Octave Mirbeau

Octave Mirbeau (1848-1917) est né à Trévières (Clavados). A quinze ans, il se fait renvoyer de son collège jésuite.
Il monte à Paris en 1872, et devient le secrétaire particulier d'un Maréchal. Il fut journaliste au service des bonapartiste puis critique d'art, romancier et dramaturge, pamphlétaire.
Il débute dans l'écriture en qualité de "nègre", mais finalement se libère de cette charge pour publier son premier roman : Le calvaire en 1866 qui lui apporte le succès. Par la suite, il rédige Le journal d'une femme de chambre, et le Jardin des Supplices (1899).

J'avais lu il y a deux ans environ Le journal..., dans lequel Célestine, une jeune femme de chambre au service de différentes familles bourgeoises, consignait dans son journal tous les vices et les aspects "sombres" de ces familles en apparence irréprochables.
J'ai donc eu envie de replonger dans l'univers de Mirbeau, et j'ai opté pour le jardin, oeuvre considérée comme un modèle de décadence (et pour cause !).
Le narrateur, qui a subi un important échec politique, se voit dans l'obligation de "changer d'air"; il se voit confier une mission scientifique (il ne connait rien à la science, cela dit) dans une île reculée aux fin fond des mers...Il s'y rend donc en bateau; sur celui-ci, il va rencontrer miss Clara, une jeune anglaise, archétype de la femme fatale de la fin du siècle, mystérieuse et perverse, qui se rend à Canton, ville qu'elle connait bien. Le narrateur, fasciné par sa beauté,va la suivre jusqu'à Canton. Celle-ci va alors lui faire découvrir les moeurs raffinées de la Chine, qui sait, selon Mirbeau, varier ses supplices...Face aux executions, Clara, très loin d'en être horrifiée, semble plutôt éprouver du plaisir.
Dans ce roman, l'amour et la mort entretiennent des rapports ambigus, puisque Clara déclare elle-même que ces deux choses sont identiques. De même, la beauté est liée à l'horreur, la cruauté : dans le jardin des supplices, les plus belles et plus rares fleurs cotoient les gibets et les potences. Le sang des condamnés sert de terreau à la terre, qui produit des fleurs encore plus belles...

J'ai vraiment aimé ce roman, son rythme, l'importance des exclamations, des répétitions; on est très rapidement happé par la folie de Clara, ses névroses. Le contrepoint apporté par le narrateur, qui ne parviendra jamais à partager sa jubilation vis-à-vis du sang, est très intéressant.
D'autre part, le roman revient sur la question posée par Sade (Mirbeau s'est d'ailleurs inspiré des 120 journées de Sodome), à savoir : peut-on tout faire impunément sous prétexte que cela procure du plaisir à certains ?

Merci d'avoir créé ce sujet.
Je n'ai pas encore lu Le jardin des supplices (même si c'est dans mes projets à plus-ou-moins-long-terme), mais j'ai littéralement dé-vo-ré le Journal ... cette année. J'en suis arrivée à cette lecture à cause des cours, et d'un sujet d'exposé qui me paraissait intéressant, je l'ai donc choisi avec mon ami et ai découvert ce roman atypique où la jolie Célestine nous fait voir toutes les horreurs du beau monde. Il faudrait que je relise ce roman, car je n'en ai déjà plus grand souvenir, mais je sais qu'il m'a profondément marquée. Les considérations de Célestine/Mirbeau (la jeune femme est en partie porte-parole de l'auteur et en parti figure repoussoir) demeurent très actuelles et aisément transposables à la vie d'aujourd'hui. L'écriture est vivante, il s'y mêle imparfaits du subjonctif et grossièretés avec un naturel assez étonnant : bien sûr, on n'est pas dupe de l'avertissement de Mirbeau qui dit avoir reformulé de vrais mémoires, mais au final il se dégage de ce livre une telle force, une telle énergie, qu'on se laisse assez facilement prendre au jeu.
Et puis, on ne reste pas indifférent aux idées de Mirbeau, qui nous peint une société pourrie dont les fondements sont vermoulus depuis longtemps et qui tient encore, tant bien que mal, avec toutes ses aberrations. Le journal ... diffuse en effet les idées anarchistes de l'auteur - même si certains anarchistes l'ont critiquée parce qu'ils la trouvaient ... Trop pessimiste ! En somme, Le journal serait un roman qui mène à des lendemains qui ne chantent pas ... Pas génial pour le moral, tout ça.
Outre cela, ce livre n'est pas dénué d'humour et d'émotion ... (la scène des bottines ! ) Je serais assez curieuse de voir l'adaptation qu'en a fait Bunuel au cinéma ...
Un ouvrage à découvrir et à redecouvrir, en somme !

Pour terminer, un petit extrait :

Citation :

"On ne se doute pas de tous les embêtements dont sont poursuivis les domestiques, ni de l’exploitation acharnée, éternelle qui pèse sur eux. Tantôt les maîtres, tantôt les placiers, tantôt les institutions charitables, sans compter les camarades, car il y en a de rudement salauds. Et personne ne s’intéresse à personne. Chacun vit, s’engraisse, s' amuse de la misère d' un plus pauvre que soi. Les scènes changent ; les décors se transforment ; vous traversez des milieux sociaux différents et ennemis ; et les passions restent les mêmes, les mêmes appétits demeurent. Dans l’appartement étriqué du bourgeois, ainsi que dans le fastueux hôtel du banquier, vous retrouvez des saletés pareilles, et vous vous heurtez à de l’inexorable. Enfin de compte, pour une fille comme je suis, le résultat est qu’elle soit vaincue d' avance, où qu' elle aille et quoi qu' elle fasse. Les pauvres sont l’engrais humain où poussent les moissons de vie, les moissons de joie que récoltent les riches, et dont ils mésusent si cruellement, contre nous..."

Je ne saurais être plus enthousiaste, et vous recommande une dernière fois cette lecture

Je suis en pleine découverte des 21 jours d'un Neurasthénique. La narration y est plus que décousue car Mirbeau se joue de la forme romanesque tout en casant bon nombre de contes déjà parus dans la Presse (avec des variantes des Contes Cruels). Drôle et grinçant, féroce et douloureux, ce "recueil" d'une prose très orale se lit facilement et avec beaucoup de plaisir !

La grève des électeurs



4ème de couverture
« Les moutons vont à l’abattoir, ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. »

Mon avis

L’actualité électorale du moment ne pouvait pas mieux convenir !!
La grèves des électeurs….vaste programme que nous propose Octave Mirbeau dans ce court et très incisif texte, paru pour la première fois dans Le figaro en 1888. Il fallait oser publier cela !!! Il fallait oser défendre, dans un vénérable quotidien l’abstention. De nos jours, de tels articles n’auraient aucune chance de voir le jour.
Au-delà d’une apologie à l’abstention, il faut y voir une réflexion sur le sens même d’une arme redoutable qu’est le vote. Choisir celle , celui, ou ceux qui vont diriger nos institutions, en même temps que d’être l’expression d’une liberté chèrement acquise au fil des années au prix parfois énorme, est aussi une forme de conditionnement. Et c’est cela qui peut déranger…
A qui donne-t-on le droit de vote ? Comment choisit-on celles et ceux que le votant va être amené à choisir ? Quelle part de la volonté individuelle de chacun des votants respecte-t-on réellement ? Quelle part de manipulation y a-t-il dans tout cela ?
Je me garderais bien de répondre, si tant est que je détienne les solutions. Ces quelques pages m’ont juste davantage engagée vers un questionnement, quitte à bousculer quelques certitudes…

Citation :

« Plus bête que bête, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher, et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit. »

Et même si Octave Mirbeau avait raison, quel est le citoyen qui n’irait pas se battre pour ce droit -là ?

ça me donne envie de me relire "Le Jardin des supplices" que je lisais au bahut
autant dire, il y a très longtemps !

ça m'avait laissé un souvenir pas nécessairement marquant mais un objet littéraire qui m'avait très intrigué ..et surtout que j'avais lu d'une traite (sans doute le plus bel hommage que l'on puisse faire à une oeuvre de mots et de papier)

J'ai donc commencé la lecture du Journal d'une femme de chambre... rigolo mais pas de quoi fouetter un canard. Les 21 jours d'un neurasthénique sont-ils un peu plus percutants ?

colimasson a écrit:

rigolo mais pas de quoi fouetter un canard.

Ach so !

Je le trouve génial !

tina a écrit:

colimasson a écrit:

rigolo mais pas de quoi fouetter un canard.

Ach so !

Je le trouve génial !

En lecture audio j'avais passé des heures délicieuses avec un sourire au coin des lèvres ! Le souvenir est encore très présent ....

Peu de romans trouvent grâce à tes yeux en ce moment Coli! Tu es très Philosophie...philosophie....

J'avais envie de le lire. Peut-être que je serai de l'avis d'Eglantine et de Tina.  

colimasson a écrit:

J'ai donc commencé la lecture du Journal d'une femme de chambre... rigolo mais pas de quoi fouetter un canard.

Benoît Jacquot est en train de l'adapter avec Léa Seydoux au cinéma.

pia a écrit:

Peu de romans trouvent grâce à tes yeux en ce moment Coli! Tu es très Philosophie...philosophie....

J'avais envie de le lire. Peut-être que je serai de l'avis d'Eglantine et de Tina.  

Arf, c'est vrai... mais je le trouve longuet pour ne pas dire grand-chose, et pas assez méchant pour me faire rire... je retrouve un peu le style "dénonciateur hypocrite de l'hypocrisie" qui m'avait lassée aussi avec les Liaisons dangereuses de Laclos. Une forme de dénonciation ironique peut-être pas aboutie ?

colimasson a écrit:

Arf, c'est vrai... mais je le trouve longuet pour ne pas dire grand-chose, et pas assez méchant pour me faire rire... je retrouve un peu le style "dénonciateur hypocrite de l'hypocrisie" qui m'avait lassée aussi avec les Liaisons dangereuses de Laclos. Une forme de dénonciation ironique peut-être pas aboutie ?

Dénonciateur hypocrite de l´hypocrisie? Bon je vais voir pour le Mirbeau. Je n'avais pas ressenti ça pour les Liaisons dangereuses. Je ne l´avais pas vu comme une dénonciation. Mais peut-être était-ce son propos... Bon je l'ai lu, il y a pas mal de temps tout de même. J'avais trouvé ça assez abouti. Je m'étais dit que je n'aurais pas survécu à la cour!!

Mais si... toutes ces magouilles et petits complots perfides devaient avoir de quoi se rendre la vie palpitante...

J'ai peut-être en moi quelque chose d'une intrigante alors.....

Pas marché...



Le journal d’une femme de chambre sent bon la poussière du siècle dernier. Ce n’est pourtant pas son côté dépassé –qui aurait aussi pu être la source d’un charme suranné- qui le dessert. L’ironie elle-même a perdu de son mordant et pourtant, Mirbeau se démène pour être cynique. Mais peut-être ne l’est-il pas assez subtilement…


La soubrette Célestine écrit son journal en le remplissant de fiel et d’anecdotes venimeuses pour critiquer tout le petit monde bourgeois qui l’entoure et qui l’exploite. Les ragots servent à dénoncer le colportage, les rêves matérialistes à contrer l’instinct propriétaire, l’avidité à dénoncer le gaspillage et la prostitution à se moquer de l’adultère et de la lubricité. Le résultat aurait pu être piquant et mauvais mais la sauce n’a pas pris. Octave Mirbeau se présente tel une Célestine élevé au degré supérieur : il fait beaucoup de tapage pour pas grand-chose.

Citation :

« Vraiment, moi qui aime tant les tentures claires, les vastes divans élastiques où l'on s'allonge voluptueusement sur des piles de coussins, et tous ces jolis meubles modernes, si luxueux, si riches et si gais, je me sens toute triste de la morne tristesse de ceux-là... Et j'ai peur de ne pouvoir jamais m'habituer à si peu de confortable, à un tel manque d'élégance, à tant de poussières anciennes et de formes mortes... »

*peinture d'Audrey Flack