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| Witold Lutoslawski | |
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Auteur | Message |
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Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Witold Lutoslawski Lun 22 Sep 2008 - 19:44 | |
| Witold Lutosławski 1913-1994 Il est né à Varsovie dans une famille de propriétaires terriens, il avait deux frères aînés. Ses premières années se sont déroulées dans la propriété familiale de Drozdów. En 1915, l’avancée de l’armée allemande pousse la famille à fuir à Moscou. Là, le père de Witold Lutosławski aura des activités politiques, et sera fusillé avec son frère par les bolcheviques en 1918. La mère de Witold, Maria rentrera avec ses fils dans le nouvel état polonais, et la famille va s’installer à nouveau à Drozdów. Ensuite la famille ira vivre à Varsovie, où Witold, qui a pris ses première leçons de piano dès six ans avec sa mère, suivra des cours chez un professeur privé, puis dans un conservatoire où il apprendra aussi le violon. A partir de 15 ans il commence également à étudier la composition avec Witold Maliszewski. Il passe son bac en 1931 et commence des études de mathématique, qu’il abandonne au bout de deux ans pour se consacrer entièrement aux études musicales. Ses œuvres sont jouées très tôt, la première étant Harun al Raszyd, alors que le compositeur n’a que vingt ans. Il termine ses études en 1937, et présente à cette occasion plusieurs œuvres, auxquelles il n’accordera toutefois pas grande importance, il considérait que son véritable début en tant que compositeur était Les variations symphoniques, jouées pour la première fois en 1939. Il projetait ensuite de partir continuer ses études musicales à Paris, chez Nadia Boulanger, mais le déclenchement de la deuxième guerre mondiale rend impossible ce voyage. Pendant le début de la guerre Lutosławski a été mobilisé dans les transmissions, il a été fait prisonnier par l’armée allemande mais a pu s’enfuir et revenir à Varsovie, où il a pu retrouver sa mère et son frère aîné. Son deuxième frère, Henryk quand à lui a été fait prisonnier par les soviétiques, déporté au goulag de la Kolyma, où il est mort un an après. Pendant la guerre Lutosławski survit en jouant dans des cafés, il fonde aussi un duo de piano avec Andrzej Panufnik (lui aussi compositeur). C’est dans un café qu’il joue qu’il rencontre sa future femme, Danuta. Il n’a que peu composé pendant l’époque de l’Occupation, il commence toutefois la composition de sa 1ere symphonie. Après la guerre, il essaye de participer activement à la vie musicale polonaise, il devient secrétaire et trésorier de l’Association des Compositeurs polonais. En 1947 il termine la Première Symphonie, qui sera crée en 1948. Mais dès 1949, les autorités décident d’appliquer à la musique le principe du réalisme socialiste au cours d’un congrès international. Pendant l’exécution de la Première Symphonie de Lutosławski, des délégués soviétiques quittent ostensiblement la salle, et le compositeur accusé de formalisme est sommé de composer en respectant les prescriptions idéologiques. Il s’y refusera, et vivra en composant des musiques sur commande, pour la radio ou les théâtres, ainsi qu’en faisant des arrangements de musique folklorique, écrivant des chansons pour les enfants et même de variété. En 1956, un dégel politique permet à Lutosławski d’être de nouveau joué, c’est aussi l’époque où il commence à élaborer un nouveau langage musical, qui lui sera propre. Il est important de remarquer, que même s’il a revendiqué les influences des compositeurs tels que Bela Bartok ou Debussy, l’isolement politique du pays a fait que pendant longtemps il a été coupé de la musique contemporaine occidentale, et qu’il a du créer son propre langage musical. Il a abandonné la musique tonale, et a crée un langage harmonique original, basé sur les douze sons de la gamme chromatique, distinct de celui de Schönberg. La première œuvre dans le nouveau langage que Lutosławski va construire progressivement est La musique funèbre en mémoire de Bela Bartok, crée en 1958. Il s’est aussi intéressé à la musique aléatoire, mais l’a aussi fait à sa façon, l’aléatoire limité ou contrôlé, en fait dans son système, toutes les notes sont indiquées alors que le rythme et la dynamique ne sont notés qu’approximativement dans certaines parties des œuvres. Le passage de la notation fixe à la notation libre soumet la musique à des états de tension. La première œuvre qui fait appel à cette technique sont Les jeux vénitiens achevés en 1961. La création du festival L’automne de Varsovie, consacré à la musique contemporaine va permettre à Lutosławski de trouver un lieu où faire jouer et connaître sa musique, y compris à l’étranger. En 1962 il peut aller aux USA et donner un cours de composition à Tanglewood et rencontrer des compositeurs comme Varèse. En 1963 il commence une activité de chef d’orchestre, mais il dirigera uniquement ses propres œuvres. Il composera de plus en plus d’œuvres sur commandes pour des interprètes prestigieux, comme son Concerto pour violoncelle pour Rostropovitch, Les espaces du sommeil pour Fischer-Diskau, où la Troisième Symphonie pour l’Orchestre de Chicago. Après l’instauration de l’état de siège en décembre 1981, il refuse toute apparition officielle en Pologne, et s’engage auprès de l’opposition. Il meurt le 7 février 1994. Il n’a composé qu’un nombre relativement restreint d’œuvres, certaines ont mis des années à être livrées au public, perfectionniste, il n’hésitait pas à les remanier. Malgré ses recherches formelles il était très soucieux de composer des œuvres qui soient accessibles au public, qui touchent et émeuvent. C’est une musique que je trouve personnellement étonnamment facile d’accès, je l’ai découvert alors que je ne connaissais pas grand-chose à la musique classique, et j’y suis rentrée immédiatement. Elle dégage une grande émotion, elle est très sensible, avec des sonorités somptueuses. C’est uniquement en réécoutant les œuvres que l’on réalise que c’est une musique très complexe, élaborée, construite de façon savante. On continue donc à chaque écoute à découvrir de nouveaux éléments, des détails passés inaperçus, chaque instrument de l’orchestre est utilisé, peut être pas de la façon la plus spectaculaire, mais tout en finesse, et il est difficile d’appréhender immédiatement l’ensemble. J’ai encore eu l’occasion de voir Lutosławski diriger, pour son 80em anniversaire en 1993, un certain nombre de concert ont été donnés à Paris, et j’ai assisté à l’exécution de la 3eme symphonie et des Chantefables et Chantefleurs par l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Dans cette année anniversaire, il a participé à des émissions sur France Musique, il parlait parfaitement le français (langue qu’il a utilisé pour la plupart de ses pièces vocales, en particulier en utilisant des poèmes de Robert Desnos et Henri Michaux) comme d’ailleurs l’allemand et l’anglais. J’ai vu aussi des émissions de télé qui lui ont consacrées et lu un certain nombre de textes où il parle de sa musique. L’ensemble donne l’image d’un homme très discret. J’ai été en particulier frappé par un critique musical polonais qui l’avait en principe très bien connu, et qui expliquait que Lutosławski était un homme très sociable, qui recevait des musiciens et des gens intéressés par sa musique très volontiers et très fréquemment, discutait volontiers musique, littérature ou autre sujet mais ne parlait jamais de lui-même, la seule personne véritablement proche de lui étant son épouse (morte la même année que lui). Ce critique a aussi raconté à quel point le fait d’être interdit de concert, ne plus pouvoir avoir de contact avec le public, a été difficile à vivre pour Lutosławski, le plongeant dans une véritable dépression, au sens médical du terme. Or lui-même interrogé sur cette période et sur ses difficultés disait que cela n’avait eu rien de dramatique, alors que des gens étaient emprisonnés ou assassinés, sa mise à l’indexe n’était à côté pas grand-chose, et qu’un compositeur pouvait toujours composer et mettre cela dans un tiroir en attendant. Rien sur sa maladie, ses difficultés matérielles. Un homme bien élevé ne parle pas de ces choses-là en quelque sorte. Cette discrétion se retrouve aussi à mon sens dans la façon qu’il a de diriger ses œuvres, sans jamais rien d’ostentatoire ni de spectaculaire. C’est très raffiné, élégant, analytique, et subtil, mais je trouve que sa musique pourrait être jouée d’autres façons, plus intense et plus émotionnelle et par moments plus somptueuse et sensuelle aussi. Je trouve que la version de la 3em symphonie par Esa-Pekka Salonen est dans cette optique très réussie. Malheureusement, rares sont les interprétations occidentales de Lutosławski, il a été enregistré lui-même dans la quasi-totalité de son œuvre, et ces versions sont en général rééditées, ou alors on invite ou enregistre des orchestres et chefs polonais, qui pour la plupart ont connu le maître, et qui sont très respectueux de sa façon d’interpréter sa musique et qui en sont les plus proches possibles. Je ne remets bien sûr pas en cause les partis pris du compositeurs, je trouve simplement qu’un musique aussi riche mérite plusieurs versions différentes avec des approches multiples. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Lun 22 Sep 2008 - 19:45 | |
| La 1ere Symphonie (1947) Je vais tenter de parler de quelques œuvres de Lutosławski, qui me paraissent intéressantes ou significatives. Pour commencer j’ai voulu aborder une œuvre de jeunesse qui précède la mise au point par le compositeur d’un langage musical propre et original et qui s’enracine encore dans les diverses influences qu’il a assimilées pendant sa période de formation. Lorsqu’on évoque cette étape de son œuvre, on cite plus volontiers Les variations symphoniques, je trouve toutefois que dans la 1ere Symphonie les influences et les racines de la musique de Lutosławski sont plus clairement visibles. Le compositeur a commencé à écrire la 1ere Symphonie en 1941, mais ne l’a terminé qu’en 1947, sa première exécution date du 1er avril 1948, sous la direction de G. Fitelberg, à qui elle est dédiée. Elle eu un très grand succès à sa création, toutefois très rapidement l’œuvre est accusé de « formalisme » et interdite au nom du réalisme socialiste dans l’art. C’est une œuvre classique dans sa forme, elle comprend quatre mouvements : 1. Allegro giusto, 2. Poco adagio, 3. Allegretto misterioso, 4. Allegro vivace. Le premier mouvement est un allegro de type sonate et le troisième un scherzo. Dans cette œuvre Lutosławski montre déjà incontestablement ce qui sera un des points forts de sa musique, une extraordinaire qualité d’orchestration, cet aspect de sa musique est peut être la trace la plus sensible de l’héritage de Debussy sur Lutosławski. Mais la 1ere Symphonie est aussi l’œuvre où l’influence de Bartok est la plus apparente, avec les ruptures de rythme, et de lointaines réminiscences de musiques folkloriques, totalement transformées. Le premier mouvement très dynamique, d’une folle énergie, d’une riche imagination. Les deux mouvements suivants, ou mouvement lents, sont plus consacrés à l’exploration de différentes associations sonores, et à mon sens manquent un peu de continuité, d’idée directrice. L’énergie et l’inventivité reviennent en partie dans le dernier mouvement. Assez traditionnelle de forme, et en fin de compte beaucoup moins personnelle que d’autres œuvres de Lutosławski, la 1ere Symphonie est une sorte d’inventaire de son métier de compositeur avant l’affirmation de son langage musical propre. Ce n’est sans doute pas sa production la plus intéressante, mais elle à connaître si on s’interroge sur la genèse de son œuvre. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Lun 22 Sep 2008 - 19:48 | |
| Musique funèbre (en mémoire de Bela Bartok) 1958 Lutosławski a découvert la musique de Bela Bartok pendant l’époque de la deuxième guerre mondiale, il a étudié ses œuvres entre autres les Quatuors et la Musique pour cordes percussion et célesta, et on sent l’influence du maître hongrois en particulier dans la 1ere Symphonie. En 1954, Jan Krenz demande à Lutosławski une œuvre pour commémorer le dixième anniversaire de Bartok. Ce sera la Musique funèbre, achevée seulement en 1958 et crée la même année par Jan Krenz. Le compositeur à écrit sur cette composition - Citation :
- « En écrivant mon œuvre je n’essayait pas d’imiter la musique de Bartok, et d’éventuelles ressemblances avec elle ne sont pas dans la Musique funèbre le résultat d’un but conscient. Si ces ressemblances existent réellement, elles confirment encore une fois de façon incontestable le fait que l’étude de l’œuvre de Bartok a été une des leçons essentielles reçues par la majorité des compositeurs de ma génération »
(la traduction est approximative étant de moi). C’est une œuvre charnière dans le parcours musical de Lutosławski, c’est en effet la première composition qui est écrite suivant une écriture propre que le compositeur a mis au point, basée sur une série de douze notes. La Musique funèbre est une œuvre très courte de moins de 14 minutes. Elle est composée de 4 parties, jouées enchaînées : 1. Prologue 2. Métamorphoses 3. Apogée. 4. Epilogue. Il s’agit bien d’une musique funèbre qui contient une très forte charge émotionnelle, elle traduit très fortement le sentiment de perte et de deuil. C’est finalement un peu paradoxale, mais cette œuvre qui est l’aboutissement d’un travail de réflexion théorique sur la musique soit une composition aussi émouvante, faisant directement appel à un sentiment fort et immédiatement identifiable par l’auditeur. Mais cela est une des caractéristiques de la musique de Lutosławski, qui considérait que tout le métier et réflexion du compositeur, bien qu’indispensables ne devait pas interdire à l’auditeur, même peu familier de la musique contemporaine, de pouvoir avoir accès cette dernière. C’est de l’avis de beaucoup une des œuvres les plus abouties du compositeur. Elle est pour moi tout simplement saisissante, la première partie exprime une souffrance et une tension qui vont crescendo, presque jusqu’à l’insupportable. La deuxième partie exprime aussi cette montée de la douleur, d’une autre façon, plus discordante. La troisième très courte (moins d’une minute) me fait toujours l’effet d’un écrasement, comme si une pierre tombale s’abattait. Enfin la dernière partie, exprime une douleur plus réflexive, mais en même temps irrémédiable. Peu de musiques rendent aussi bien le sentiment de perte, de tristesse, le fait qu’un monde entier disparaît d’une façon définitive et irremplaçable à la mort d’une personne. A éviter les jours de déprime, mais à écouter et à réécouter sans modération le reste du temps, et à faire écouter à ceux qui pensent que la musique contemporaine est incapable de transmettre des sentiments et des émotions. | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Lun 22 Sep 2008 - 20:51 | |
| Merci Arabella, réelle découverte, je viens de me laisser tenter par ceci:
ici | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Lun 22 Sep 2008 - 20:57 | |
| Un excellent choix Marie, sans doute le meilleur parmi les disques actuellement accessibles. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Mar 23 Sep 2008 - 19:31 | |
| Jeux vénitiens 1961 Cette œuvre a été écrite pour la Biennale de Venise, d’où son titre, lors de la Biennale, l’œuvre n’était pas terminé, et l’exécution le 24 avril 1961 l’a été d’une œuvre incomplète. L’ensemble a été joué pour la première fois le 16 septembre de la même année, dans le cadre du festival Automne de Varsovie sous la direction de Witold Rowicki. Il s’agit d’une œuvre pour orchestre de chambre, d’une durée de moins de 13 minutes. Il s’agit de la première œuvre dans laquelle Lutosławski a utilisé la technique de l’aléatoire contrôlé, dans lequel toutes les notes sont indiquées, mais le rythme et la dynamique ne le sont que partiellement, en fait il y a enchaînement de moments où tout est indiqué et des moments de liberté laissée aux interprètes. La succession des deux doit produire un effet de fluidité, de souplesse. Les jeux vénitiens comportent quatre parties, qui doivent être jouées en continu. La première partie est la plus libre et la plus écrite la deuxième. Il y a une véritable progression, la première partie constitue une sorte d’introduction et la dernière un épilogue quelque peu mystique. On cite toujours cette œuvre lorsqu’on parle de Lutosławski, néanmoins beaucoup de commentateurs semblent penser que ce n’est pas forcement son ouvrage le plus accompli, c’est la première utilisation du fameux aléatoire contrôlé qui en fait l’intérêt principal. Cette technique, encore plus élaborée et surtout avec un intérêt musical plus poussé, trouve peut être son aboutissement dans Les trois poèmes d’Henri Michaux. Mais vu la complexité énorme de cette dernière œuvre, je ne me suis pas sentie en mesure d’en parler. Pour une fois j’ai pu trouver un extrait musical pour illustrer l’œuvre : http://lutoslawski.org.pl/index.php?option=com_content&task=view&lang=en&id=141 | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Mar 23 Sep 2008 - 19:48 | |
| Merci Arabella, ça m'intéresse vraiment, parce que c'est encore une musique que j'ai du mal à "comprendre".
Donc, toute explication/explicitation/présentation/analyse est la très bien venue. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Mer 24 Sep 2008 - 23:38 | |
| Merci beaucoup Arabella! Passionnant! Je n'avais pas encore vu que tu avais ouvert ce fil que j'attendais impatiemment...
Je suis très frustré de ne pas avoir sous la main un enregistrement de la musique funèbre en hommage à Bartok. Je pressens une œuvre exceptionnelle.
Je vais prendre le temps de te relire et d'écouter les extraits. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Jeu 25 Sep 2008 - 0:31 | |
| Merci Itunes! J'ai pu trouver la plupart des enregistrements. Je suis en terrain familier... Bartok est tout près mais il va plus loin dans le sérialisme. Quelle musique majestueuse et complexe! J'ai réécouté le concerto pour orchestre où la filiation avec Bartok est la plus évidente. Peut-être la musique la plus accessible pour entrer dans son univers. Toutes ces merveilles à découvrir... | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Jeu 25 Sep 2008 - 19:28 | |
| Je suis ravie si cela vous intéresse, c'est le genre de choses qu'il n'est pas toujours de faire partager, alors si j'ai pu succité une envie chez quelques Parfumés tant mieux. | |
| | | Cachemire Sage de la littérature
Messages : 1998 Inscription le : 11/02/2008 Localisation : Francfort
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Jeu 25 Sep 2008 - 22:08 | |
| Il y a quelques mois, j'ai entendu en concert le concerto pour orchestre. Cette oeuvre m'a déroutée...merci de ces commentaires qui, comme pour eXpie, me permettent de mieux comprendre. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Lun 29 Sep 2008 - 19:36 | |
| La troisième symphonie 1983 Cette œuvre a été composée suite à une commande de l’Orchestre Symphonique de Chicago et a été crée par cette orchestre, dirigé par Sir Georg Solti le 29 septembre 1983 pour l’ouverture de la saison. Les premières esquisses de la Troisième Symphonie datent de 1972, ce qui montre à quel point le compositeur mûrissait et perfectionnait ses œuvres avant de les livrer au public, il était tout particulièrement soucieux de fournir une œuvre très aboutie à un très grand orchestre. Lutosławski était fasciné par les symphonies de Beethoven, mais il pensait que le modèle de la symphonie idéale étaient plutôt les symphonies de Haydn, il admirait également l’œuvre symphonique de Brahms, même s’il se sentait complètement épuisé après son écoute. La troisième symphonie est jouée de façon continue, même si elle est sensée comporter deux parties, précédés d’une brève introduction, et suivies d’un épilogue et d’un coda. La première partie doit préparer la deuxième, le compositeur a écrit - Citation :
- « ..j’ai finis par tomber sur cette forme symphonique en deux mouvements conçus de façon ) ce que le premier mouvement soit la véritable préparation du deuxième : s’il peut intéresser, voire enthousiasmer l’auditeur, il ne doit en aucun cas lui donner satisfaction entière. Ainsi, lorsqu’il s’achève, le public devra brûler d’impatience d’écouter la suite, quelque chose de plus important – et c’est à ce moment précis que débute le deuxième mouvement, présentant l’idée centrale de toute la composition. »
C’est une œuvre très dense, avec une accentuation rythmique prononcée. Quatre coups violents ouvre et ferment la symphonie, ils seront également présents à d’autres moments forts, pour passer d’une partie à une autre. Cela installe tout de suite une grande tension et une forte émotion, et constitue pour la plupart des commentateurs une référence à la cinquième symphonie de Beethoven, et donne un caractère dramatique à l’œuvre. Il y a une montée en intensité dans l’œuvre, au départ le compositeur utilise tout son art de l’orchestration en utilisant tous les instruments à sa disposition, dans une musique diaphane et élégante, mais progressivement une montée en puissance se dessine, avec un véritable déchaînement de toute la puissance de l’orchestre, ce qui n’est pas tellement fréquent dans l’œuvre du compositeur, à environ deux tiers de l’œuvre, qui est le véritable l’apogée de la symphonie, ces masses sonores deviennent quasi démoniaques, effrayantes et dévastatrices et écrasent l’auditeur. Lutosławski s’est vigoureusement défendu d’avoir voulu donner un message politique, ou extra musical à sa symphonie. Néanmoins, la date de sa création, et l’engagement du compositeur dans l’opposition, ainsi que sa création polonaise en 1984 dans une manifestation de l’opposition politique au régime en place, ont contribué à des interprétations politisées du contenu de l’œuvre, malgré toutes les dénégations du compositeur. C’est une de ses œuvres les plus jouées et le plus enregistrées, j’aime beaucoup écouter à la suite la version du compositeur, élégante et raffinée, et celle d’Esa-Pekka Salonen, tendue et hallucinée. Un petit extrait : http://lutoslawski.org.pl/index.php?option=com_content&task=view&lang=en&id=142 | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Mer 8 Oct 2008 - 2:47 | |
| - Arabella a écrit:
La troisième symphonie 1983
progressivement une montée en puissance se dessine, avec un véritable déchaînement de toute la puissance de l’orchestre, ce qui n’est pas tellement fréquent dans l’œuvre du compositeur, à environ deux tiers de l’œuvre, qui est le véritable l’apogée de la symphonie, ces masses sonores deviennent quasi démoniaques, effrayantes et dévastatrices et écrasent l’auditeur.
Je viens de l'écouter et c'est sidérant! Démoniaque en effet! J'aime énormément. Dommage qu'il ne soit pas plus joué en concert... Ce doit être impressionnant. J'aime tout particulièrement l'usage qu'il fait des percussions (des xylophones et des claves surtout). C'est très dense avec une sacrée montée en puissance. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Ven 13 Mar 2009 - 23:13 | |
| Trois poèmes d'Henri Michaux
Composé en 1962, ces trois poèmes pour choeur et orchestre (sans cordes) prolongent le travail dont Arabella a parlé à propos des "Jeux vénitiens". Il traduit la violence et la résignation des vers de Michaux par l'utilisation de motifs aléatoires "contrôlés", les voix et les groupes instrumentaux se rejoignant parfois mais à des rythmes indépendants les uns des autres... Le résultat est assez chaotique et m'a rappelé un peu vocalement ce que Ligeti a fait avec Aventures et nouvelles aventures. Une musique difficile mais intense, surtout si on a en tête le texte de Michaux.
Ceux qui sont hermétiques à ces recherches musicales seront au moins intéressés par les poèmes de Michaux:
1- Pensées Penser, vivre, mer peu distincte; Moi - ça - tremble, Infini incessamment qui tressaille.
Ombres de mondes infimes, ombres d'ombres cendres d'ailes.
Pensées à la nage merveilleuse, qui glissez en nous, entre nous, loin de nous, loin de nous éclairer, loin de rien pénétrer;
étrangères en nos maisons, toujours à colporter, poussières pour nous distraire et nous éparpiller la vie.
2- Le grand combat
Il l'emparouille te l'endosque contre terre ; Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ; Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ; Il le tocarde et le marmine, Le manage rape à ri et ripe à ra. Enfin il l'écorcobalisse. L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine. C'en sera bientôt fini de lui ; Il se reprise et s'emmargine... mais en vain Le cerceau tombe qui a tant roulé. Abrah ! Abrah ! Abrah ! Le pied a failli ! Le bras a cassé ! Le sang a coulé ! Fouille, fouille, fouille Dans la marmite de son ventre est un grand secret Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ; On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne Et vous regarde, On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.
3- Repos dans le malheur
Le malheur, mon grand laboureur, Le Malheur, assois-toi, Repose-toi, Reposons nous un peu toi et moi, Repose, Tu me trouves, tu m’éprouves, tu me le prouves. Je suis ta ruine. Mon grand théâtre, mon havre, mon âtre, Ma cave d’or, Mon avenir, ma vraie mère, mon horizon. Dans ta lumière, dans ton ampleur, dans mon horreur, Je m’abandonne. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Witold Lutoslawski Dim 15 Mar 2009 - 21:49 | |
| Je vais terminer en parlant de mon oeuvre préférée, et donc de celle pour laquelle il est bien sûr le plus difficile de faire un commentaire. En fait, je vais juste profiter d'un livre que j'ai reçu cette semaine, une grosse somme en deux volumes et plus de 900 pages consacrées au compositeur, et je vais juste vous traduire tant bien que mal ce que les auteurs, Danuta Gwizdalanka et Krzysztof Meyer écrivent. Au passage, je signale que Krzysztof Meyer a écrit une excellente biographie de Chostakovitch, traduite en Français et si vous aimez ce compositeur, c'est vraiment passionnant. Les espaces du sommeil Il s'agit d'une oeuvre de moins de quinze minutes, destiné à un orchestre symphonique et une voix de baryton, que l'auteur qualifiait de poème symphonique. Le texte est de Robert Desnos, et je vous reproduit le poème : Les espaces du sommeil Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du monde et la grandeur et le tragique et le charme. Les forêts s'y heurtent confusément avec des créatures de légende cachées dans les fourrés. Il y a toi. Dans la nuit il y a le pas du promeneuret celui de l'assassin et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère et celle de la lanterne du chiffonnier. Il y a toi. Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage des pays où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de l'aube. Il y a toi. Un air de piano, un éclat de voix. Une porte claque. Un horloge. Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels. Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse. Il y a toi l'immolée, toi que j'attends. Parfois d'étranges figures naissent à l'instant du sommeil et disparaissent. Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme des feux d'artifice charnus. Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures. Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne. Et l'âme palpable de l'étendue. Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d'il y a 2,000 ans et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers. Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde et des essieux qui grincent sur des routes médusantes. Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire. Mais qui, présente dans mes rêves, t'obstines à s'y laisser deviner sans y paraître. Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve. Toi qui m'appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion mais qui n'approches ton visage du mien que mes yeux clos aussi bien au rêve qu'à la réalité. Toi qu'en dépit d'un rhétorique facile où le flot meurt sur les plages, où la corneille vole dans des usines en ruines, où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb. Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon esprit plein de métamorphoses et qui me laisses ton gant quand je baise ta main. Dans la nuit il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres. Dans la nuit il y a les merveilles du mondes. Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens mais il y a le sommeil. Dans la nuit il y a toi. Dans le jour aussi. L'oeuvre a été composé pour Dietrich Fischer-Dieskau, Lutosławski, a eu l'occasion de l'entendre à Varsovie en 1973, et il écrit à son sujet : - Citation :
- ...il est comme un gigantesque miroir grossissant de l'oeuvre d'un compositeur. Malheureusement, il y en a tant, parmi même les très grands, qui sont uniquement des miroirs déformants.
Le compositeur et le célèbre baryton se mettent d'accord pour la composition d'une oeuvre sur le poème de Desnos. Lutosławski préférait des poèmes surréalistes, car il trouvait que la poésie des sentiments et des images convenait mieux à un travail de composition. Dans Les espaces du sommeil, il trouvait que la forme, avec ses répétitions rappellant presque un refrain et le point culminant de la fin, lui permettait une construction musicale qui l'interessait depuis des années. La composition de l'oeuvre est terminée à la fin de l'année 1976, la création avec DFD interviendra à Berlin en 1978. L'oeuvre commence par une brève introduction de l'orchestre, suivie par quatre épisode reprenant les quatre premières strophes du poème. Les trois premières commencant par Dans la nuit, et se terminant par ...il y a toi;qui se retrouve aussi dans la quatrième strophe; ces introducitions et conclusions de chaque strophe ayant un motif musical caractéristique, alors que la ligne vocale est de type récitatif, alors que les mots Dans la nuit et il ya toi, sont par excellence mélodiques, ce qui les fait ressortir d'avantage. Ces quatre strophes constituent la première partie de l'oeuvre, que le compositeur a qualifié Allegro. La deuxième partie est constituée des deux strophes suivantes (Adagio), la musique ralentit, faiblit, il ya une succession de différentes sonorités de l'orchestre. Nous arrivons enfin à la troisième partie (Allegro), dans laquelle nous approchons du point culminant de l'oeuvre. La tension monte de prhrase en phrase, l'orchestre est de plus en plus puissant, au point que la voix humaine n'est plus audible. Et à la fin, la tension brusquement se relâche, et le soliste devient de nouveau l'élément essentiel, et chante la dernière strophe, qui prend du coup un relief extraordaire. Il y a une telle osmose entre le texte et la musique, que j'ai du mal à imaginer l'un sans l'autre, il y a vraiment correspondance entre les deux oeuvres simplement miraculeuse. | |
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