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| | Jean-Aubert Loranger | |
| | Auteur | Message |
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jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 42
| Sujet: Jean-Aubert Loranger Jeu 25 Fév 2016 - 8:41 | |
| Jean-Aubert Loranger (1896-1942) était le petit-fils de Philippe Aubert de Gaspé qui avait écrit les Anciens Canadiens. Poète en prose, il a laissé une oeuvre modeste mais tout de même talentueuse. Influencé par Saint-John-Perse, Jean-Aubert Loranger a en outre participé à la brève revue Le Nigog (1919) en plus d'être un journaliste. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 42
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Jeu 25 Fév 2016 - 9:52 | |
| Les atmosphères suivi de Poëmes (2004) : Dans l'édition que j'ai lue, il est possible de lire une analyse du spécialiste de la poésie en prose québécoise, Luc Bonenfant. Sachons tout d'abord qu' Atmosphères fut publié en 1920 au sortir de l'aventure du Nigog. Jean-Aubert Loranger y fait montre d'un talent manifeste pour le maniement des motifs poétiques. Il est possible de lire une édition du recueil ici : http://www.poesies.net/jeanaubertloranger.html Comme première révélation, je note ce passage : - Jean-Aubert Loranger, Les atmosphères suivi de Les poëmes, 2004, Québec : Nota bene, coll. «Prose et poésie», p. 30. a écrit:
- Le souvenir des hivers lui vint avec l’ennui, et
l’atmosphère de sa dernière transformation perdit graduellement de sa teinte, il y eut du blanc dans la tête de l’homme, du blanc mou qui venait de partout. Je note ici l'importance du motif et la description d'un état mental qui s'y fusionne pour former un élément métaphysique à la quête esquissée. Concernant la notion du motif, j'en retrouve un autre à la page 40-41 : - Ibid., p. 40-41. a écrit:
- LES HOMMES QUI PASSENT emportent la rue avec eux.
Chacun, qui la porte, la pense dans une pensée différente, comme il y marche où il veut.
La foule fait dans la rue un dessin obscur de taches mouvantes.
La rue distraite se disperse et s’éparpille dans chaque mouvement de chaque homme. Une troupe de soldats entre soudain dans la rue, et le tambour noue le rythme uniforme des hommes qui le suivent.
Le tambour avance et grandit, et ses ronrons grignotent petit-à-petit tous les bruits de la rue.
Le tambour devient toute la rue, les hommes qui passent l’écoutent et l’entendent de leurs jambes qui marquent la syncope en saccades.
La rue se concentre et se retrouve, la rue marque le pas du tambour, elle s’accorde et se pénètre.
Les hommes qui passent ont tous le même pas, et remettent, à grands coups de pieds sur le pavé, la pensée qu’ils avaient de la rue.
Le tambour est toute la rue.
LA RUE EXISTE. J'ai surligné en gras le motif du tambour qui prend toute la place pour se fusionner avec les éléments de la rue. Dans «Le vagabond», je note un passage en prose fort instructif sur la démarche de Jean-Aubert Loranger et sa façon d'appréhender la description poétique : - Ibid., p. 54-55. a écrit:
- Ses bras se balançaient dans le rythme de ses
jambes, et il marchait d’une allure que soutenait le désir d’atteindre au village suivant de la route, à la nuit.
L’homme marchait sur la route.
De chaque côté de lui, c’étaient deux paysages qui tournaient lentement sur eux-mêmes, comme sur un pivot ; c’étaient au loin, des arbres et des buissons qui se déplaçaient.
Les poteaux du télégraphe qui flanquaient son chemin, et qui l’indiquaient, là-bas, comme une rampe, venaient à lui en de grandes et lentes enjambées, et ils s’additionnaient en une solution énorme et lointaine qui ajoutait à la fatigue qu’il commençait de ressentir. Ce dernier passage m'avait frappé. J'en étais quitte pour voir la poésie versifiée de Jean-Aubert Loranger avec un regard neuf. Néanmoins, comme tout n'est pas cuit dans le bec, je vous livre ces notes brumeuses : - Ibid., p. 75-76 a écrit:
- Le Brouillard.
I Le brouillard solidifie l’air Et nous recouvre, sans issue, En d’oppressantes voûtes froides.
La distance qu’on a vu croître, Et que mesurait le sillage, Vient de sombrer au bout des yeux,
Et le bastingage a marqué Le rond-point qu’assiège en exergue, L’inutile espace insondable.
II Je sais que d’autres paquebots, Dissimulés dans le brouillard, Sortent du golfe vers la mer.
Et du fond de l’espace, j’écoute Leurs graves cris alternatifs Monter dans le ciel obscurci.
Et dans ce triste et froid matin, Par delà l’opaque brouillard, J’entends, aux confins du pays,
Lancer, aux steamers de l’exil, L’inutile appel éploré Des sirènes d’un sémaphore. Cette première poésie plutôt formée allait bientôt laisser place à une poésie entrecoupée sur deux pages qui respire encore davantage (je vous montre une seule page sur deux) : - Ibid., p. 75. a écrit:
- III
L’horloge cogne sur le silence Et le cloue, par petits coups, À mon immobilité.
Rien n’est plus de l’extérieur, Ici, que la nuit d’ailleurs, La nuit dans le corridor Où ma lampe allume L’espace ouvert d’une porte. Maintenant, je vous montre une pièce sur deux pages : - Ibid., p. 93-94. a écrit:
- VII
La poussière est sur la route Une cendre chaude Où ma marche s’enregistre. -Au pied des grands arbres, L’ombre est endormie en rond.
Le soleil chauffe la plaine, L’air chante, là-haut, Dans les fils télégraphiques. -Comme une eau qui bout, L’air chante sous le soleil. Comme il est beaucoup question de nature dans le recueil, je vous propose un espace intermédiaire - le parc : - Ibid., p. 138-139. a écrit:
- Le Parc.
Au parc où jouait mon enfance, Un malade comptait ses pas Soutenu par deux belles femmes.
Dans l’allée plus longue que lui, Dans une allée jusqu’à sa mort.
Ce fut là, autour d’un kiosque, L’avenir à jamais nié, Et le bonheur tenant pour nous Dans l’équilibre des cerceaux.
L’eau jaillit par bonds du bassin, Ne dirait-on pas qu’il y tombe Des pierres à courts intervalles.
Un homme, chaque fois qu’il pense, Pose ses yeux sur le jet d’eau.
Un grand parasol de cristal S’ouvre dans l’air et se referme À chaque envolée du jet d’eau.
Les arbres ont beau prononcer Encore le serment tutélaire, Le passe vieilli et ridé Tremblote sur l’eau du bassin.
La vie s’est recroquevillée Avec les feuilles automnales. Or, ce fut le soir sur les bancs Tièdes encore de soleil ; Aux lèvres, la rosée déjà.
L’homme qui regardait le jet d’eau Entendit l’ombre murmurer Des phrases qu’il reconnaissait Appartenant à sa mémoire.
Des vers bien comptés, lents et chers, Comme les pas du grand malade, Dans une allée jusqu’à sa mort.
Alors, seulement, il comprit.
Pour pleurer, ce ne fut pas trop, De l’ombre amassée en le coin Le plus obscur du parc ancien. La figure du passeur et «Les vieilles rames» semblent structurer le projet poétique du recueil. Il m'avait semblé en lisant le recueil qu'il s'approchait beaucoup de l'univers et de la sensibilité garnéliennes. «Les vieilles rames» offrent une perspective inédite qui donnerait peut-être un nouveau éclairage aux motifs esquissés dans l'oeuvre de Saint-Denys Garneau.
Dernière édition par jack-hubert bukowski le Ven 26 Fév 2016 - 6:17, édité 1 fois | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Jeu 25 Fév 2016 - 14:09 | |
| ça change de d'habitude ! pas la même génération non plus c'est vrai (moins de je-je-je-je et de soupirs existentiels ?). ça me rappelle un peu Ramuz. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 42
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Ven 26 Fév 2016 - 6:18 | |
| Né à la bonne époque, Animal...? | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Ven 26 Fév 2016 - 12:02 | |
| la différence ce ne doit pas être qu'une question d'époque. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 42
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Sam 27 Fév 2016 - 10:24 | |
| La différence, Animal, c'est que je te le disais avec le sourire en coin. Donc, pour la différence... Jean-Aubert Loranger et Hector de Saint-Denys Garneau ont été des acteurs privilégiés au coeur de leur époque. Ils étaient «bien nés» et ils ont tout de même tendu le flambeau encore plus haut. Je dirais qu'il s'agit des meilleurs poètes dans les périodes à lesquelles ils ont évolué...
Dans l'ordre, il y a Crémazie, Fréchette, Nelligan, Loranger, Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Gaston Miron, Michel Beaulieu, Patrice Desbiens... j'en escamote certains, dont Alfred Desrochers que je compte lire après avoir lu Loranger avec grand enthousiasme. J'aurais pu le lire il y a un an ou deux, mais je n'étais pas encore rendu... là que c'est fait, je rattrape le temps perdu. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 42
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Lun 29 Fév 2016 - 9:15 | |
| Suite à ma lecture du recueil poétique À l'ombre de l'Orford d' Alfred Desrochers, je suis confirmé dans l'intuition selon laquelle Jean-Aubert Loranger convient mieux à mes sensibilités de lecteur. Vous avez la chance d'avoir la majeure partie des Atmosphères en ligne. Je continue avec un extrait, celui qui ouvre «Le retour de l'enfant prodigue» : - Ibid., p. 115-117. a écrit:
- Le Retour De L’Enfant Prodigue.
Au docteur René Pacaud.
I Ouvrez cette porte où je pleure.
La nuit s’infiltre dans mon âme Où vient de s’éteindre l’espoir, Et tant ressemble au vent ma plainte Que les chiens n’ont pas aboyé. Ouvrez-moi la porte, et me faites Une aumône de la clarté Où gît le bonheur sous vos lampes.
Partout, j’ai cherché l’Introuvable.
Sur des routes que trop de pas Ont broyées jadis en poussière.
Dans une auberge où le vin rouge Rappelait d’innombrables crimes, Et sur les balcons du dressoir, Les assiettes, la face pâle Des vagabonds illuminés Tombés là au bout de leur rêve.
À l’aurore, quand les montagnes Se couvrent d’un châle de brume. Au carrefour d’un vieux village Sans amour, par un soir obscur, Et le coeur qu’on avait cru mort Surpris par un retour de flamme,
Un jour, au bout d’une jetée, Après un départ, quand sont tièdes Encor les anneaux de l’étreinte Des câbles, et que se referme, Sur l’affreux vide d’elle-même, Une main cherchant à saisir La forme enfuie d’une autre main,
Un jour, au bout d’une jetée...
Partout, j’ai cherché l’Introuvable.
Dans les grincements des express Où les silences des arrêts S’emplissent des noms des stations.
Dans une plaine où des étangs S’ouvraient au ciel tels des yeux clairs.
Dans les livres qui sont des blancs Laissés en marge de la vie, Où des auditeurs ont inscrit, De la conférence des choses, De confuses annotations Prises comme à la dérobée.
Devant ceux qui me dévisagent,
Et ceux qui me vouent de la haine, Et dans la raison devinée De la haine dont ils m’accablent.
Je ne savais plus, du pays, Mériter une paix échue Des choses simples et bien sues.
Trop de fumées ont enseigné Au port le chemin de l’azur, Et l’eau trépignait d’impatience Contre les portes des écluses.
Ouvrez cette porte où je pleure.
La nuit s’infiltre dans mon âme Où vient de s’éteindre l’espoir, Et tant ressemble au vent ma plainte Que les chiens n’ont pas aboyé.
Ouvrez-moi la porte, et me faites Une aumône de la clarté Où gît le bonheur sous vos lampes. Vous remarquerez, si vous consultez la version sur Internet, que les vers ne sont pas disposés de la manière. Nous ne parlons pas de l'ordre des vers dans leur succession, mais plutôt de leurs subdivisions. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 42
| Sujet: Re: Jean-Aubert Loranger Lun 29 Fév 2016 - 9:26 | |
| Les atmosphères ne seraient pas ce qu'elles seraient si elles n'étaient pas de la prose. Jean-Aubert Loranger a longuement travaillé la composition des blocs de prose et le tout semble organique. Je l'ai pas choisi le mot au hasard puisque je vous montre «Les reins» : - Ibid., p. 19-21. a écrit:
- Les Reins.
Il arriva qu’un matin, à son réveil, le passeur fit une autre grande découverte. Il constata qu’il avait non seulement un dos, d’où ses bras puisaient l’énergie, mais aussi des reins.
Cela était advenu à la suite d’une grande fatigue au sortir du lit. Il avait éprouvé à son dos la sensation d’une pesanteur inaccoutumée, comme si la lourde paillasse y était restée collée. Il eut, somme toute, l’impression d’avoir repris en une seule nuit toutes les fatigues qu’il avait jadis laissées dans ses sommeils.
Il vint un homme qui parlait fort et qui le fit se mettre nu. Il laissa deux bouteilles et des paroles que le passeur dut se répéter plusieurs fois, avant d’en saisir toute la signification.
-C’est vos reins, vieux, qui sont usés.
Cela fut toute une révélation, et il ne cessa pas, pendant deux jours de se redire :
-J’ai des reins et ils sont usés.
Tout d’abord, il n’en avait voulu rien croire.
Habitué qu’il était, par sa vie d’homme qui travaille, de ne voir dans le corps humain que des attributs du travail, il ne put pas concevoir l’existence en soi d’une partie qui fût inutile. Avec des bras, il tirait tout le jour des rames qui pèsent du bout d’être dans l’eau ; il traversait d’une rive à l’autre des charges qui faisaient enfoncer son bac d’un pied. Avec des jambes, il marchait au devant de l’argent, ou se tenait debout pour l’attendre. Certes, il savait le dos nécessaire, ne fût-ce que pour se coucher dessus quand on est trop fatigué. Mais des reins, ça ne servait à rien, sinon à faire souffrir, quand on les attrape.
Mais il vint l’heure de sortir et de travailler, et comme la souffrance de son dos le suivait partout, dans sa chaloupe et dans son bac, il lui fallut bien s’admettre qu’il avait quelque chose là. Comme cette chose ne se tenait pas agrippée à son épaule ni à ses hanches, il finit par reconnaître l’existence en lui des reins, et il en fut consterné.
Son mal et ses reins s’identifièrent donc en passant par sa connaissance. Ils furent une partie douloureuse à son corps ; ils furent une maladie qui lui venait du lit et du sommeil, ayant constaté un redoublement de ses souffrances à son réveil.
Puisque ses reins étaient le mal à son corps, il avait donc attrapé les reins. Et si certains jours qui furent plus pesants que les autres, ses rames s’arrêtaient en l’air comme le geste interrompu d’un orateur qui ne trouve plus ses mots, le passeur s’excusait d’être, tout simplement, un pauvre homme qui porte ses reins. Je vous avais montré quelques brefs extraits de prose dans ma présentation. À la relecture, je me rends compte qu'il est important d'analyser les blocs de prose et de les présenter également dans leur intégralité. J'avais particulièrement aimé celui-là puisqu'il forme une partie importante d'un tout. | |
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