LA MOSAIQUE DE LA GRANDE EPOQUE. - Ed. du Seuil. - 2OO8
C'est un roman plein d'histoires.
D'abord celle d'une population d'origine albanaise qui s'est installée en
Calabre au 15e siècle, chassée par les Turcs.
Et donc aussi une histoire de guerre, de violences, d'incendies, de fuite par la mer. Une histoire de crainte, de douleur et d'exil.
Une histoire de reconstruction et de refondation dans un autre pays.
Une histoire d'amour, d'amours. Et dans ce pays de vents qu'est la Calabre, le vent semble rendre aveugles et sourds ceux qui s'aiment.
"Le vent, donc. Ici, sur la colline de Hora, se croisent les vents qui soufflent de la Sila et de notre mer, du nord et du sud.
Un tourbillon frais ou chaud selon les saisons, qui en tous les cas vous ébouriffe les cheveux, vous arrache les pensées de la tete."
Ces histoires nous sont contées par un jeune narrateur, habitant du village
et descendant de cette communauté d'exilés.
Mais la parole est souvent donnée à Gojari, le maitre mosaiste du village qui reconstitue dans une mosaique l'histoire de ce peuple errant et de ses personnages.
"Gojari a reculé de trois pas pour embrasser du regard l'ensemble de la mosaique. Il semblait satisfait. Il y avait là des taches de couleurs nuancées, surtout de vert et de bleu.
Un désordre chromatique sans queue ni tete. Mais en regardant mieux, on distinguait, sur la proue d'un bateau rond, le visage ovale de la Vierge de
Constantinople, ainsi qu'un homme doté de la longue barbe des papas, comme jaillissant du brouillard : plus que de peur, leurs yeux me paraissaient emplis d'espoir."
L'histoire d'un peuple c'est son histoire officielle. Mais son existence se
fonde aussi sur la légende et le mythe qui légitiment et trancendent
la vie quotidienne, avec son lot de bruit et de fureur, mais aussi de plaisirs, de convivialité, de passions, de mystères, de trésors cachés...
Et de nouveaux arrivants fuyant l'Albanie où le communisme s'est écroulé,
et la misère.
Et puis l'histoire qui nous est contée au présent et au passé est aussi une sorte de vaste mosaique où les personnages et les faits s'assemblent et
s'imbriquent pour constituer une oeuvre cohérente.
Et sinon cohérente, du moins très vivante et très humaine.
"J'avais enfin l'impression de comprendre. Abacule après abacule, Gojari
exhumait notre mémoire, nous obligeait à nous souvenir.
Car, à bien y réfléchir, ces histoires étaient ensevelies au fond de nous comme de précieux trésors au fond de la mer, et la voix de Gojari, ses mains habiles, les attiraient à la surface.
Il ne tenait qu'à nous de les ignorer ou de les utiliser à notre guise dans
le présent, le "temps des illusions et des tromperies", ainsi que le définissait
Gojari, et quoi qu'il en soit notre temps."