Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Jean Giono

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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyJeu 29 Mai 2014 - 15:51

difficile de dire ce que ça inspire car tellement inimaginable que ça reste irréel. en tout cas le contraste d'avec le texte du Grand troupeau est parlant.

merci pour le partage en tout cas.  bonjour 
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colimasson
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyLun 23 Juin 2014 - 9:01

Je n'avais pas posté mon avis définitif sur Le Grand troupeau de la LC...


Le Grand Troupeau (1932)


Jean Giono - Page 11 Grand-10

Jean Giono choisit d’évoquer la guerre en n’en parlant pas. Sur le front, elle s’étale comme un gigantesque carnage, anime les crânes dénudés et redonne vie aux cadavres recouverts de mouches noires ; à l’arrière, ses échos se font entendre à travers la chair avide des femmes esseulées. De  l’un à l’autre, le grand troupeau des bêtes chemine  -la faute au meneur !


Jean Giono nous fait comprendre les pertes engendrées par la guerre en abaissant l’harmonie qui unit son peuple rural à la terre et aux animaux. L’amour, la faim et le travail ne s’évoquent plus qu’en termes d’appétits morbides voués à la destruction. A la manière des surréalistes, il brandit ses cadavres dans des visions hallucinatoires. Il fait connaître la guerre à ceux qui l’ignorent dans des éclairs de lucidité foudroyants. La technique est d’autant plus efficace que l’écriture de Giono ménage une part considérable de mystère. Ses constructions semblent correctes mais en les observant bien, on relèvera des ellipses ou des attributions étonnantes qui laissent de côté, à moins qu’elles n’induisent le malaise. Le Grand troupeau a été amputé dès l’achèvement par son auteur pour n’en garder que l’essentiel, dans une volonté d’épuration et de franchise qui semble hériter de la brutalité des événements. Et malgré tout ça, Jean Giono reste en-deçà de la réalité. Sa manière de surprendre devient rapidement une ritournelle aussi désagréable que la violence à démasquer, et le mystère frôle souvent l’opacité.


C’est à ce moment-là qu’on peut le mieux apprécier le chant rural du Grand Troupeau. Mes références champêtres sont réduites : il me semble pourtant retrouver les ambiances de Georges Sand et de ses romans ou les récits de ceux de mes aïeux qui ont vécu dans la montagne avec les bêtes et les champs. C’est une mélancolie que distille alors Jean Giono, comme s’il avait compris dès la fin de la guerre qu’il ne serait plus possible de vivre comme les paysans de son histoire. La guerre ne serait pas vraiment la responsable mais plutôt un symptôme parmi tant d’autres indiquant la perte des valeurs propres à une communauté et à une époque dépassée. Le bélier devient alors le représentant médiatique de l’ancien temps, brandi comme un dieu à l’usage des nouvelles générations. Le Dieu de Justice pourrait enfin s’affirmer… Ni optimiste, ni pessimiste, Giono semblerait plutôt soumis au temps, à ses variations et aux peuplades qui subissent et réinventent à chaque fois les artefacts de leur passé. Lire le Grand troupeau aujourd’hui confirme cette intuition que nous avançons toujours en sacrifiant une certaine forme de bonheur primitif.


Jean Giono - Page 11 Fred-e10

L'exaltation des sens fait recours à une rusticité et une énergie vitale qui seraient peut-être moins puissantes si nous ne vivions pas dans la société plus aseptisée qui est la nôtre...

Citation :
« Le Joseph avait toujours sur lui cette odeur vivante, comme l’odeur du cheval, l’odeur du travail et de la force. Quand il se déshabillait, ça vous gonflait le nez : une odeur de cuir et de poil suant. Ça sentait comme quand on prépare les grosses salades d’été et qu’on écrase au fond du saladier le vinaigre et l’ail et la poudre de moutarde. »


Le secret et le mystère... qui rendent mélancoliques parce qu'ils sont sans doute perdus, au mieux restés à l'état d'intuitions.

Citation :
« Regotaz arrêta son pas.
- Dis, garçon, ça te semble pas que je suis fou ?
- Non, dit Olivier.
Il regarda l’homme : les yeux clairs étaient là avec de la peur et ils s’efforçaient de chercher au-delà des mots dans les yeux d’Olivier.
- Non, ça ne semble pas. Je t’ai laissé parler. Mais, c’est que je pense comme tu penses ; je suis de la terre, moi aussi. pas encore aussi vieux que toi, mais je sais m’arranger avec l’alentour. Ça, il n’y a que nous qui pouvons le comprendre. »


Giono nous pose une question éthique : comment peut-on vivre lorsqu'on est ou a été encerclé par la mort ? J'ai parfois pensé à L'écriture ou la vie de Semprun, qui se pose les mêmes questions.

Jean Giono a écrit:
«  Mais, de ce qui nous reste, qu’est-ce qu’on a le droit d’en faire ? Le droit, tu comprends, petit gars, le droit ? De ce qui nous reste de vie… »

Jorge Semprun a écrit:
Avais-je le droit de vivre dans l’oubli ? De vivre grâce à cet oubli, à ses dépens ? Les yeux bleus, le regard innocent de la jeune Allemande me rendaient insupportable cet oubli. Pas seulement le mien ; l’oubli général, massif, historique, de toute cette ancienne mort.

Ce à quoi il répond plus tard :

Jorge Semprun a écrit:

La vie était encore vivable. Il suffisait d’oublier, de le décider avec détermination, brutalement.

Giono choisit une solution similaire. L'oubli, la tragédie qui se fond dans l'inconscient... on peut toutefois retrouver l'événement fondateur : il suffit de savoir cheminer à travers le symbole du bélier :

Citation :
« Le berger prend l’enfant dans ses bras en corbeille.
Il souffle sur la bouche du petit.
« Le vert de l’herbe », il dit.
Il souffle sur l’oreille droite du petit.
« Les bruits du monde », il dit.
Il souffle sur les yeux du petit.
« Le soleil. »
« Bélier, viens ici. Souffle sur ce petit homme pour qu’il soit, comme toi, un qui mène, un qui va devant, non pas un qui suit. » »


*peinture de Fred Einaudi
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyLun 23 Juin 2014 - 10:54

Très intéressante cette lecture croisée de Semprun et Giono. Merci colimasson pour ton commentaire. (On retrouve également des échos de Semprun dans Où j'ai laissé mon âme de Ferrari, comme quoi il est bien difficile d'oublier ou d'effacer l'écrit d'une mémoire survivante, même quand elle s'exprime 20 ans plus tard).
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyMar 24 Juin 2014 - 5:12

Merci Colimasson, un commentaire brillant, comme on les aime autrement dit comme à l'accoutumée venant de toi !!

Juste quelques très menus détails sur lesquels rebondir:
colimasson a écrit:
Jean Giono nous fait comprendre les pertes engendrées par la guerre en abaissant l’harmonie qui unit son peuple rural à la terre et aux animaux. L’amour, la faim et le travail ne s’évoquent plus qu’en termes d’appétits morbides voués à la destruction.

Giono va plus loin dans ses essais et écrits non romanesques. Très pessimiste sur tout ce qui délie l'homme de la nature, qui ne participe qu'à la perte Faustienne. Pour en rester au Grand Troupeau, Regotaz, qui veille à ce que la bride des mulets soit correctement liée de façon à ce qu'ils ne puissent endommager l'écorce des arbres, alors que Regotaz sait que le déluge de fer et de feu va, selon toute probabilité, engloutir ces mêmes arbres prochainement, n'est pas juste un personnage secondaire un rien décoratif et hors du temps et de l'histoire, non, il fait signe.

Colimasson a écrit:
C’est une mélancolie que distille alors Jean Giono, comme s’il avait compris dès la fin de la guerre qu’il ne serait plus possible de vivre comme les paysans de son histoire. La guerre ne serait pas vraiment la responsable mais plutôt un symptôme parmi tant d’autres indiquant la perte des valeurs propres à une communauté et à une époque dépassée.
Oui et non. Il ne croit pas que l'époque soit soit dépassée, ou révolue. S'il y a dépassement, ce serait par un chauffard à tombeau ouvert, qui aurait la particularité d'aller droit à sa perte prochaine pour la seule motivation de griserie et de "toujours plus". Mais il y a un germe d'espérance dans Giono, s'élever contre vaut la peine (voir son essai Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix). On relève que, bien des années plus tard, le volet environnement de l'Internationale Situationniste par exemple, aujourd'hui les alter-éco, les décroissants et pas mal d'autres se sont appropriés ces vues (ré-appropriés serait plus juste, puisqu'elles proviennent, après tout, de la civilisation humaine la plus ancienne et la plus continue, et diffusée sur les cinq continents en des temps ou ceux-ci n'étaient guère reliés entre eux).

Le paradigme de Giono ne reproduit pas une notion du type de celle de paradis perdu par la faute de l'être humain qui bravé l'interdit de la consommation du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, ou quelque chose d'approchant. Ce n'est pas non plus un exégète-adorateur de Gaia ou quoi que ce soit de cette veine-là.  

Giono croit en une société fondée sur la paysannerie et l'artisanat, additionné de petit commerce local qui soit aussi peu spéculatif que décemment possible. N'étant guère animé par les héritages encore si vivaces aujourd'hui des Lumières, du Scientisme et du Marxisme sur les notions de progrès et de sens de l'histoire, ne voyant pas dans l'homme un démiurge qui fût animé de la moindre bonté (un pillard pulsionnel et porté à l'incurie la plus irresponsable, qui attente non seulement aux siens mais à son propre giron nourricier, la Terre, celle-ci serait le bien premier mais aussi le bien commun). Il est évident que cela passait pour extravagant, farfelu à son époque. Bien que la société gionesque ne soit pas utopique, puisqu'elle existe depuis la plus haute antiquité, puisque pas mal de peuplades vivaient encore de la sorte au temps de Giono, et, au reste, encore de nos jours la société humaine fonctionne encore ainsi pour des millions d'entre nos contemporains.

Pour l'aspect guerre et violence, ce revenu des plus bas cercles de l'enfer sur terre a milité (et on sait ce que cela lui valut) pour le pacifisme intégral; une position là aussi fort ancienne, biblique même s'il n'aurait pas trop aimé qu'on utilise ce terme. On peut croiser certains de ses essais, réfractaires surtout alors, dans leur contexte de parution, mais aujourd'hui encore -je pense à Refus d'obéissance- avec les positions d'un Etienne de La Boëtie dans le Discours de la servitude volontaire.
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Bédoulène
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyMer 25 Juin 2014 - 22:13

Colimasson merci pour ton commentaire précis, argumenté, d'autant qu'il suscite une longue réponse attentive de Sigismond, ce qui profite aux Parfumés de la LC !
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyJeu 26 Juin 2014 - 8:49

Sigismond a écrit:

Le paradigme de Giono ne reproduit pas une notion du type de celle de paradis perdu par la faute de l'être humain qui bravé l'interdit de la consommation du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, ou quelque chose d'approchant. Ce n'est pas non plus un exégète-adorateur de Gaia ou quoi que ce soit de cette veine-là.  

Giono croit en une société fondée sur la paysannerie et l'artisanat, additionné de petit commerce local qui soit aussi peu spéculatif que décemment possible. N'étant guère animé par les héritages encore si vivaces aujourd'hui des Lumières, du Scientisme et du Marxisme sur les notions de progrès et de sens de l'histoire, ne voyant pas dans l'homme un démiurge qui fût animé de la moindre bonté (un pillard pulsionnel et porté à l'incurie la plus irresponsable, qui attente non seulement aux siens mais à son propre giron nourricier, la Terre, celle-ci serait le bien premier mais aussi le bien commun). Il est évident que cela passait pour extravagant, farfelu à son époque. Bien que la société gionesque ne soit pas utopique, puisqu'elle existe depuis la plus haute antiquité, puisque pas mal de peuplades vivaient encore de la sorte au temps de Giono, et, au reste, encore de nos jours la société humaine fonctionne encore ainsi pour des millions d'entre nos contemporains.

Merci effectivement pour cette réponse pleine de références et d'anecdotes, Sigismond.
Il me semble quand même que si Giono croyait en une société fondée sur la paysannerie et l'artisanat, on peut dire qu'il croyait en une époque qui est aujourd'hui révolue... il en pressentait sans doute déjà la fin au moment de l'écriture, sans que cela ne le rende totalement désespéré non plus.
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyMer 16 Juil 2014 - 20:31

L'homme qui plantait des arbres, 1953, conte ou nouvelle, une trentaine de pages.
Jean Giono - Page 11 L_homme_qui_plantait_des_arbres_de_jean_giono
Sans doute le texte de Giono le plus connu, il paraît qu'il fut fort répandu dans les salles de classes durant les années 1990/2000, et peut-être encore l'est-il aujourd'hui. Né de circonstances: une demande du Reader's Digest, pour leur rubrique "le personnage le plus extraordinaire que j'aie jamais rencontré"; Giono poste son texte et reçoit en retour une réponse chaleureuse, puis, quelques semaines plus tard, une autre de la même rédaction, qui le traitait d'imposteur, au motif qu'ils s'étaient rendu compte qu'Elzéard Bouffier n'était pas un personnage réel, mais né de l'imagination de Giono !

Marcelin Hogier a écrit:
De Giono, je ne connais que L'homme qui plantait des arbres. Je l'ai découvert "à l'envers" si l'on peut dire, puisque c'est en voyant le film d'animation du même nom : lecture de la nouvelle de Giono par Philippe Noiret, illustrations et animations par le génie absolu en la matière, Frédéric Back. Un grand grand moment d'animation. Evidemment, rien ne vaut la version DVD, parce qu'avec internet, la qualité est assez médiocre.

Attention, chef-d'oeuvre !

Spoiler:

Alors la moins mauvaise version que j'ai pu répertorier, de l'opus du Québécois Frédéric Back dit par Philippe Noiret est celle-ci.
Les bruitages/fond sonore comme les exceptionnels dessins sont remarquables, et Philippe Noiret brillant, à un bémol (qui se veut constructif) près: il parle un français oïl et non oc, c'est juste regrettable ces "e" supprimés, "r" non marqués, pas d'accent tonique ni de scansion détachée, etc..., ce qui dépare le texte, ça ne convient pas à du Giono "dit": pour le reste Noiret est juste, très juste dans sa lecture, applaudissons !

Il ne manque que l'avertissement de l'auteur et quelques phrases et bouts de phrases (dispensables, au reste, à mon humble avis) à cette version vidéo. Que cela ne vous empêche pas de vous emparer du livre !

colimasson a écrit:
Il me semble quand même que si Giono croyait en une société fondée sur la paysannerie et l'artisanat, on peut dire qu'il croyait en une époque qui est aujourd'hui révolue... il en pressentait sans doute déjà la fin au moment de l'écriture, sans que cela ne le rende totalement désespéré non plus.
L'homme qui plantait des arbres se prête à pas mal d'angles d'attaque pour le commenter, pourquoi ne pas continuer la conversation en te répondant:

Jeune homme, en 1913, Giono (le livre est écrit au "je" et ne laisse pas imaginer que le narrateur puisse être quelqu'un d'autre que l'auteur) se promenait dans des solitudes désertiques fouettées de vent.
Citation :
je me trouvais devant une désolation sans exemple. Je campais à côté du squelette d'un village abandonné. Je n'avais plus d'eau depuis la veille et il me fallait en trouver. Ces maisons agglomérées, quoique en ruine, comme un vieux nid de guêpes, me firent penser qu'il y avait dû y avoir là, dans le temps, une fontaine ou un puits. Il y avait bien une fontaine, mais sèche.

Donc on a déjà une référence à un antan qui fut, sinon prospère, vivable, ce qui n'est plus le cas en 1913.
Citation :
Mais toute vie avait disparu.

S'ensuit une comparaison bestiale, fauve, brutale à propos du vent qui y règne:
Citation :
C'était un beau jour de juin avec grand soleil, mais, sur ces terres sans abri et hautes dans le ciel, le vent soufflait avec une brutalité insupportable. Ses grondements étaient ceux d'un fauve dérangé dans son repas.
On note le contraste "beau jour de juin", "grand soleil" introductif - même dans ces conditions printanières idéales l'endroit est (devenu) inhospitalier, animalement sauvage, mais de façon qui inquiète.
Marchant encore il aperçoit une silhouette qui sera celle du berger, qui donne à boire (la vie, l'espoir) "à sa gourde".
Citation :
Cet homme parlait peu, c'est le fait des solitaires. Mais on le sentait sûr de lui et confiant dans cette assurance. C'était insolite dans ce pays dépouillé de tout. Il n'habitait pas une cabane mais une vraie maison en pierre où l'on voyait très bien comment son travail personnel avait rapiécé la ruine qu'il avait trouvée là à son arrivée. Son toit était solide et étanche. Le vent qui le frappait faisait sur les tuiles le bruit de la mer sur les plages.
Ce n'est pas le même vent ? On sent ce berger en décalage avec l'environnement hostile, et agissant vertueusement dessus; on le sent aussi peu ébranlable.
Citation :
Son ménage était en ordre, sa vaisselle lavée, son parquet balayé, son fusil graissé; sa soupe bouillait sur le feu; je remarquais alors qu'il était aussi rasé de frais, que tous ses boutons étaient solidement cousus, que ses vêtements étaient reprisés avec le soin minutieux qui rend les reprises invisibles.
 Il me fit partager sa soupe (...). Son chien, silencieux comme lui, était bienveillant, sans bassesse.  
L'absence totale de laisser-aller pour un tel solitaire est peinte avec une grande minutie; peu à peu, Elzéard Bouffier s'impose. On est à la fois piqué de curiosité, et déjà dans un grand respect.

Plus loin:
Citation :
Il avait jugé que ce pays mourait par manque d'arbres. Il avait résolu de remédier à cet état de choses.
Le dessein est simple, d'une évidence absolue. Les moyens, plus que basiques, à disposition de tout un chacun; et ce dessein est accompli par un homme seul, pas vraiment en secret, il ne se cache pas, mais en marge, sans en alerter quiconque ni demander aide ou secours, ni même qui a droit sur ces sols.
Citation :
Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires.
Puis on laisse là l'homme qui plantait des arbres pour un interlude bref (mais vous êtes familiers de Giono, ces quelques lignes vous parlent):
Citation :
Nous nous séparâmes le lendemain.
 L'année d'après il y eut la guerre de 14 dans laquelle je fus engagé pendant cinq ans. Un soldat d'infanterie ne pouvait guère y réfléchir à des arbres.  
Contraste entre celui qui donne la vie dans son désert, et la réalité du soldat, trempé dans la mort qui rôde en permanence.

Le berger ne s'est pas du tout occupé de la guerre et a continué, imperturbable, son oeuvre de vie.
Sa forêt (son oeuvre-vie) est quasi-indestructible à présent. Et, très important:
Citation :
La création avait l'air, d'ailleurs, de s'opérer en chaînes. Il ne s'en souciait pas; il poursuivait obstinément sa tâche, très simple. Mais, en redescendant par le village, je vis couler de l'eau dans des ruisseaux qui, de mémoire d'homme, avaient toujours été à sec.

Chère Colimasson, nous arrivons à ceci:
L'état de désolation et d'hostilité est anthropique. Mais un homme seul sans moyens (Elzéard Bouffier n'est pas un démiurge, ni un faiseur de miracles, encore moins un surhomme) peut remédier à ceci. Pour cela je crois que Giono a toujours été animé d'une espérance, au fond, pour le genre humain, même si ledit genre humain se fourvoie ou se dévoie sans cesse (et surtout collectivement).

Citation :
Si on l'avait soupçonné, on l'aurait contrarié. Il était insoupçonnable. Qui aurait pu imaginer, dans les villages et les administrations, une telle obstination dans la générosité la plus magnifique ?

Pour illustration de ce rejet du collectif, des structures, de cette incroyance envers les systèmes humains en place, ce passage:
Citation :
En 1935, une véritable délégation administrative vint examiner la forêt naturelle. Il y avait un grand personnage des Eaux et Forêts, des techniciens. On prononça beaucoup de paroles inutiles. On décida de faire quelque chose, et, heureusement, on ne fit rien (...).


Après avoir noté la métamorphose des charbonniers d'avant Elzéard Bouffier ("leur condition était sans espoir", superbe passage, un des plus beaux, mais je ne peux quand même tout citer  Laughing ) et ce qu'ils sont devenus après (le charbonnier pille la ressource naturelle, la véhicule à la ville, est en concurrence "sur tout", etc...), la vie restituée "plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier", passons à la conclusion, qui vaut leçon, et me laisse en tous cas penser que dans l'esprit de Giono les impasses, déprédations, dégradations, pillages, folies du monde moderne ne sont pas irréversible, il y a de l'espoir:
Citation :
Quand je réfléchis qu'un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu'il a fallu de constance dans la grandeur d'âme et d'acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d'un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette oeuvre digne de Dieu.
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyVen 18 Juil 2014 - 10:46

Un livre qui confirme donc l'espoir qu'investit Giono vis-à-vis de l'humanité... le symbole du bélier n'était donc pas anodin Wink
Merci pour ce beau rapport de lecture Sigismond.
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyVen 18 Juil 2014 - 15:46

colimasson a écrit:
Un livre qui confirme donc l'espoir qu'investit Giono vis-à-vis de l'humanité... le symbole du bélier n'était donc pas anodin Wink
Oui Elzéard Bouffier est le bélier, si l'on aime les raccourcis décapants. Valable aussi pour le couple Panturle/Arsule de Regain.
Après, est-ce que Giono ne révise pas sa conception à partir du cycle du hussard ?
Il me semble que oui, et qu'il erre, dans sa seconde manière, dans les affres d'une vision de désespérance relativiste se voulant lucide à la, disons, Louis-René des Forêts, c'est l'analogie qui me vient en premier à l'esprit.
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyJeu 14 Aoû 2014 - 18:49

De la part d'igor (qui pense à vous)

Sur France inter à 20.30 du 12 au 15 aout
des entretiens passionnants avec Giono, qu'on peut évidemment podcaster
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyJeu 14 Aoû 2014 - 19:04

topocl a écrit:
De la part d'igor (qui pense à vous)

Sur France inter à 20.30 du 12 au 15 aout
des entretiens passionnants avec Giono, qu'on peut évidemment podcaster
Un grand merci Igor et Topocl !   tousensemble
Je note pour écouter en postcast !
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptySam 16 Aoû 2014 - 14:20

Remercie-le bien de notre part.
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyDim 17 Aoû 2014 - 8:14

topocl a écrit:
De la part d'igor (qui pense à vous)

Sur France inter à 20.30 du 12 au 15 aout
des entretiens passionnants avec Giono, qu'on peut évidemment podcaster

merci à vous deux !

nous aussi pensons à lui !
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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyDim 28 Sep 2014 - 14:34

Le chant du Monde

Antonio l’homme du fleuve part avec Matelot à la recherche de son besson à cheveux rouges parti avec un chargement de bois sur le fleuve et qui n’est jamais revenu. Ils se heurtent à Maudru, chef Bouvier, qui lui aussi est à la recherche du Besson, pour lui avoir volé sa fille Gina.

Jean Giono a une écriture bien à lui. Les mots mis dans la bouche de ces hommes de la forêt, du fleuve sont très simples à peine finis mais arrivent à leur but par leur identification aux éléments avec lesquels ils vivent et qui font partis d’eux-mêmes. Les mots sont forts et quand on le lit on sent la nature, on la vit. En le lisant j’ai l’impression d’avoir beaucoup appris sur cette nature dont il parle si bien et qui m’enchante et sur le mode de vie de certains hommes de cette époque. Il se passe des choses assez dramatiques mais le récit reste positif, lumineux. On ne tombe jamais dans un récit tortueux et sombre.

-J'ai été marié, dit-il au bout du silence. La fille d'un tanneur. Combien les peaux? Tant. J'ai jamais démordu de ma vie, mais l'habitude est l'habitude. On entrait, on buvait le coup. Elle allait au placard, elle essuyait les verres, elle les donnait: un à toi, un à moi, pan sur la table. Elle apportait la bouteille. Elle versait. Elle penchait la tête en versant. Pour regarder au ras du verre et pas renverser la liqueur. Un jour àla ferme ma soeur me sert. Penche-toi un peu plus, je lui dis. Non, pas pareil. Tout le jour j'ai vu devant moi l'autre penchement. Rien de pareil. Ni ça, ni les doigts, ni le geste. Rien que d'aller au placard, de l'ouvrir, de prendre les verres, de se tourner et de venir vers la table où je suis; rien que ça. Tu aurais pu mettre mille femmes, pas une n'y serait arrivée. Elle, elle le faisait. Je ne sais pas.....A la fin je l'ai demandée. Elle a dit oui.

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MessageSujet: Re: Jean Giono   Jean Giono - Page 11 EmptyDim 28 Sep 2014 - 19:23

Le chant du monde est d'une grande beauté.
Merci pour ce commentaire, et pour tous les autres, riches et documentés !
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