Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]

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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 22 Juin 2011 - 19:48

Cette semaine à la radio une nouvelle est racontée chaque jour, si vous voulez écouter une nouvelle c'est ici vous cliquez sur Ecouter
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMar 26 Juil 2011 - 22:37

Le Petit Village

Ce sont des poèmes, sa première parution il me semble en 1903. Il y a la charmante introduction où l'auteur déclare qu'il serait satisfait si ses intentions seules lui valaient quelques amis. Mettant en doute la forme dont il s'est trouvé capable. Et il y a deux parties.

Une succession de vignettes du village qui racontent des lieux, des instants, des figures. Une vision hors du temps d'une communauté vivante et laborieuse. Le paysage et les instants d'une intimité effleurée. Les poèmes sont très narratifs, très simples... il s'en dégage une patience subtile, un sourire humble à travers le temps qui passe. Simples ou dépouillés par un travail conscient et cohérent de l'auteur. Mots et harmonies mesurés pour une expression non moins mesurée pour dessiner de menues beautés très lumineuses. Sans angélisme cependant la nature et le cycle de la vie ayant toujours ses droits.

Tout ceci est presque un décor à la seconde partie intitulée Jean-Daniel, Jean-Daniel quel l'on aperçoit dans la première. Il travaille aux champs, à la ferme et cette partie est son histoire, la sienne et celle de Marianne. Le même dépouillement pour dire simplement l'histoire banale et presque naïve de cet amour simple des doutes timides à la vieillesse heureuse. C'est le talent de cet auteur de réunir ainsi le plus sérieusement du monde mais non sans un soupçon de malice naïveté et justice et justesse. C'est de la poésie avec de l'amour et du temps qui passe débarrassée des artifices d'une galanterie d'artifice ou d'égarements tourmentés et débordants.

Lentement en cherchant le berceau d'un rythme naturel Ramuz y à replonger ses âmes et celle du lecteur reconnaissant par la même occasion. Certes le cadre est marqué mais il s'en échappe un rire comme celui des enfants et des ruisseaux qu'il raconte et alors c'est simple et reposant, à la fois accueillant et émouvant. Et c'est pourtant l'affirmation d'une belle poésie aux allures simples.

Il écrivait déjà le même livre avec son talent et ses intentions pleines. Quelques pages à peine pour le recueillement de la lecture et un instant de salut.

Il y a des extraits ailleurs sur le forum.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyVen 29 Juil 2011 - 22:43

élucubrations instantanées et raisonnablement injustifiées. admettons une croyance en la science, son principe... admettons qu'une similitude dans le principe rende concevable une relative croyance en le travail (ou une certaine action à but concret), regardons le manque et la grande littérature de l'avant ou de l'après, du presque et du pas tout à fait et les merveilles de tensions et de beauté. ce sont des lectures qui font du bien, qui apporte quelque chose d'important au lecteur au delà de l'émerveillement du moment de la lecture. On peut aussi penser en lisant Ramuz à d'autres, des grands pour le sentiment de la lecture qu'il procure ou des ressemblances. Alors du côté de la différence, illusion de la multitude ou particulière expression de totalité engendrant l'apparence de la plénitude. pourquoi ce sentiment particulier de repos quand bien même les tensions sont présentes aussi dans son œuvre.

et c'est surprenant de chercher un extrait. Un Portrait de Jean-Daniel précède Le vieux Jean-Louis et Les Filles suivent La Vieille.

Le vieux Jean-Louis il n'a qu'un oeil,
on le dirait pas,
le vieux Jean-Louis sait marquer le pas
dans les danses.
Son accordéon est comme pas un,
avec un soufflet d'un mètre de long
et tout nickelé
et une musique à faire danser
deux ou trois villages.

Ça fait des accords, ça siffle, ça ronfle,
avec des sonnettes et des trémolos
qu'on entend de loin, au milieu du bruit,
sur le pont de danse.

Il faut voir les doigts du vieux Jean-Louis
courir sur les notes
et les yeux qu'il fait, sa tête qui penche,
tant il a plaisir.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyVen 4 Nov 2011 - 22:22

Pour ceux qui hésitent, il y a la possibilité de l'approche extérieure, en lisant par exemple un compatriote, Jacques Chessex qui a bien parlé de son ainé : clic

Évidemment l'accent se trouve mis sur les enjeux de l'écriture et des choix de l'auteur, mais l'auteur se retrouve du même coup rendu à lui même, libéré de la poussière ou du régionalisme. Rendu à l'engagement et à la modernité (qui perdure). Compte tenu des choix l'émotion est cependant présente, dans le recueillement, la réserve et les certitudes de celui qui, en somme, témoigne de son expérience de lecteur et d'écrivain (suisse). Et quelques explications possibles.

On peut aussi lire les Notes d'un vaudois.

On peut aussi penser à la réaction d'un auteur (indice : St Florent qui a dit : Je ne connais pas Aline, mais comme j'admire beaucoup Ramuz, je suis certain du plaisir que j'y trouverai.

Et oui parce que d'un point de vue de lecteur, lecteur auquel il reste beaucoup à découvrir mais lecteur pour lequel malgré leurs différences ils ont la même espèce d'importance une fois lus, il changent la lecture aussi.

Extraits :

Les poèmes du Petit village sont plus "publics", sans doute parce qu'ils nous proposent souvent des scènes et des tableaux qui vivent dans l'inconscient collectif d'une civilisation.

Ce qui est gênant dans ce texte de soixante-cinq ans, c'est qu'il n'a pas du tout vieilli. C'est même, à être relu, qu'il trouve une virulence habile à venir dans nos oreilles avec son reproche à la Suisse et aux Vaudois : nos torts, oui, nos lâchetés. Un petit texte comme une cloche qui ne cesserait pas de sonner l'alarme sur la place publique. Résumons : il dérange. Et tout de suite allons à l'idée primordiale de Ramuz : la grandeur est un bien souverain, et l'homme a besoin de grandeur.

Car il y a chez Ramuz une curieuse rencontre du primitif et de l'élaboré. Exactement comme dans son écriture qui transforme la parole en grande syntaxe savamment simple ; qui la fixe, une fois pour toutes, en grande écriture orale chantée.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyDim 11 Déc 2011 - 13:50

Nouvelle approche, plus universitaire avec la lecture de Identités de C. F. Ramuz de Jean-Louis Pierre (qui a étudié l'auteur et est président de l'association Les amis de Ramuz).

Pourquoi pas en cours de chemin dans la lecture d'un auteur que l'on trouve grand prendre le temps de rentrer autrement dans le vif du sujet. Identités suit deux grands axes très intimement liés : celui de la personnalité de l'auteur et de la signification individuelle de son engagement et l'autre, à cette lumière, de dégager et regarder de plus près ces engagements politiques et artistiques, la nature, le pays et l'Histoire ne revenant qu'à travers ce prisme (je schématise). Un des objectifs avoué étant de redonner à l'auteur de l'épaisseur ou l'histoire peut-être tenté de choisir les silences. En effet le portrait proposé est celui du poète pour lequel l'art est un choix politique.

La lecture familiale de Ramuz est intéressante, surtout quand le lecteur n'est pas complètement familier de son histoire (ça n'empêche pas les points de repères !), peut-être d'un éclairage très freudien. Mais il est indéniable que c'est dans l'enfance et l'adolescence déjà que se dessinent des traits très particuliers de l'auteur ainsi que sa fragilité qui fait souvent doublure à sa grandeur, un besoin de reconnaissance dans l'affirmation.

L'ensemble des analyses thématiques qui mêlent de loin la littérature (pas de comparaisons directes et le rapprochement le plus marqué est celui avec Céline... avec des choix différents) et les thèmes de la nature donc, du pays et des personnages et de l'histoire. Pour simplifier encore, un accent sensible est mis sur l'essayiste politique influent et complexe, attentif aux événements du monde. Jamais récupérable complètement par les gauches ou les droites, indépendant et critique. C'est très important car ça replace bien l'enjeu de la démarche littéraire du bonhomme que les choix de styles et de thèmes ne sont pas du tout le fruit d'un hasard folklorique !

Pas une découverte dans le principe lorsque l'on est déjà convaincu mais beaucoup d'éléments qui peuvent alimenter la réflexion comme de futures lectures, et dans les réflexions celles sur la langue et l'histoire suisse (et française) ont de quoi faire tourner le moulin. Le rapport au catholicisme et au protestantisme n'y est pas pour rien (et ça développe un peu ce qui revient dans le Portrait des Vaudois de Chessex).

Important aussi ce qui traite des avatars de l'auteur dans ses récits, notamment à travers les marginaux, ce qui renforce la tentation d'une identification avec les drôles d'oiseaux de mauvais augure que l'on retrouve, comme le Vieux Clou (?) qui sont à la fois dans et en dehors de la société, de la communauté immédiate, personnages critiques et dont l'ombre inquiète mais qu'il est difficile de qualifier de mauvais, peut-être capables de mettre en lumière les ombres d'une pensée collective.

C'est peut-être sur ce point du rapport à la communauté, à la pensée commune que j'espérais une lecture plus explicite, ce n'est pas absent de cette analyse mais c'est plus guidé et diffus tout en impliquant encore plus immédiatement une incarnation de l'auteur Ramuz dans ses textes. Façon maladroite d'exprimer ce qui ne fait pas assez pendant à cette impression "d'hallucination collective" souvent exprimée dans les récits ramuziens.

Indéniablement un auteur complexe et mouvant malgré ses très fortes lignes directrices (et beaucoup de textes retouchés entre les parutions). Un poète engagé et enragé dont les choix sont un travail et une constance.

Et parce que la question apparait ailleurs, lire et lire dans un sens différent de celui qu'on peut imaginer ou soutenir ne promet en rien de gâcher autant les futures lectures que les lectures passées. Cet homme reste fascinant par la force et la portée de ses choix qui sous-tendent pour ainsi dire cette forme particulière de poésie totale (et pour qui pas de poésie sans engagement et pas de salut sans poésie).
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyDim 11 Déc 2011 - 18:48

je savais bien qu'il m'en manquait un bout tout à l'heure. En fait je repensais à un lien donné par Kenavo ou deux auteurs ou critiques je ne sais plus parlaient de Malraux, un pour et un contre, le contre reprochait en quelque sorte l'aspect daté des préoccupations humanistes par rapport à ce qu'on doit pouvoir appeler des préoccupations identitaires plus contemporaines. En forçant le trait je dirai que ce livre que j'ai lu est une approche identitaire de l'auteur (ce qui colle d'ailleurs bien au titre, incroyable) qui a aussi des préoccupations (c'est un mot qui lui va bien) humanistes, voire qui incarne, et exprime !, remarquablement l'indissociabilité des deux.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyDim 1 Jan 2012 - 20:57

Passage du poète (1923-1929)

Un village des bords du lac, la vigne et le passage du vannier Besson. Personnage double du poète écrivain, étranger et observateur, révélateur de la beauté mais aussi qui redonne une langue au peuple et la beauté par ce fait. La grande mission de Ramuz que d'exprimer la communauté, sa communauté de cœur et les puissants courants fondateurs qui l'animent. Cette image est indéniable, cependant le vannier est presque absent de ce qui n'est pas tout à fait un récit.

Le vannier est un peu une intrusion, un élément à la fois étranger et naturel qui passe, six mois, dans ce village, le travail de la vigne, le travail de la terre de la vigne, la vie de la communauté. Il fascine les enfants et sa simplicité est acceptée par le sens villageois du partage, partage symbolisé par celui du vin et la vie assistée dans la communauté du vieillard Congo. Mais le vannier s'il apparait comme le déclencheur n'est pas le principal acteur, il est plus le témoin, serait-ce son observation des voix intérieures des solitudes et des tourments de tous les âges du vigneron ? La narration s'éclate en fragments de tableaux solitaires entre les murs de la vigne et du village et le lac. Et petit à petit, la renaissance par la saison, le soleil et l'expression révèle la communauté dans sa simplicité et sa grandeur.

C'est bien d'un écrit de célébration très ramuzienne qu'il s'agit, avec les particularités qui vont avec (ce qui gênera peut-être les réfractaires) mais c'est un tableau aux multiples fragments qui font sens et se rejoignent et font sens encore. Et plus qu'une grande fresque, c'est presque un tableau cubiste qui assemble les perspectives et les traits pour former son ensemble et révéler son message, fait d'ombres et de lumières. Le jeu des rythmes est incroyables entre des instants et des longueurs vivantes qui sont sans temps, le jeu des formes l'est tout autant. Et à cela s'ajoute celui des solitudes, pas seulement le regard extérieur du poète qui sait, pas non plus celui d'un oiseau de mauvais augure qui sait lui aussi, mais celui des individus qui se redressent de leurs peines pour accueillir l'extérieur et ainsi révéler à eux-mêmes leur essence et leur vie.

Il y a donc une fois de plus la confrontation à l'image de la société, tant à une facette de la modernité qu'à une conserve trop fermée d'une tradition figée. Il est question, il est enjeu, d'esprit qui vit et qui revit (incroyable et fantastique thématique de la résurrection), d'une acceptation de l'être et d'un rapport au monde (un monde qui regarde l'autre rivage de la Savoie et un peu plus loin encore), d'une solidarité d'âme. Et l'histoire du livre est celle de son écriture, indissociable. Et à sa façon l'auteur, dans toute sa tension et son lyrisme, compose au delà de la présence du vannier, cherchant presque à se faire oublier dans cet ensemble baigné par les lumières et les reflets et les ombres.

Si ce n'est pas la lecture la plus simplement marquante de l'auteur, la composition, la radicalité, l'audace et la détermination des choix sont frappants. Si cela suffisait à dire qu'il n'est jamais trop tard pour le découvrir et le redécouvrir ? Ce langage qu'on n'est pas bien sûr de comprendre, comme celui des mains du vannier, mais qui fait sens quand même et fait qu'on trouve en soi la surprise de se dire et de se trouver dans les autres ?

Cet auteur est fascinant.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMar 3 Jan 2012 - 21:30

un extrait de cette omniprésence du poète ?

Citation :
Une grande barque à pierres se met à pencher, on ne sait plus où, ni dans quoi. Sous ses deux grandes voiles pointues et croisées, et on ne sait plus si elle est sur l'eau ou bien dans au milieu des airs. Besson met de la montagne tout autour, mais en même temps il l'a renversée : et on la voit finir en même temps et se recommencer. Rien ne va plus jamais avoir assez d'être ; plus jamais, rien ne croira exister assez complètement. La montagne a refoulé l'eau, qu'elle crève, qu'elle a niée, crevant la surface de l'eau, niant la présence de l'eau qui la reflète dans sa profondeur. La barque s'est mise à pendre en l'air comme à un fil, étant à la gauche des neiges, c'est-à-dire au niveau de la grande paroi des rochers du Noirmont, et au-dessus des pâturages, comme une machine aérienne, comme une mouette égarée. On comptait les villages, on voit qu'on s'est trompé. On comptait jusqu'à cinq, on voit maintenant qu'il faut compter jusqu'à dix : on recommence, c'est bien ça, parce que chacun d'eux existe double. Avec leurs taches rouge, jaune, les taches rouge doux qu'ils font. Ils se mettent un peu à bouger, et le haut de la hotte bouge. Et le plafond bouge. Et tout à coup le mont aussi fait un mouvement sous un reflet qui passe à sa surface : c'est le temps où tout part enfin, et cette fois définitivement...
En deux ou trois jours, on a vu les bois de la vigne grandir d'un bon pied ; les feuilles ont été comme des mains qui s'ouvrent en même temps qu'elles étalent, puis elles étagent leurs masses.
On y a été jusqu'aux genoux, jusqu'à mi-cuisses ; on y a été jusqu'en haut des cuisses, jusqu'au ventre, jusqu'à la ceinture, jusque sous les bras, comme le fossoyeur dans son trou. Tout part et déjà sortent les grappes, qui semblent, elles, nier le temps, et, sautant par-dessus l'été, crier les vendanges d'avance, avec leurs petits grains parfaitement formés qui trompent, ronds, durs, nets comme les vrais grains de plus tard, les grains de raisin qu'on aura (et on peut les compte déjà) sauf les surprises, les maladies...
Mais on n'en aura point ; tout part. Et on ne va plus pouvoir dormir pendant huit jours : c'est lorsque chacun de ces faux petits grains éclate, laissant venir dehors ses poils blancs : alors, de très loin, l'abeille est appelée, l'abeille vient aussitôt ; le mont chante de jour, le mont sent bon la nuit ; - on ne va plus pouvoir dormir :
- Mais ça ne fait rien, même c'est tant mieux ! On dort parce qu'on est mal faits ; on dort parce que c'est un petit peu mourir, parce qu'on a été condamnés à mort...

Et coupure arbitraire avant une mutation narrative habituelle, quand on revient par un autre personnage toujours là mais en fait ailleurs. Il est beau cet extrait parce qu'il reflète cette écriture très imbriquée et minutieuse, c'est que ces effets bizarres de suspension ne sont pas des anomalies, tout comme l'imbrication des cycles, c'est tout le vertige des sens et des évolutions et toujours ces descriptions actives des paysages qui trompent les sens, qui sont issus de la perception. Et il ne s'agit donc pas d'un ou de plusieurs effets de manche pour une tirade marquante. Le livre est ponctué ainsi de cette narration toujours précise.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 16:45

Histoires
Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 13622310

Je suis entré dans l'univers de Ramuz par la petite porte avec ce recueil de 3 "histoires" qui me faisait de l'oeil sur le présentoir de la librairie.

100 pages en gros caractères qui se lisent en 1 heure sans heurt. C'est à la fois simple et rugueux, cherchant l'oralité et le terroir. 3 histoires qui ont pour point commun de mettre en scène le dérisoire et le tragique de certains drames de l'existence qui ont l'apparence de la plus grande banalité. Un homme est le drame de l'homme bon dont le mariage fera le malheur sans qu'il se révolte. La vieille rosine est l'injustice d'une mère dévouée rejetée par sa fille qui lui préfère un époux peu recommandable. Le petit enterrement décrit la mort d'un enfant et la procession de deuil qui l'accompagne.

Le style m'a fait penser à ces vieilles sculptures en bois, à la fois grossières et délicates, qui semblent taillées à la serpe mais restituent quelque chose de la dureté d'un mode de vie, de la violence des sentiments et en même temps d'une certaine douceur émouvante qui est renforcée par de très belles et sobres descriptions du paysage qui circonscrit l'action et qui donne à cette ébauche narrative une dimension universelle, une couleur, on pourrait même dire une âme. On pense alors plutôt à un tableau de Courbet et l'ensemble devient très pictural. On pourrait trouver ces histoires trop succinctes ou trop simples mais elles prennent une place dans notre esprit avec une certaine densité qui grandit peu à peu.

Un style très différent de celui d'un Bosco ou d'un Gracq dont le romantisme est plus incantatoire, l'écriture plus ciselée. Ramuz cherche une autre forme de relation entre esprit et nature par un langage populaire qui a la beauté de sa simplicité et de sa rareté. Cela donne évidemment l'envie d'approfondir.

Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 Paysan10

A quoi on pense? On pense aux choses de la vie, et qu'elles ne sont rien à cause de la mort. Et la mort est comme un grand trou où tous les chemins aboutissent et pour chacun de nous quelque jour notre tour viendra, quelque jour ce trou se verra qui est là grand ouvert pour nous; alors il n'y a rien à faire qu'à se résigner, il faut seulement avoir confiance. (Le petit enterrement)
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 19:28

P.S. J'ai retrouvé sur un autre fil ce post de Rivela qui parlait de La Vieille Rosine et donnait le lien pour lire ces 3 histoires:

rivela a écrit:
Ah bien Coline je te mets une nouvelle de Ramuz, quand je peux le placer j'en profite sourire
C'est la vieille Rosine qui à bien des soucis avec sa fille et son charogne de beau fils.
la nouvelle est un deuxième position après l'homme
La vieille Rosine
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 21:45

ah ! et tu es loin du fond des surprises. je maitrise très mal Bosco qui m'a semblé, sans que ce soit péjoratif en quoi que ce soit, plus pittoresque et plus classique. Comme s'il y avait moins de représentation de l'ensemble. Disons rapport à la place même de l'écriture et à ce qu'elle doit provoquer et du même coup une représentation complète d'un modèle de vie avec ses interactions à la fois très simples dans leurs lignes directrices et plus complexes par en dessous. Ce qui est une part de la modernité féroce de Ramuz et déplace l'imagination provoquée par l'écriture. Le sentiment d'hallucination collective est très fort chez Ramuz. Gracq développe lui aussi une vision au premier plan plus individuelle (une différence ou la génération et l'histoire jouent peut-être bien leurs rôles)... les effets et la puissance d'évocation sont une autre histoire. L'intensité picturale est aussi différente plus abrupte (voir Cézanne et Severini pour des exemples frappants), il y a une naïveté dramatique et dramatisée à merveille.

Ce que je dis étant bien sûr partiellement faux puisque l'individualité, et sa place, reste un puits d'interrogation et de réflexions (bon exemple avec Passage du poète d'ailleurs mais pas seulement).

Je lis en ce moment des "articles" passionnants dans le dernier bulletin de l'assoc. des amis.

Surtout je te souhaite de très bonnes découvertes !
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 22:57

animal a écrit:
je maitrise très mal Bosco qui m'a semblé, sans que ce soit péjoratif en quoi que ce soit, plus pittoresque et plus classique. Comme s'il y avait moins de représentation de l'ensemble.

Le Sanglier que tu as lu est une oeuvre précoce où s'ébauche seulement le style de Bosco même si beaucoup d'éléments essentiels sont déjà présents. Les romans plus tardifs sont d'un autre teneur et je ne vois pas vraiment de pittoresque chez lui ou alors en surface. C'est une oeuvre très complexe et d'une grande beauté. Si tu y reviens plus tard essaie "Un rameau de la nuit", "L'antiquaire" ou "Malicroix" par exemple. On est bien plus près du romantisme allemand que de la littérature provençale pittoresque. Je perçois chez Ramuz une autre forme de force tellurique, plus archaïque sans être archaïsante, même si j'ai conscience de n'avoir lu qu'une ébauche de son univers. Je ne cherche pas à les comparer d'ailleurs tellement leurs styles sont différents mais comme tu évoquais dans un post de début de fil des correspondances potentielles avec Gracq il me semble que Bosco en est nettement plus proche. Peu importe ce sont tous 3 de grands auteurs à découvrir et redécouvrir. Chacun a sa singularité et sa force. Je suis content de découvrir Ramuz, n'ayant qu'un lointain souvenir de la pièce de théâtre adaptée de "La Grande peur dans la montagne". Et j'y reviendrai régulièrement.

animal a écrit:
L'intensité picturale est aussi différente plus abrupte (voir Cézanne et Severini pour des exemples frappants), il y a une naïveté dramatique et dramatisée à merveille.
Je trouve ça très juste. C'est ce que j'ai ressenti en le lisant.

Un incontournable à lire maintenant? Lequel? Un conseil?
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 23:07

Derborence ou La grande peur dans la montagne ? Je trouve (et je me répète) le second moins évident à lire de façon spontanée... mais il y a de quoi faire. Ou Aline, pourquoi pas après tout. De toute façon l'écriture est cohérente sur l'ensemble on dirait.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 23:11

animal a écrit:
Derborence ou La grande peur dans la montagne ? Je trouve (et je me répète) le second moins évident à lire de façon spontanée... mais il y a de quoi faire. Ou Aline, pourquoi pas après tout. De toute façon l'écriture est cohérente sur l'ensemble on dirait.

Va pour Derborence alors pour une prochaine lecture Very Happy


Et toujours des associations et correspondances: un ouvrage de 2007 avec autant de pistes de lectures (je ne connais pas Carlo Levi par exemple à part le film de Rosi).

Les Apocalypses secrètes
: Shakespeare, Eichendorff, Rimbaud, Conrad, Claudel, Tchékhov, Ramuz, Bosco, Carlo Levi
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Citation :
L'Apocalypse a exercé un pouvoir de hantise dans l'imagination de grands écrivains, fascinés par la question de l'harmonie : celle de la forme littéraire, et celle du groupe humain, longtemps liée à l'idée du sacré. Ces deux plans sont associés dans la réflexion de Shakespeare, Eichendorff, Rimbaud, Conrad, Bosco, Ramuz, Carlo Levi, parmi les écrivains mentionnés dans le titre de cet ouvrage où sont encore cités les noms de Herman Melville, Nerval et Ernst Jünger. Le mystère de la perfection formelle de l'œuvre, en l'occurrence littéraire, n'a jamais été plus présent que dans le conflit mythique de la Vierge et du Dragon, au milieu précis de l'Apocalypse. La structure symétrique de ce récit biblique serait une réponse, chargée d'intentions curatives, à une violence que l'on peut qualifier de fondatrice. Le questionnement du sacré, chez ces auteurs, accompagne donc celui du sens de l'art. Leur entreprise poétique est d'ailleurs fondée sur le pouvoir de leur écriture, analysé au fil des chapitres qui mettent à jour l'impact des grandes figures de l'Apocalypse dans leur mémoire. Or, l'image du cercle, associée par Ramuz à l'idée de l'art, est aussi celle des limites de nos destins humains : un problème sur lequel converge cet ouvrage où se voit jaugé le rapport, diversement assumé par ces auteurs, de la parole poétique et du mythe de la parole divine.

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Michel Arouimi est maître de conférences en littérature comparée à l'Université du Littoral depuis 1993. Après une thèse soutenue à l'Université de Paris VII sur les ambitions les plus novatrices de Kleist, Kafka et Melville, il a été chargé de cours à l'Université de Paris X. Deux thèses plus récentes, rédigées pour le dossier d'une habilitation à diriger des recherches (obtenue à l'Université de Paris XII), ont pour thème les réminiscences de l'Apocalypse chez Eichendorff et chez Conrad. Le fil conducteur des recherches de M. Arouimi, illustrées par de nombreux articles, est la question de l'Harmonie, remise en cause dans les œuvres d'écrivains de diverses époques. L'ouvrage présent fait suite à un recueil d'essais sur les arts du spectacle : L'Apocalypse sur scène (L'Harmattan, 2002), et à une étude de l'œuvre picturale et littéraire de Carlo Levi : Magies de Levi (Schena : Lanore, 2006).
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 15 EmptyMer 15 Fév 2012 - 23:35

Je ne sais pas si vous l'avez évoqué plus haut (pas le courage pour l'instant de relire les 15 pages du fil même si je l'ai suivi au fur et à mesure dans les grandes lignes) mais Ramuz a été plusieurs fois adapté au cinéma. Notamment Derborence qui était à Cannes en 1985 en sélection officielle. Ce film comme le coffret Ramuz semblent bien difficiles à trouver!

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