Pourquoi lisez-vous? Qu'attendez-vous de la lecture?

Vaste question !

Pour moi, lire n'est pas seulement vivre, mais rester éveillé. Ouvrir une sorte de malle aux trésors intérieure qu'on ne savait même pas existante ! Alors, évidemment, quand on s'exprime, quand on dialogue, quand on est, tout simplement, tout ça regorge d'idées, de fantaisie, de réflexions qui laissent les non-lecteurs pantois.

J'ai quand même la sensation d'être un OVNI pour pas mal de gens.

Mais vivre sans lire, ça me semble horrible. Que reste t-il ? La réalité ? Cette suite d'images, de séquences plus ou moins lisibles, de trous noirs, de questions, de douleurs universelles, etc...? Et quelques beautés, comme la lune rouge, cette nuit. Est-ce seulement VRAI ?

La vie, un genre de truc fantasmatique et fictionnel et je rejoins Knausgaard, qui s'exprime ainsi :

"Ce que j'essayais de faire et peut-être ce que tous les écrivains tentent de faire, qu'en sais-je, c'était de combattre la fiction par la fiction".

Ben voilà, je paraphrase. Cette assertion me va comme un gant. En lisant, je combats aussi la fiction par la fiction.

Pas plus idiot que d'être alcoolique ou drogué.

Ou gnognotte...

tina a écrit:

J'ai quand même la sensation d'être un OVNI pour pas mal de gens.

On t'aime quand même tu sais.

Continue à rester éveillée,

...hum, est-ce qu'on est pas quasiment un extraterrestre lorsqu'on lit tout court ? (j'entends lire pour le plaisir, pour soi-même, et pas pour les cours de français)
Du moins, il y a des lectures qui font moins extraterrestre que d'autres, sans doute... mais je pense que d'une manière ou d'une autre, il y a comme un clivage qui se fait de plus en plus nettement entre ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas... Mais c'est peut-être qu'une impression... (cela dit, ce n'est pas la première fois que je retrouve cette idée...)


Sinon, pour répondre à la question... je dirais que j'attends différentes choses en fonction de ce que je lis... Lire c'est un moyen de faire tellement d'autres choses : se cultiver (j'aime bien l'idée de cultiver son jardin intérieur...), satisfaire sa curiosité, gagner en profondeur et s'éveiller, se construire aussi... ou s'évader, s'échapper, s'émouvoir à travers d'autres histoires que la sienne...

Pierre Dumayet, que j' ai connu tardivement, fait partie de ces guide totalement désinteressés qui ont laissé des traces dans ma mémoire
de lecteur.
Lui et quelques autres sans lequels je ne serais pas le lecteur que je suis. Michel Polac en fait partie et aussi Alain Veistein et aussi
cet autre passionné qu' était Maurice Nadeau, qui passa sa vie à lire et éditer les autres en toute indépendance.

Mais pour en revenir à Dumayet, j' avais découvert cette émission de télé qui s' appelait "Lire c' est vivre". Le pari était de faire
livre des livres à des gens qui ne lisaient pas ou peu.
Et presque toujours se produisait cette espèce de miracle, ces lecteur improvisés trouvaient souvent quelque chose qui les avait
étonné, intrigué, concerné, passionné. Dumayet n' intervenait jamais, sinon par un petit grognement, une bouffée de sa pipe.
Mais curieusement, ses lecteurs se sentaient à l' aise, en confiance et on avait l' impression d' assister à quelque chose de très
surprenant et d' ordinaire tout à la fois.
Certains étaient prolixes, d' autres beaucoup moins. Dumayet, à force de patience et d' habileté parvenait à leur faire dire ce qui les
avaient concerné.

C' était là le role de Dumayet, magicien apparemment sans mystère, mais persuadé que tout un chacun -ou presque- pouvait
se sentir concerné par cette matière faite de mots, de phrases qu' on pouvait déchiffrer come une partition.
Mais en ajoutant quelque chose de personnel.
De telle façon que la lecture de chacun faisait penser à une improvisation jazzistique.


"Pierre Dumayet, l’homme qui laissait parler

Ce n’est pas courant quelqu’un qui vous laisse parler. Même dans la vraie vie. La conversation, où ce qu’il en reste, relève désormais du coïtus interruptus. J’interromps, donc je suis. Le peuple des locuteurs impénitents en sera bientôt réduit à faire sonner la ponctuation afin de signaler que la phrase n’est pas terminée. Alors vous imaginez à la télévision ! Encore que du temps de l’Ortf, ces mœurs barbares n’étaient pas la règle. Surtout dans la case de l’oncle Pierre, « Lectures pour tous ». Mais Pierre Dumayet ne fut pas qu’une émission. Disons un regard, une écoute et une manière de lire. Toute sa vie il fut lecteur parce que bon qu’à ça. Pas tout à fait un métier mais certainement une vocation. Il arrive qu’on en vive. N’avait-il pas baptisé une autre de ses émissions « Lire, c’est vivre » ? Pierre Dumayet ne laissait pas seulement parler les écrivains mais les livres. Aux uns et aux autres, il donnait le temps. Notre dernier luxe. Le philosophe Christian Jambet, qui offre un bel hommage à cette vita contemplativa, rappelle que Dumayet préférait « l’exégèse littérale à l’interprétation allégorique », qu’il se fut agi de Madame Bovary et de Bouvard et Pécuchet, qu’il plaçait au plus haut, ou des autres. Lecteur pour tous, il s’était fait pédagogue mais sans lourdeur. Pour dire son sens de la responsabilité par rapport à la notion même de service public, Jean-Michel Meurice aime à rappeler que, alors qu’il montait la série Le Temps du monde adaptée de l’œuvre de Fernand Braudel, comme une séquence lui paraissait compréhensible des seuls économistes, Dumayet se rendit à la Maison des sciences de l’homme pour se la faire expliquer pendant deux heures ; à son retour à la salle de montage, il coupa la séquence.

Quand il ne lisait pas, il écrivait. Une dizaine de livres en témoignent. Il avait le goût du texte court, du fragment, de l’aphorisme (« Je suis un amateur de vins et de peinture. Je me trompe rarement : je sais distinguer un Chagall d’un Saint-Emilion »). Et ce qu’il appelait des « étiquettes » comme d’autres diraient des vignettes : « Comment sortir d’un escalier pareil ? Il y a trop de marches- et dans tous les sens. Il s’élargit sans cesse. N’a pas de rampe. A quoi se tenir ? L’équilibre est une longue patience. C’est l’aplomb qui manque ». Quelque chose d’un moraliste, nourri de Candide et d’Un Cœur simple, mais qui écrirait comme La Bruyère, observe Jean-Michel Meurice qui loua la rigueur, l’humilité et l’intégrité de ce « sceptique malicieux » dans le discours qu’il prononça à ses obsèques le 21 novembre 2011. On retrouvera tel Dumayet dans ses archives audiovisuelles du côté de l’INA (et dans ses (Re)Lectures pour tous avec l'ami Bober), tel autre en librairie. Mais si vous voulez les trouver tous réunis, procurez-vous le numéro spécial que vient de lui consacrer Travioles (printemps 2012, 126 pages, 14 euros), une revue fondée en 1999. Ce dossier est le fruit d’une conjuration amicale. Des textes d’Antoine Gallien, Robert Bober, Gilbert Lascault. Des dessins de Louis Pons, Brauner, Alechinsky, Adami, Chaissac, et d’autres encore. Pas de hiatus entre eux et lui. Avec en prime ses propres entretiens des années 60 avec Queneau, Duras, Foucault. Il est question de Zazie dans le métro, du Ravissement de Lol V. Stein et des Mots et des choses. Les questions sont aussi intéressantes que les réponses ; on y entend même résonner les silences ; c’est si intense qu’on se demande parfois si on ne les entend pas aussi raisonner. Un rêve que ce tombeau de traviole. Il eut aimé mais n’aurait rien dit car il laissait parler. Tout le monde devrait en prendre de la graine, et pas seulement à la télévision; de toute façon, ce n'est plus là que cela se passe."

Le Monde, 11 avril 2 012

Tina, j’aime bien la manière dont tu présentes les choses. Tu me donnes aussi envie de lire Knausgaard !

Citation :

Et quelques beautés, comme la lune rouge, cette nuit.

J’ai pas remarqué ??

Chymère, oui, s’émouvoir en lisant d’autres histoires que la sienne… c’est étrange, souvent je recherche les similarités, il y a sûrement de cela dans la notion d’amitié que je reutilise, mais beaucoup d’auteurs m’ont touchée en parlant d’histoires totalement différente de la mienne.

Merci bix, je ne connaissais pas, je suis contente de découvrir le personnage. Cette idée d’improvisation jazzistique est très belle.

Oui, c'est ça, sans doute, dans la lecture , on cherche à se retrouver, et à trouver l'autre.

Sorcière a écrit:

Tina, j’aime bien la manière dont tu présentes les choses. Tu me donnes aussi envie de lire Knausgaard !

Méfie-toi de Tina, elle est redoutable, et arrive à vendre les trucs les plus improbables.

C'est vrai qu'elle est douée pour tenter notre tina, mais jusqu'à présent elle ne m'a jamais déçu!

Je suis une proie facile, c’est mon côté badaud ahuri.

Euh...

Sorcière a écrit:

c’est mon côté badaud ahuri.

Tu pourrais nous le montrer en photo ?

Je ne maîtrise pas encore l’art du selfie, mais voici une approximation :

Sauf que j'ai aussi la bouche ouverte.
(Comme ça j’ai appris à mettre des images sur le forum)

Tout cela me rappelle… c’est un aspect tertiaire de la question, mais je lis toujours les livres préférés des gens que j’aime bien, c’est une manière de me sentir proche d’eux. Il y a l’amitié avec l’auteur… et l’amitié avec tous ceux qui ont ressenti cette même amitié avec l’auteur. Un peu bisounours, ‘les amis de mes amis’… mais j’ai toujours ressenti beaucoup de joie en me trouvant des goûts littéraires en commun avec des inconnus ou des moins inconnus. J’ai longtemps vécu loin de la France, où je suis née, et même si j’aime le changement, c’était difficile parfois de ne pas partager une certaine expérience de vie, de l’enfance surtout… et avoir lu certains des mêmes livres c’était aussi, en quelque sorte, s’être construit d’une manière similaire.
Tout ça pour dire que c’est super facile de me convaincre de lire un livre, y compris des trucs plus improbables que Knausgaard

Chiche ! C' est ce que j' ai fait en te proposant des auteurs et des titres. Mais stp, ne fais pas appel à tes amis !

Absolument chiche ! J'ai commencé Gormenghast qui me plaît beaucoup, et j'ai fait un petit stock de nouvelles de Walter de La Mare pour un jour de pluie.

Tu as commencé par Titus d'enfer ?