sûr en discuter) les plus convenables d'entre les portes d'entrées possibles.


Poème d'abord publié à part, en plaquette, accompagné de quelques autres poèmes (si j'ai bien compris, n'ayant pas eu l'honneur de tenir l'édition reproduite ci-dessus en mains).

Il se trouve aujourd'hui inséré dans le Gallimard nrf/poésie intitulé "Dans la chaleur vacante suivi de Ou le soleil".

Un mot sur la forme, quinze chapitres (? peut-être pas quand même), ou chants, ou parties, ou strophes, ou plus simplement pages, d'inégales longueurs.
Numéroté(e)s en chiffres romains, chacun(e) occupe une page, sauf I qui en occupe deux.
Mais une page peut ne comporter qu'une phrase (vers ?).
Par exemple la III:
III a écrit:
.                                       Mon récit sera la branche noire
qui fait un coude dans le ciel
NB: le point "." au début est ajouté par mes soins pour raison d'alignement et ne figure pas dans le texte !

Au début des années 1950 déjà André du Bouchet laisse ces blancs, écrins plutôt que contours enjoliveurs, et ces dispositions typographiques assez malaisées à reproduire en format message de forum (même si, oui je sais, le scanner comme l'appareil photo sont inventés...).  
Oui, c'est par facilité de message donc, je ne m'en cache pas, que les passages cités le sont, choisis par commodité de reproduction, ce ne sont pas nécessairement ceux que je considère comme l'acmé du poème.

Dans ce VI, marcher, réuni au feu, dans le papier vague confondu avec l'air m'évoque immanquablement une cigarette allumée. Tout y est: papier, feu, faire corps avec l'homme. L'équivoque n'est pas loin. Je ne vais pas plus loin que mon papier...tiens, ne passe-t-on pas plutôt au papier support à l'écriture ? Mon papier évoque aussi le solide, sûr pour l'homme. Ce qui sépare l'homme du feu (je ne me départis pas, pour cet extrait, de l'image de la cigarette). Le "il" de "il comble un ravin" se rapporte bien entendu au feu. Splendide façon, parce que dérisoire, de s'y mesurer "nous sommes presque à égalité. A mi-genoux dans les pierres." comme s'il y avait rencontre, match.
VI a écrit:
Je marche, réuni au feu, dans le papier vague confondu avec l'air, la terre désamorcée. Je prête mon bras au vent.

Je ne vais pas plus loin que mon papier. Très loin au-devant de moi, il comble un ravin. Un peu plus loin dans le champ, nous sommes presque à égalité. A mi-genoux dans les pierres.

A côté, on parle de plaie, on parle d'un arbre. Je me reconnais. Pour ne pas être fou. Pour que mes yeux ne deviennent pas aussi faibles que la terre.  

Jeu des "comme" analogiques dans ce XIII, pour qualifier le feu. Le regard est attiré par le "et" (violemment heurté), dont le sens n'est à l'évidence pas "est", ce qui peut échapper à la diction. Le feu est, en principe, mouvement. Et la terre, immobilité. Là il y a interversion, la terre, telle un animal ou un humain, relève sa tête, est animée; le feu, lui, est un mur doublement (triplement, je pense, rapport au "et") qualifié. Qui a déjà vu un feu figé, "pétrifié" ? Mais là il s'agit de ressenti, de donner à voir.

Le feu encore, "comme" analogique et la renonciation à nommer, ce qui, pour un poète, pose là, et l'on ne peut nourrir l'équivoque: "auquel" montre clairement que ce renoncement se rapporte au "feu" et non à la "main ouverte". Et l'explicative (ou justificative) sentence finale, avançant la proximité, indique un recul "la réalité" comme recul. Ou un retour peut-être. Une séparation en tous cas d'avec le feu. Point de tension extrême du poème (ledit "moteur blanc" du titre qualifie bien sûr le feu), mais aussi intéressante limite jetée à son art: la renonciation "à donner un nom" porte sur le feu tel qu'il se donne à voir/écrire là, en cette occurrence précise de cette strophe, ce feu-là et pas celui de la page précédente ni de la page suivante. La clef en est le trop près, l'absence de recul, la non-immixtion du réel: cela permet de pressentir aussi l'immense fossé théorique et pratique qui sépare sa poésie de l'art des surréalistes, et de nombre de ses contemporains des années 1950.

XIII a écrit:
Ce feu, comme un mur lisse en prolongement vertical de l'autre et violemment heurté jusqu'au faîte où il nous aveugle, comme un mur que je ne laisse pas se pétrifier.

La terre relève sa tête sévère.

Ce feu comme une main ouverte auquel je renonce à donner un nom. Si la réalité est venue entre nous comme un coin et nous a séparés, c'est que j'étais trop près de cette chaleur, de ce feu.

C'est là, pour la qualification poétique du feu, pour montrer mieux cette impossibilité en XIII, en tous cas ce domaine ou du Bouchet ne se risque pas à qualifier, qu'il convient de revenir à I (désolé, je vais estropier, et vous engage à aller à la mise en page de l'éditeur)

I a écrit:


J'ai vite enlevé
cette espèce de pansement arbitraire

je me suis retrouvé
libre
et sans espoir

comme un fagot
ou une pierre

je rayonne

avec la chaleur de la pierre

qui ressemble à du froid
contre le corps du champ

mais je connais la chaleur et le frois

la membrure du feu

dont je vois
la tête

les membres blancs.

et aussi à II:

II, extrait, début a écrit:
Le feu perce en plusieurs points le côté sourd du ciel, le côté que je n'avais jamais vu [...]

Ceci pour bien appréhender le renoncement à qualifier en XIII.

Sautons allègrement à la somptueuse finale, lâchez prise, si vous voulez bien me pardonner mes excès de vivisection en matière de postage sur les fils Poésie, je rends grâce là,  je m'efface devant une telle chute du poème (quiconque a jamais tenté d'aligner quelques mots sait...).

Fin du poème, à la fois prise de possession humanisée après un grand incendie et, je veux l'y voir, une forme apaisée. Poème non conclu sur du brutal. La texture sonore (voyez ces allitérations en consonnes !!!) est un rendu magnifique; le feu-moteur. Bâti musical, sonore, du texte, apogée finale, échos. Notez, notons, les apodoses vis-à-vis des protases !

Oui, le vers dit libre (vous aurez compris que je n'aime pas ce qualificatif rapporté au vers, quand je dis que je n'aime pas, je ne suis pas loin de la détestation) a son apport sonore (et/ou de diction), dans une strophe telle que la strophe finale.

Et, corollaire évident mais davantage généraliste, bien sûr que la poésie dite moderne n'est pas dans une impasse, on peut brandir de telles entreprises poétiques en étendard, enfin, je veux le croire, elle n'est pas inaccessible (la preuve) ni ne se nimbe en hautes sphères éthérées...

XV a écrit:

Ce qui demeure après le feu, ce sont les pierres disqualifiées, les pierres froides, la monnaie de cendre dans le champ.

Il y a encore la carrosserie de l'écume qui cliquette comme si elle rejaillissait de l'arbre ancré dans la terre aux ongles cassés, cette tête qui émerge et s'ordonne, et le silence qui nous réclame comme un grand champ.
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyLun 23 Nov 2015 - 22:49

le rapport au pictural me titille mais je ne suis pas sûr d'être bien réceptif ces temps-ci...

sinon paramétrage d'un raccourci clavier pour l'espace insécable ? (chose que je n'ai pas refaite d'ailleurs).
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyMer 25 Nov 2015 - 23:33

Sigismond a écrit:


XV a écrit:

Ce qui demeure après le feu, ce sont les pierres disqualifiées, les pierres froides, la monnaie de cendre dans le champ.

Il y a encore la carrosserie de l'écume qui cliquette comme si elle rejaillissait de l'arbre ancré dans la terre aux ongles cassés, cette tête qui émerge et s'ordonne, et le silence qui nous réclame comme un grand champ.

Belles sonorités c'est vrai, ça donne envie de croquer dans de la terre !
Pour tout ce que tu as écris par ailleurs, je reste coite d'admiration et d'incompréhension content
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyDim 29 Nov 2015 - 20:21

animal a écrit:
paramétrage d'un raccourci clavier pour l'espace insécable ? (chose que je n'ai pas refaite d'ailleurs).
Je te remercie de suggérer quelque chose qui doit être bien, mais ces mots me sont énigmatiques, manière de dire que je n'y comprends rien scratch .
Si tu as quelque possibilités traductrices en langue béotienne Laughing ?

Je tente ci-dessous le coup avec quelque chose de délicat, difficile à paginer en format message de forum, luzerne.
colimasson a écrit:
Pour tout ce que tu as écris par ailleurs, je reste coite d'admiration et d'incompréhension content
Alors admiration, pour du Bouchet tu peux, pour l'incompréhension je vais tenter de faire mieux à l'avenir, sans doute mes élucubrations ont leur obscurité, qui constitue mes limites, et sans doute ai-je ma part de maladresse expressive:
Tel un cancre abonné au coin et au bonnet d'âne, je dis que je ferai mieux la prochaine fois, ne voyant pas pour l'heure comment tenir un tel engagement dentsblanches !




Avec luzerne (sans majuscule), recueil: Ici en deux, on le trouve dans le poésie/nrf Gallimard "L'ajour", nous faisons un grand bond par-dessus les années, par rapport au moteur blanc.

Le poème tend vers l'art pictural abstrait.

Il occupe cinq pages, pagination impossible à restituer ici (du moins n'en ai-je pas trouvé le moyen). De surcroît il faudrait que chaque ligne fût alignée au centre, certes ceci est facile, mais, en plus, qu'elles fussent alignées entre elles et non chacune centrée: j'ai donc préféré les laisser alignées entre elles (à gauche) plutôt que centrées (arbitrage personnel après essai).


De prime abord, ces mots semblent ou hâtivement jetés, ou, plus sûrement, paraissent constituer des bribes, des fragments.
On ne perçoit guère de sens.
Peut-être semblables à des bouts phrasés, tels des échos colportés par des vents, qui nous parviennent sans queue ni tête, au hasard, au gré des rafales.

Mais cela ne résiste pas à l'examen. D'abord les proportions traduisent une justesse d'ordonnancement, contenue par des points ".".

les points isolés, qui suivent toujours un autre point final à un vers rompu (ou, peut-être plutôt, vers disposé sur plusieurs lignes, en général trois), semblent être un clou, une pointe dirai-je pour mieux traduire via la similarité point/pointe, accrochant les mots en-dessous à quelque support.

Une manière de disposer, mais sans patchwork, chacune des ces parties (appelons-les strophes, ou vers) étant nettement l'une en dessous de l'autre, indiquant sans équivoque un sens de lecture et de diction.


Mais, c'est une impression curieuse non corroborée par le rendu formel, peut-être de l'ordre syntagmatique (? quels sont vos ressentis, amis Parfumés ?), ce poème formellement si équilibré traduit du déséquilibre.
Peut-être (sans doute même) les "sans avoir pied", les "perdu", les "la brusquerie debout" etc..., judicieusement placés...

Restons dans le factuel:
Le poète, en tant que personne, a sa centralité: no commence-t-on pas par un Étant là, suivi de j'ai débordé, suivi des vers ou strophes:

J'aime
la hauteur qu'en te parlant
j'ai prise
sans avoir


pied.

Mots

en avant de moi
la blancheur de l'inconnu

je les place
est


amicale.


Etc...
A la diction se révèle un rythme général, plus ou moins constant, confirmant une unité, un liant commun. Ceci est d'autant plus flagrant si l'on se propose de respecter les blancs en "espace de résonance" des mots (ainsi que je le disais en avis perso dans le message d'introduction du fil), comme une sur-ponctuation, ou même (jouons sur les mots) une super-ponctuation.  

Notez encore les éléments bruts, déjà repérés dans Le moteur blanc (feu, air, montagne, etc...), peut-être une clef explicative de ceux-ci, quasi omniprésents dans les poèmes de du Bouchet, se situe aux premiers vers du poème Un jour de plus augmenté d'un jour, si vous m'autorisez à hasarder une hypothèse personnelle de plus, manière de travail sans filet:

Préserver pour perdre en bloc.  Demeure le bloc.   Bloc
perdu.



Bloc, un jour, à ses propres yeux soustrait.


Hypothèse: le bloc est la matière à façonner, le poème projeté. L'élément brut du poète par excellence. Remplaçons bloc par poème dans les deux vers ci-dessus, et nous avons ce rapport au matériau brut, pour lui-même, qui vient si bien interférer que le poète ne l'atourne pas, ne façonne qu'à minima, se contentant de restituer la proposition verbale en ce qu'elle a de plus brut, conscient que c'est ainsi qu'elle véhicule le plus.

 










luzerne













Étant là


membres
ou
mots


mais sur un bras
j'ai débordé


comme le vent.



.

J'aime
la hauteur qu'en te parlant
j'ai prise
sans avoir


pied.









.

Mots

en avant de moi
la blancheur de l'inconnu

je les place
est


amicale.









.


Comme élargi au-delà de sa
langue
respirer



perdu.








.

Pour toi
          comme la neige

avant qu'il ait neigé.








.

Montagne


que je ramène
à moi



pour passer dehors.







.

J'ai dormi
dans l'épaisseur du battant.








.

Pas d'air
qui ne soit rompu


et

air venir


scinder.








.

Feu

sans la pesanteur
du froid
de ce qui reste à brûler.








.


Que
reste dans ma vertèbre
la brusquerie


debout.
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyDim 29 Nov 2015 - 21:00

dans windows tu peux essayer Ctrl + Maj + Espace (ça doit marcher dans word mais ailleurs ?).
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ArturoBandini
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptySam 26 Déc 2015 - 18:39

Merci pour l'ouverture du fil et la découverte. Je vais lire ça, même si a priori ce n'est pas trop mon domaine poétique de prédilection.
Continue de nous régaler, c'est toujours un plaisir de te lire. bonjour
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Sigismond
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyVen 25 Mar 2016 - 21:41

animal a écrit:
dans windows tu peux essayer Ctrl + Maj + Espace (ça doit marcher dans word mais ailleurs ?).
bonjour Merci cher Panda pour l'[ani]mal que tu te donnes, mais je vais continuer mes petits copiages "ne rendant pas compte", mais peut-être donneront-ils envie à quelques-uns d'entre ceux qui tomberont sur ces lignes d'aller voir aux pages imprimées ?

Dans son dernier recueil de poèmes, qu'on ne saurait recommander sinon très chaleureusement (Tumulte, 2001, paru chez Fata Morgana), André du Bouchet, qui confessait dix ans plus tôt craindre avoir trop écrit, nous livre encore et toujours quelque art marquant, ainsi ce "de part en part l'écho".
Poème que je trouve absolument remarquable, du Bouchet complètement au sommet de son art, et que j'aimerai partager avec vous tout en osant solliciter votre indulgence pour le commentaire, qui ne saurait être à la hauteur d'un tel chef-d'œuvre de la poésie francophone du XXIème siècle, alors naissant.




Très difficile à reproduire, il s'étend sur dix pages dont une pour le titre à lui seul, qui s'enchaîne de surcroît sur une page entièrement blanche.
Il n'y a ni majuscule, ni ponctuation.
Lorsque je mets un point ".", c'est aux fins de justifier le texte, pour raisons d'alignement sur la page imprimée du livre.
J'indique chaque fin de page / nouvelle page par ".../...".  








de part en part
l'écho




.../...






.../...




jusqu'à l'air
qu'
.           avoir vu


irrite




air équarri


racle


tu peux



.../...






à la porte



a
brûlé l'ortie sans fleur







.../...



montagne





maison sourde




d'où
pierre alors et
la pierre



s'est détachée




.../...



.                           pierre accueillant
ce qui approche peut faire un pas













.../...








pour quel perclus
alors




dans le bleu
comme en tous sens et sous un pas
.                              le bleu tournant





aujourd'hui le jour



.../...








je ne logerai pas
dans
.         l'écho









.../...






happe


.            espace






happe






.../...






.               dans le
brouhaha



frères fantômes






.                      le
brouhaha
frères silencieux








.../...




Spoiler:


Dans le phénomène acoustique de l'écho, l'émetteur n'a plus le contrôle du son émis, celui-ci lui revient, déformé, parfois jusqu'à l'amplification du son initial et, lorsque plusieurs sons ou échos s'entremêlent, on entre dans le phénomène cacophonique ou plus rarement euphonique de la réverbération.  

L'écho, son qui échappe et hante son auteur, ainsi que tous ceux qui se trouvent à portée d'oreille. Qui a sa brièveté, sa longueur, son existence propre et qui s'impose, effectivement, de part en part: mais pour qu'il y ait ce de part en part, il faut qu'il y ait traversée [de l'espace et du temps], ce que suggère tout à fait le phénomène.

Nous avons jeu de renvoi, l'émetteur compte aussi parmi les récepteurs de l'émission (poète/émetteur, poète et lecteur/récepteur).

Tout l'art suis-je tenté d'écrire, en tous cas un point absolument remarquable de ce poème-ci est de suggérer ce jeu de renvoi imparfait, atténué ou amplifié, long ou bref, propagation de l'émis verbal laissant accroire qu'il échappe à l'émetteur.

Nous ne sommes pas dans une liturgie du chantre et du répons, mais dans l'émission par définition [de l'écho] peu contrôlée.
Certes l'émetteur dresse les parts en parts, disposant ainsi les endroits où il espère que le verbe va buter avant de partir vers d'autres azimuts, comme mû d'une vie propre.

On en aperçoit d'emblée, dès l'ouverture du poème, de ces parts en parts:


jusqu'à l'air
qu'
.           avoir vu


et


air équarri


Allitérations: avoir vu susurre le vent, "air" "à" "là" "équarri" comme un va-et-vient râpeux.
Le tu peux est-il auto-adressé, ou bien l'est-il à nous, lecteurs (et potentiels auditeurs de l'écho) ? Au deux je pense, et ce tu peux est de l'ordre de la capacité à..., non de celui du sauf-conduit.

L'air, concrètement le vent, conducteur de l'écho, est équarri. Rendu carré. Travaillé, contraint. Mais l'air, le vent-colporteur, ou haut-parleur n'est pas que matière sur laquelle il a été agi: voyez, il irrite. A, lui aussi, son action propre qui s'impose. Au reste lui aussi équarrit: voyez, il racle...  

Déjà deux temps (passé composé, puis présent, puis présent) dans la première page, les temps de conjugaison participent au mouvement-écho-de-part-en-part, à l'effet poétique si vous voulez.
Continuons le poème, ça donne présent, passé composé, présent, passé composé, présent, [sans verbe], futur, impératif, impératif, [sans verbe].

Un tel apparent méli-mélo est en fait très ordonné et donne un effet de répercussion, de l'ordre de l'écho donc, on remarque l'emploi de l'impératif à l'acmé du poème, et le futur employé pour le seul verbe conjugué au "je", sûrement pas un hasard tout cela !

Les renvois, les part-en-part d'écho se disposent tantôt subtilement, tantôt d'évidence. Tout l'art du dosage du poète. Les noms de choses renvoient ou bien à la matière; air, porte, ortie sans fleur, montagne, maison, pierre, pierre, pierre...
Et sont autant de parois sur lesquelles va jouer l'écho.
Ou bien, plus rarement, ces noms de choses participent à la kinéstésie du vent/air, colporteur, porte-écho: air (double jeu de l'air !), pas, bleu, jour, l'écho, espace, brouhaha.
Mais l'air est davantage qu'un portage par ondes, c'est éloquence de l'écho.

Tandis que les verbes impriment en général la dynamique -en général parce qu'excepté le avoir vu, ce tu peux dont nous venons de parler, auxquels j'ajoute je ne logerai pas: irrite, racle, a brûlé, s'est détachée, ce qui approche, happe, happe.

Page 2 nous avons le renvoi, le part-en-part du "tu peux", c'est la porte.  Le seuil, l'ouverture d'entrée ou de sortie, j'incline pour sortie en l'occurrence. Reste l'ortie (urticante, paroi-écho à "irrite" ? et sa fleur absente, l'inflorescence mâle peut-être surtout, lesquelles fleurs mâles "se détendent soudainement lors de la fécondation et répandent un nuage de pollen sur les fleurs femelles" (wikipedia), forme d'écho, mais en l'occurrence anéanti, ou castré.

"à la porte"-voix ? "a brûlé l'ortie" ce qui peut s'entendre de deux façons: ou bien l'ortie a consumé, ou bien l'on s'est brûlé à son contact. Il est, bien sûr, moins important de trancher pour un point de vue ou l'autre, que considérer -forme d'écho ?- qu'il puisse y en avoir deux.


La page suivante est très visuelle: "où montagne [...] s'est détachée". La maison est faire de pierre de la montagne (situées donc dans le champ de propagation de l'écho tant qu'elles sont dans la montagne) et qui, agglomérées en mur, claquemurent le clos de la maison "sourde" parce qu'étanchéifiée aux sons de l'écho. La pierre "s'est détachée" du mur pour revenir à la montagne, ou de la montagne pour devenir constituant du mur ? Toujours cette dualité des possibles, échos...

"pierre accueillant / ce qui approche peut faire un pas" c'est évidemment la pierre du seuil - renvoi-écho à la porte.

Ensuite, "pour quel perclus [...] aujourd'hui le jour". Page importante, entrée de la couleur. Bleu de l'azur, de l'ombre aussi "sous un pas" bleu partout (celui de la nuit) bleu environnant donc "en tous sens". Bleu du jour et bleu de la nuit. "aujourd'hui le jour".

Basculement page suivante: "je ne logerai pas dans l'écho". La métaphore peut être interprétée ainsi: nous sommes des émetteurs, qui larguons nos sons, nos arts, nos propos à l'écho, qui déformera, multipliera et renverra.

Loger dans l'écho, pour le poète non loin du terme de sa vie lorsqu'il compose "de part en part l'écho", se rapporte à son œuvre et sa postérité, thème artistique récurrent -songeons aux "lais" de François Villon et à tous ceux qui se sont interrogés sur l'aspect survie de l'œuvre après le trépas de son créateur, vaste thème.

Si c'est l'incontrôlable écho, il y a un aspect de non-maîtrise, total, et aussi un moment où l'écho prendra fin. L'écho ne grave pas dans le marbre.

Ce que suggère la page suivante (que je qualifiais, plus haut, d'acmé du poème) "happe espace happe": magnifique épure, tournemain poétique. Vraiment ce "happe espace happe" à peu près allitératif en ap-pa, "e" presque muets, mais pas tout à fait et c'est important, à la fin des deux "happe" et d'"espace" suggère dans la digestion du son, soluble dans l'air, que le continuum via l'écho à travers ces "e" finaux, le terme du milieu "espace" commençant sur un "e" marqué, inverse le "ap" en "pa" (écho) et finit sur un "e" qu'on peut finir de susurrer sur le"hap" qui suit, qui se finira par le même "e"...Je suis époustouflé, bouche bée, devant tant de maestria, comment faire autant en juste trois mots ?  

L'écho happe, avale, ingère et restitue in fine du silence, celui de l'air (du vent ?) et non pas le bruit de hommes.

C'est tout le sens de la chute du poème - la dernière page.Encore un terme de choix "brouhaha", mot à lâcher dans le vent, suggestion d'écho à lui seul par son "ha" doublé.
Les "frères", fantômes ou silencieux, c'est bien sûr nous tous, l'humanité présente (on note, est-ce important je ne sais, que frères renvoie à une notion certaine de fraternité humaine), "fantômes" pour l'humanité passée, cette dernière hante encore (donc dont leur présence revient, portée par l'écho) - le "silencieux" ne fait pas écho, ne participe pas au "brouhaha" - "brouhaha" est antinomique de "silencieux" (judicieusement juxtaposés par du Bouchet, ces deux termes).

Or "silencieux" conclut le poème, et c'est bien sûr sur du silencieux que s'achève l'écho...
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Sigismond
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyLun 22 Aoû 2016 - 21:45

Deux traces vertes

André du Bouchet 520716852
Pierre Tal-Coat, Dans le pré

Au détour de la

route — sorties de la route — deux traces de roue dans les terres.en novembre deux traces vertes  — plus vertes que le vert aujourd’hui de la première levée des semis d’hiver.             mais tranchant, là, sur le vert léger étale, ce qui sur cette trace a pu lever l’emporte sur les traces. deux parallèles parties vers le haut se recoupent où le souvenir du tracteur dont les roues sur leur demi-tour auront, en tassant le sol, suscité le surcroît de couleur s’efface dans le versant monochrome.


du regard, là-dessus, plus d'une fois l'un ou l'autre passant se sera arrêté.

plus haut, le vert est retranché du vert.



                                                                                     
ici, vert a traversé une trace.



du regard,
dès qu'il perce - comme le vert dans la trace se défalquera
le bloc meuble de la tête qui l'a véhiculé.     regard qui
jusqu'à transparence porte, et pour l'y perdre avec soi, l'opacité
de son vis-à-vis de même que celle de sa propre face
perpétuellement franchie.





bloc aveugle.




dès lors que je fais mien ce que j'entrevois à l'égal de ce
qui aura disparu,
je ne m'immobilise pas sur une trace

me retrouvant aujourd'hui avec l'herbe, et du côté du tracteur
ayant quitté les champs autant que de la trace.




sur les pentes
qu'elle départage, à chaque coup d''œil, le lacet de la route
lui-même fraction d'une route arrêtée dans la route, et cette
route, par intermittence, elle aussi perdue.







terre en suspens et ciel l'un et l'autre dans l'accentuation de
leur roulement scindés tour à tour puis confondus, lorsque
l'attention qui, de son côté, peut distraire se voit, dans
l'instant où elle se précise, absorbée presque aussitôt.






la route laisse sur ce qui en avant de soi reste ouvert,
de même qu'à nouveau dans le vert le surcroît vert.





rien ne manque quand tout a disparu.           choses,
lorsqu'elles reviennent, quelque chose déjà commence à manquer.




le sol
qu'on a eu sous le pied, seul tout à coup - sur un élargissement
de l'attention dans l'instant où, semble-t-il, elle se dissipe - à
se voir lui-même porté en direction du point où, vert ne
tranchant plus sur le vert, toutes les absences se trouvent
abrogées ou suspendues.




trace non vestige, trace toujours à tracer.



espace au-devant,
l'espace non moins en soi qu'ouvert à nouveau,
c'est sur le versant ou sur une arête que, s'il se peut, par ins-
tants on se tiendra.



si voir
a voulu dire du plus loin faire retour à soi, et se trouver au
plus loin de nouveau, moi-même ne discernant où je puis être
que par à-coups, je me découvre, d'un instant à l'autre, au plus
près, également, de ce qui n'est pas là, et, sur matière de
route sans mémoire, à la place des disparus.



- "je ne pourrais pas vivre dans un pays où il n'y a pas de
silex".





-"là, Pierre émerge dans les terres lavées par l'orage jus-
qu'à la coupure de l'horizon, comme à la paume de la main
s'ajustera le temps, sur son tranchant l'amande de silex".





1991

















Quelques élucubrations à partager, juste une facette ou deux sur lesquelles je cogne ma lanterne tout en croyant éclairer:
Spoiler:
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyMar 23 Aoû 2016 - 9:58

J'ajoute, petitement, ne connaissant pas André du Bouchet, que Josef Winkler le cite en exergue à Sur la rive du Gange avec ces mots :

"Mon récit sera la branche noire
qui fait un coude dans le ciel."

de quoi s'arrêter un instant.

Merci Sigismond pour ce fil passionné !
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet EmptyVen 26 Aoû 2016 - 10:59

bonjour Shanidar, tiens, c'est rigolo, je cite justement ce (ces ?) vers dans mon commentaire du "Moteur blanc", un peu plus haut sur cette page !

Allons-y pour une autre, j'en profite pour la suggérer si l'on cherche à illustrer la photo du portail, un de ces mois futurs, il s'agit d'une espèce de faux aphorisme, qui entame le poème Hauts-de-Bülh (NB: référence à Michel Leiris Wink ) , 1981:

Citation :
Trouver distance sur la page, c'est recevoir ce qu'elle a donné.
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MessageSujet: Re: André du Bouchet   André du Bouchet Empty

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