Le père Tralalère, création collective d’ores et déjà
Cette pièce, Le père tralalère, est née il y a deux ans à partir de plusieurs mois d’improvisations. Elle est donc l’œuvre collective d’une compagnie, la compagnie D’ores et déjà. Cette compagnie s’est constituée en 2002, autour d’un petit groupe d’amis comédiens et du metteur en scène attitré, Sylvain Creuzevault, aussi comédien. Pour cette pièce, tout le monde s’est mis au travail autour d’un thème proposé par le metteur en scène, le thème de « la fuite des origines ». Et c’est finalement au théâtre de la Colline qu’elle se joue en cette année 2009.
Une fois le thème lancé, les comédiens un peu perplexes écoutèrent leur metteur en scène qui proposait alors un travail tout en ayant son idée en tête : un dîner de famille qui permet d’introduire le thème en question devenu commun et idéal. Il ne restait plus qu’à trouver la forme propre à cette œuvre. La compagnie a trouvé la sienne : elle déshabille la mise en scène, mettant les acteurs au cœur de la représentation qui change chaque soir au gré des improvisations. Cependant, l’unité réside dans le déroulement : toujours en quatre mouvements, autour d’une table installée entre les gradins bifrontaux.
L’histoire relate des dîners où parents et amis sont réunis à plusieurs reprises autour d’une table dans une maison en Bretagne. C’est d’abord pour le mariage de Léo et Lise, ensuite pour une galette des rois qui tombe peu après la naissance de l’enfant d’amis et, enfin, pour l’anniversaire de Lise, fille de l’hôte, qui annonce par la même occasion qu’elle est elle-même enceinte. Le père (la mère est absente) est à chaque fois heureux d’accueillir les amis de sa fille Lise, mais aussi son autre fils, le frère cadet de Lise, un ami présentateur prétentieux de télévision et un de ses employés maladroits.
Le climat semble calme et bon jusqu’à ce que le comportement excentrique de l’un ou les mots insensés de l’autre jettent une ombre de désolation fatidique sur ces réunions. Il apparaît peu à peu que la famille est en état de décomposition avancée jusqu’à, paroxysme absolu, l’annonce de la mort imminente du père due à un cancer. Notons que ce cancer est prévisible. En effet, au beau milieu du repas de mariage, les comédiens se mettent à chanter « un beau jour, dit le cancer, j’aurai son âme et ses baskets », sur l’air de « Pirouette, cacahuète ». Dès lors, c’est le chaos total. Ils dérapent sans cesse et exécutent ce que leur inconscient leur dicte ou ce qu’ils ont en tête, mais n’osaient partager : ils quittent la table à tout va, se mettent nus et copulent, se livrent à une séance de torture ponctuée d’un meurtre symbolique ou encore se suicident. Les comédiens cassent alors l’excellence de leur performance pour reproduire des comportements qui rendent la pièce originale et osée, mais créent un état de perplexité chez le spectateur au premier rang d’un spectacle qui ne ménage pas sa sensibilité.
Soulignons le jeu de haute voltige de l’ensemble de la troupe ainsi que la disposition scénique et le thème qui bien qu’universel reste ancré dans la modernité fait de cette pièce, une pièce contemporaine dans tout l’intérêt du terme. Et, soulignons aussi la judicieuse utilisation du nu : une première fois, le père meurt, donc quoi faire si ce n’est retourner à notre condition primaire d’animal et forniquer. Ou, une autre fois, Lise est enceinte alors comment se vêtir si ce n’est en retournant la nudité du mammifère qu’est l’humain et qui a d’abord enfanté nu. Une pièce qui est donc admirablement contemporaine
Cependant, j’ai comme l’impression qu’ils s’en contentent, rendant ainsi insuffisant ce qu’ils proposent aux spectateurs. J’ai du mal à voir où veut en venir le metteur en scène et sur quelle piste de réflexion il souhaite nous lancer. Il apparaît donc, à mes yeux, que la pièce n’a tout simplement pas de trame de fond et que, bien que très esthétique et admirablement construite, elle est bien trop superficielle et laisse le spectateur sur sa faim. La remarque qui risque de traîner dans toutes les têtes après la représentation n’est autre que : « Oh la vache, impressionnant ! Mais pourquoi ? à quoi bon proposer une pièce tellement travaillée et riche si, au final, il n’y a rien derrière susceptible de susciter le moindre intérêt intellectuel ? »
Bref, si je n'avais pas été voir cette avec ces attentes, j'aurais tout simplement adoré.
S. Paradise