Lou Ye

Marko a écrit:

La confusion des sentiments au pays de Confucius, lui-même (le pays) en pleine schizophrénie depuis une dizaine d'années, c'est un sujet intéressant. La confusion est aussi, hélas, dans le script et, surtout, la mise en scène de Nuits d'ivresse passagère dont le montage s'ingénie à brouiller les pistes (faut-il chercher à savoir qui couche avec qui, pour comprendre). Pour quelques moments de grâce (rares), il faut supporter des scènes à peine éclairées, des étreintes sexuelles très crues et ... des portables qui sonnent toutes les 5 minutes. Lou Ye, cinéaste doué, voudrait nous faire comprendre qu'il est un artiste (maudit) avec un grand A, qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Désolé, ce film suinte la prétention et l'affèterie alors qu'il ne fait que raconter (mal) de brèves histoires d'amour dont l'originalité ne saute pas aux yeux. Si ce n'est, bien entendu, qu'elles bravent l'interdit en Chine, au même titre que les agissements underground dans Téhéran, un film bien moins poseur et qui a le mérite d'être cash du début à la fin.

traversay a écrit:

Désolé, ce film suinte la prétention et l'affèterie alors qu'il ne fait que raconter (mal) de brèves histoires d'amour dont l'originalité ne saute pas aux yeux.

Je pense évidemment tout le contraire. L'ambition artistique n'est pas nécessairement de la prétention ou de l'affèterie. C'est une errance poétique qui ne veut raconter rien d'autre que cette circulation et cette fragilité du lien amoureux et du désir en symbiose avec les changements de la nature comme dans les nouvelles de Yu Dafu. Et il le fait avec une certaine grâce même si le film n'est pas parfait. Le scénario n'est pas toujours le plus important au cinéma. Je préfère d'ailleurs souvent ce genre de cinéma impressionniste à des histoires trop linéaires, artificiellement ou lourdement écrites.

Marko a écrit:

traversay a écrit:

Désolé, ce film suinte la prétention et l'affèterie alors qu'il ne fait que raconter (mal) de brèves histoires d'amour dont l'originalité ne saute pas aux yeux.

Le scénario n'est pas toujours le plus important au cinéma. Je préfère d'ailleurs souvent ce genre de cinéma impressionniste à des histoires trop linéaires, artificiellement ou lourdement écrites.

J'ai bien compris que pour toi le cinéma est avant tout une expérience sensorielle. Je trouve que c'est une approche plus qu'intéressante et assez peu courante chez les cinéphiles que je connais ou lis. On m'a dit un jour que je regardais les films avec une vision d"historien, ce qui m'avait fait bondir. Ca ne doit pas être faux quand même mais je recherche avant tout l'adéquation d'une histoire et d'une mise en scène. Enfin, c'est un peu plus compliqué mais ce serait trop long à expliquer. Quoi qu'il en soit, chacun a son propre prisme et c'est ce qui fait l'intérêt d'un forum comme Parfums où chacun peut exprimer sa propre opinion sans se faire traiter de bachibouzouk.
PS : jette un oeil sur le fil Daniel & Ana, j'aimerais que tu me dises ce que tu penses du choix du réalisateur de montrer plutôt que de suggérer (tu vois ce que je veux dire).

traversay a écrit:

On m'a dit un jour que je regardais les films avec une vision d"historien, ce qui m'avait fait bondir. Ca ne doit pas être faux quand même mais je recherche avant tout l'adéquation d'une histoire et d'une mise en scène.

J'ai souvent eu l'impression, de manière plus générale, qu'en matière d'univers artistique on a préférentiellement tendance à avoir soit une perception analytique, ancrée dans le réel, attachant de l'importance à l'histoire, au contexte socio-politique, aux ressorts dramatiques dans un prolongement de la littérature ou du théâtre... soit une tendance plus abstraite, plus ou moins détachée du réel, sensorielle, poétique et fuyant les conventions narratives. Mais heureusement ce ne sont que des tendances et j'espère qu'on peut aimer les 2. J'aime aussi les bonnes histoires bien racontées.

Nuits d'ivresse printanière de Lu Ye fait partie de ces films qui distillent une poésie et une mélancolie urbaines comme Wong Kar Wai savait le faire dans sa première période (de "Nos Années sauvages" aux "Anges déchus" et à "Happy Together" auquel on ne peut pas ne pas penser). Il y a une même fébrilité dans ces déambulations nocturnes, cette ronde des désirs entre ces hommes et ses femmes qui s'aiment, se déchirent, glissent de l'un à l'autre jusqu'à créer une certaine confusion quant à leurs identités (je n'arrivais plus à certains moments à reconnaitre qui était qui). Même climat élégiaque renforcé par une musique superbe de Peyman Yazdanian (une des plus belles musiques de films de ces derniers mois) qui fait parfois écho aux tangos de Piazzola ou aux mélodies de Shigeru Umebayashi, des envolées "électro" en plus de temps en temps (belle traversée de la discothèque) . L'atmosphère est constamment entre chien et loup, illustrant merveilleusement bien le texte de l'écrivain Yu Dafu qui est régulièrement cité dans le film et rythme les épisodes flottants de cette histoire.



Lou Ye aborde l'homosexualité et la bisexualité de manière frontale et a du, pour éviter la censure, tourner clandestinement. J'ai rarement vu filmer le désir, les étreintes, l'affection entre hommes aussi bien que dans ce film (Almodovar savait le faire aussi dans "La Loi du désir" et Wong Kar Wai dans "Happy Together", entre quelques rares autres). Il faut se laisser emporter par ce récit sensoriel qui épouse les contours des frémissements de la nature à cette période du printemps. Il n'y a pas véritablement d'histoire même s'il y a une évolution mélodramatique, et le Prix du Scénario obtenu à Cannes est surprenant tant c'est l'aspect du film le moins marquant. Il y a peut-être quelques longueurs mais je l'aime beaucoup tel qu'il est, filmé dans l'urgence, captant subtilement le désarroi existentiel de ses personnages.

Une vidéo de Lu Ye parlant du film et de l'écrivain Yu Dafu avec des extraits du film:

https://www.dailymotion.com/video/x9e373_dans-l-oeil-de-lou-ye_shortfilms

Dans une fleur de lotus on peut voir le monde entier

Le débat sur le film au "cercle" de Canal + qui lui est très favorable malgré les réticences de Philippe Rouyer. Il n'aime pas l'esthétique "néo-Wong Kar Wai" mais je trouve que Lou Ye y apporte un aspect documentaire qui le renforce.

http://www.canalplus.fr/pid2960.htm

Si je trouve le temps, je me laisserais peut-être tenter par ce film. En tout cas, merci d'en avoir parlé, parce que je ne l'avais pas particulièrement remarqué.

Une petite mise à jour de mes notes, et je m'aperçois que je n'avais rien dit sur mon visionnage de ce film...


Nuis d'ivresse printanière m'avait particulièrement touchée, j'avais aimé la ville, la nature, dans laquelle les acteurs déambulent, se cherchent, se croisent, s'évitent, sont ensemble.

J'avais aimé les parties très poétiques, et les bouts de textes de YU Dafu.


Les acteurs étaient formidables, et je rejoins Marko sur l'excellente façon qu'a eu Lou Ye de filmer le désir, la tension qu'il génère, la force qu'il dégage.


Malheureusement, les sensations que m'avaient laissées ce film sont déjà loin, je suis obligée de les faire renaître en regardant des bouts d'extraits ou des images, mais je me rappelle que j'avais vraiment été happée par l'atmosphère douce et tendue à la fois de ce film.

Faudrait que je le revois.

Queenie a écrit:

Faudrait que je le revois.

Idem. J'aime beaucoup ce film. Et il est disponible en DVD!

Avis d'Aériale récupéré récupéré sur les sorties ciné 2007-2008 :

Aériale a écrit:

Une jeunesse chinoise de Lou Ye -(2h15-)

"Sexe ,Révolte et résignation en Chine": Ce film interdit par Pékin, est un récit d'apprentissage sincère qui mélange romance et tragédie, nostalgie et colère"

Un article en première page du Monde ce matin et largement développé plus loin.

"Une jeunesse chinoise "est une fresque ambitieuse autour d'une étudiante prise dans le tourbillon de ses sentiments, du sexe et des évènements de la placeTiananmen.
Remarqué au dernier festival de Cannes, le film sort en France aujourd'hui .Mais il est banni à Pékin.Et son auiteur, Lou Yé ,4Oans, est interdit de travail en Chine pendant cinq ans.
Dans un entretien ,Sylvain Bursztejn, le producteur dit que le pays " connait la schizophrénie la plus complète": d'un côté 5000 salles devraient ouvrir d'ici à 2010, et des cinéastes sont incités à tourner; de l'autre ,la censure interdit les sujets politiques et les scènes sexuelles ou violentes."

A voir donc pour se faire une opinion, la critique elle est assez élogieuse.:arrow:

Love and Bruises. Sorti le 2 novembre 2011.

Citation :

Hua, étudiante chinoise, habite à Paris depuis peu. Un jour, elle rencontre Mathieu, un jeune ouvrier qui tombe amoureux d’elle. Commence alors une histoire d’amour intense et passionnelle. Cette relation déstabilise Hua qui décide de repartir en Chine. Jusqu’à ce qu’elle prenne conscience de l’importance qu’a prise Mathieu dans sa vie.

En tournant en France, Lou Ye n'a pas changé de style. Love and Bruises, le titre est explicite, épouse la brutalité des sens dans des étreintes sauvages qui n'exhalent ni sensualité ni tendresse. L'acte amoureux, répétitif, est un combat acharné. Le cinéaste chinois ne donne que peu de clés sur la psychologie de ses personnages. L'ouvrier musulman, fruste, est incapable d'exprimer ses sentiments autrement que par la force. Sa maîtresse chinoise, déboussolée, se perd dans une sexualité erratique. Ils sont tous les deux comme en exil sur cette terre de France, clandestins qui se font l'amour et des bleus. Le film est viscéral, agaçant par la multiplication des scènes de sexe, avec une mise en scène qui donne le tournis, caméra à l'épaule. Qu'on aime ou pas, on ne peut pas dire que Lou Ye se compromet, il est toujours fidèle à ses convictions de réalisateur et à ses thèmes de prédilection.

Mystery

Citation :

Lu Jie est loin d'imaginer que son mari Yongzhao mène une double vie, jusqu'au jour ou elle le voit entrer dans un hôtel avec une jeune femme.
La vie de Lu Jie s'effondre alors, et ce n’est que le début...
La jeune femme meurt renversée par une voiture peu de temps après. Le policier en charge de l'affaire refuse de croire à un accident...

Interdit de tournage pendant 5 ans (il a tout de même réalisé deux films durant ce laps de temps), Lou Ye est de retour en Chine avec Mystery qui ne peut, une fois de plus, que vexer la censure par sa vision sans aménité de l'évolution de la société chinoise. Ce thriller, accompagné de plusieurs intrigues sentimentales, est un constat brutal de l'état des relations amoureuses dans un pays néo-capitaliste, fondées sur le mensonge, la duplicité et l'amoralité. Lesquels, exacerbés, exhalent une sensualité nerveuse et une violence induite. Le scénario est volontairement complexe, tarabiscoté à l'extrême sans que rien ne le justifie vraiment si ce n'est le choix de manipuler le spectateur et de le perdre sciemment. La mise en scène est brillante, souvent ampoulée, finit par s'imposer en force. On est loin des premiers films du cinéaste, notamment Suzhou River, mais même en n'étant pas entièrement conquis par Mystery, il faut reconnaître à Lou Ye un remarquable sens de l'image et une volonté courageuse de ne pas voir sa liberté de filmer confisquée.