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| Poésie et récitation | |
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+4monilet Steven animal coline 8 participants | Auteur | Message |
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coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Poésie et récitation Dim 20 Jan 2008 - 19:37 | |
| Ce n'est pas parce que c'est Jean Pierre Siméon qui le dit mais je suis tout à fait d'accord avec ce point de vue... "La récitation de la poésie, pour ma part, je n’en veux pas. Cette récitation dont j’ai fait les frais, comme beaucoup d’autres, je n’en veux pas. Je veux parler de la récitation dans son mode traditionnel : « pour la prochaine fois, vous apprendrez 10 vers et vous viendrez les dire devant les autres ». Et quand vous allez les réciter, vous vous entendez dire : « C’est bien ou c’est pas bien, tu ne sais pas ta leçon, 8/20 ou 19/20, etc... » Ce mode-là a été l'un des « tue-poésie » les plus affirmés. Pourquoi ? Parce que la récitation demande aux enfants une performance sans qu’on ait construit les compétences nécessaires à la réussite de cette performance. C’est un des rares cas de pédagogie où on demande à l’enfant un résultat, sans avoir préparé, de façon consciente ou programmée, les capacités de l’enfant à obtenir ce résultat. C’est injuste... Je parle de sa forme traditionnelle ; il y a plein de variantes, et les enseignants savent pallier à un certain nombre de difficultés, surtout ils savent pallier à l’insuffisance de formation dans ce domaine. Parce qu’il n’y a rien de plus difficile que lire un poème devant un public. Essayez, vous ! Devant un public d’enfants, c’est peut-être ce que vous savez le mieux faire. Mais devant un public de pairs ? C’est ce que l’on demande aux enfants. Vous, si vous deviez lire un poème, debout devant un public, et encore le lire, le dire par cœur plus exactement ? Avez-vous songé qu’aujourd’hui, on vous demande ça, là ? Qu’est-ce que cela suppose de maîtrise et quelle maîtrise ? Et quoi d’abord ? D’abord, affronter la peur terrible que cela suppose, sauf si l’on s’est donné pour tâche particulière, ou si l’on s’est valorisé en sachant l’affronter par rapport à ceux qui ont peur. Donc ce que je veux dire, c’est que je n’ai nullement l’intention de disqualifier en disant ça : l’enjeu, qui est très beau au demeurant, essentiel même, de dire à haute voix le poème, de l’oraliser, c’est un des modes d’accès à la poésie ; c’est un des modes d’appropriation : « Familiarisation avec le fait poétique »... Remarquez que cela n’implique pas automatiquement le « par cœur ». En fait , le problème est de savoir ce que l’on cherche. On peut rechercher que, parmi toutes les modalités d’appropriation de la poésie par l’enfant, il y ait celle-là, parmi d’autres, ni plus ni moins qu’une autre. Et à quoi elle sert, celle-là ? Elle sert pour soi-même, éventuellement si je dis un poème à haute voix pour moi tout seul dans ma chambre par exemple, mais je n’ai pas besoin de l’apprendre par cœur car je peux prendre mon livre et lire... Elle sert aussi à dire un poème devant un public ; mais après tout, devant un public, je peux aussi lire, je ne suis pas obligé de le réciter par cœur ! Regardez Antoine Vitez, il a lu Aragon pendant trois heures au festival d’Avignon et les gens n’ont pas bougé ; il ne savait pas par cœur, trois heures de poésie d’Aragon ! Et Michael Lonsdale, le comédien, qui fait souvent des James Bond, c’est un passionné de poésie ; il lit souvent de la poésie, il la lit, je ne l’ai jamais vu dire un poème par cœur. Laurent Terzief, un des grands lecteurs de poésie, etc. Bref... Le problème, ce n’est donc pas de savoir par cœur. C’est plutôt de savoir, devant un public, transmettre le poème de façon à ce que le public le reçoive. C’est ça l’enjeu. Et après, on peut se demander : est-ce que dans ce cas-là, le savoir par cœur c’est utile, indispensable, nécessaire ou facultatif, ou un empêchement ? Mais qu’est-ce qui est nécessaire pour savoir bien transmettre un poème à un public ? Pour moi, ce n’est pas la mémorisation qui me paraît première et essentielle, c’est un apprentissage raisonné et régulier de la diction du poème, dans toutes les classes de France. " Qu'en pensez-vous?...Quelles furent vos expériences à ce sujet comme élève ou comme professeur (ou autres)? | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Poésie et récitation Dim 20 Jan 2008 - 19:56 | |
| et bien... oui, ça a souvent ressemblé à une corvée pas tant l'apprentissage que la récitation d'ailleurs, mais. Il y en a un - nous devions choisir dans ceux qui trainaient dans les bouquins à l'école je crois- que j'ai donc "choisi" que j'ai eu beaucoup de mal à apprendre (et je me souviens d'un commentaire légèrement amusé du style "t'aurais mieux fait d'en trouver un autre")... dont je ne me souviens vraiment pas, que j'ai cherché et pas retrouvé. Et bien sans ce poème bizarrement choisi il me semble que je me serai complètement fermé à la poésie même si je n'en lis pas ou de façon exceptionnel et hasardeuse.
donc si ce n'est pas le pied ces méthodes "de base" ça laisse une chance de faire son chemin soi même, d'y trouver peut être ce qu'on a à y trouver.
pour la "récitation"... pourquoi ne pas s'entrainer de bonne heure à affronter ses semblables avec un masque bancal ? on doit être assez nombreux à pas mal pratiquer au quotidien...
et l'apprentissage "par cœur" c'est aussi un travail sur soi. ça peut paraitre idiot dans la forme mais je ne pense pas que ce soit inutile. | |
| | | Steven Zen littéraire
Messages : 4499 Inscription le : 26/09/2007 Age : 52 Localisation : Saint-Sever (Landes)
| Sujet: Re: Poésie et récitation Dim 20 Jan 2008 - 20:05 | |
| Une petit réponse très pratique : Lorsqu'un enfant de 6,7 ou 8 ans (qui correspondent à l'âge des enfants de ma classe) quitte la classe avec une poésie à apprendre à la maison pour lundi, ils connaissent dèjà cette poésie. Ils l'ont rencontrée, mise en scène, déclamée de manière tonitruante, à voix basse, en chuchotant à l'oreille, en parlant vite, en scandant les mots en... Et ce travail de mémorisation, primordial dans les différents apprentissages proposés aux enfants n'est pas soumis à une notation. Les enfants ont construit la manière de dire cette poésie (et par la même le sens de la poésie), ont pris du plaisir par le jeu, par la théâtralisation... Et les plus timides, introvertis savent qu'ils peuvent toujours venir la dire le jour de la récitation à l'oreille du maître s'ils sont vraiment trop mal. Voilà ce que j'essaye de mettre en oeuvre dans ma classe, sans doute parce que je garde un trop mauvais souvenir de ces moments de récitation lorsque j'étais moi même enfant. | |
| | | monilet Sage de la littérature
Messages : 2658 Inscription le : 11/02/2007 Age : 75 Localisation : Essonne- France
| Sujet: Re: Poésie et récitation Dim 20 Jan 2008 - 20:42 | |
| Je sors un peu du débat pour dire que l'oralisation d'un poème peut être une façon d'amplifier cette poésie. Je veux dire la lecture par un comédien ou quelqu'un de doué. J'ai assisté il y a deux ans je crois à une lecture publique de textes divers, essentiellement de la prose. Tous les lecteurs étaient bons. ce qu'il me reste aujourd'hui, c'est la lecture par un comédien de deux minuscules poèmes (traduits). le lecteur avait une voix de basse parfaitement appropriée au thème ( que j'ai oublié) et il faisait tellement vivre ces poèmes que l'effet sur moi a été absolument indicible de puissance et d'harmonie. | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Poésie et récitation Lun 21 Jan 2008 - 0:40 | |
| Dis donc, Steven, on doit se battre pour mettre ses enfants dans ta classe, non? En fait, il y a 2 choses, là. D'une part un poète qui ne voudrait pas que ses mots soient anonnés, et d'autre part l'intérêt du par coeur à l'école? Je crois quand même que les acteurs qui lisent Aragon 3 heures, même s'ils ne savent pas le texte par coeur, ont du travailler à leur lecture pendant des heures avant? C'est comme en musique, on ne commence à jouer bien un morceau que quand on ne réfléchit plus au déchiffrage..
Anecdote scolaire. J'étais une élève très médiocre, en fait comme on me répétait à longueur de journées que je n'arriverais jamais à rien, je m'efforçais de correspondre au modèle proposé. Et c'est une "récitation" qui m'a fait bouger un peu... C'était un prof de français , en 4 ème, qui avait demandé de réciter un texte au choix. Et j'avais récité Promenade de Picasso de Prévert, parce que ce texte, dit par Yves Montand, je l'entendais très souvent chez ma grand mère qui adorait Yves Montand.Que je l'aimais beaucoup parce que j'ai toujours aimé les associations d'idées. En plus, pas besoin d'apprendre, je le savais déjà par coeur. J'ai récité à la manière d'Yves Montand , et je me souviens encore du succès , et des annotations , plus tard du prof sur la feuille de fin de trimestre.. C'est là que j'ai commencé à comprendre que l'on n'était pas fatalement ce que l'on nous disait d'être. Et plus tard j'ai réalisé ce que peuvent être importants les regards et mots des enseignants à un moment donné... Je ne me suis jamais lassée de ce poème de Jacques Prévert! Que voici:
Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle une pomme pose Face à face avec elle un peintre de la réalité essaie vainement de peindre la pomme telle qu'elle est mais elle ne se laisse pas faire la pomme elle a son mot à dire et plusieurs tours dans son sac de pomme la pomme et la voilà qui tourne dans une assiette réelle sournoisement sur elle-même doucement sans bouger et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz parce qu'on veut malgré lui lui tirer le portrait la pomme se déguise en beau bruit déguisé et c'est alors que le peintre de la réalité commence à réaliser que toutes les apparences de la pomme sont contre lui et comme le malheureux indigent comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n'importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité le malheureux peintre de la réalité se trouve soudain alors être la triste proie d'une innombrable foule d'associations d'idées Et la pomme en tournant évoque le pommier le Paradis terrestre et Ève et puis Adam l'arrosoir l'espalier Parmentier l'escalier le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l'Api le serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pomme et le péché originel et les origines de l'art et la Suisse avec Guillaume Tell et même Isaac Newton plusieurs fois primé à l'Exposition de la Gravitation Universelle et le peintre étourdi perd de vue son modèle et s'endort C'est alors que Picasso qui passait par là comme il passe partout chaque jour comme chez lui voit la pomme et l'assiette et le peintre endormi Quelle idée de peindre une pomme dit Picasso et Picasso mange la pomme et la pomme lui dit Merci et Picasso casse l'assiette et s'en va en souriant et le peintre arraché à ses songes comme une dent se retrouve tout seul devant sa toile inachevée avec au beau milieu de sa vaisselle brisée les terrifiants pépins de la réalité.
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| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Poésie et récitation Lun 21 Jan 2008 - 8:27 | |
| Personnellement je n'ai que de bons souvenirs des récitations à l'école primaire. J'avais une bonne mémoire et il me suffisait d'entendre 2 ou 3 fois réciter mes camarades de classe pour savoir par coeur la récitation sans même l'avoir apprise. Malgré une grande timidité, j'étais tellement dans la poésie que je ne voyais pas les autres. Comme le disaient mes Maîtresses, je mettais bien le ton. J'ai toujours aimé lire ou réciter à haute voix même adulte.
Je pense que le "par coeur" est l'apprentissage de la mémorisation. Le fait de répéter à haute voix participe à cette mémorisation ; j'en ai gardé l'habitude de souvent accompagner par la voix ma frappe sur le clavier (ce que j'ai fait dans ma vie professionnelle quotidiennement)
à bientôt
Dernière édition par le Lun 21 Jan 2008 - 13:21, édité 1 fois | |
| | | Steven Zen littéraire
Messages : 4499 Inscription le : 26/09/2007 Age : 52 Localisation : Saint-Sever (Landes)
| Sujet: Re: Poésie et récitation Lun 21 Jan 2008 - 8:38 | |
| - Citation :
- Dis donc, Steven, on doit se battre pour mettre ses enfants dans ta classe, non?
Pas forcément, parce qu'on sent de plus en plus une demande de "rentabilité" (j'ai pas d'autres mots pour le qualifier), et qu'avec cette façon de faire, nous n'apprenons qu'une poésie par mois. Superbe poésie de Prévert ! | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Poésie et récitation Lun 21 Jan 2008 - 11:45 | |
| - Steven a écrit:
- Une petit réponse très pratique :
Lorsqu'un enfant de 6,7 ou 8 ans (qui correspondent à l'âge des enfants de ma classe) quitte la classe avec une poésie à apprendre à la maison pour lundi, ils connaissent dèjà cette poésie. Ils l'ont rencontrée, mise en scène, déclamée de manière tonitruante, à voix basse, en chuchotant à l'oreille, en parlant vite, en scandant les mots en... Et ce travail de mémorisation, primordial dans les différents apprentissages proposés aux enfants n'est pas soumis à une notation. Les enfants ont construit la manière de dire cette poésie (et par la même le sens de la poésie), ont pris du plaisir par le jeu, par la théâtralisation... Et les plus timides, introvertis savent qu'ils peuvent toujours venir la dire le jour de la récitation à l'oreille du maître s'ils sont vraiment trop mal. Voilà ce que j'essaye de mettre en oeuvre dans ma classe, sans doute parce que je garde un trop mauvais souvenir de ces moments de récitation lorsque j'étais moi même enfant. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Poésie et récitation Lun 21 Jan 2008 - 12:04 | |
| J'ai toujours aimé apprendre et réciter des poèmes, en lire aussi, dès la petite enfance...parce que cela correspondait, je pense, à mon caactère...Je peux même dire que c'était comme une douceur dans ma vie d'écolière, une douceur qui venait panser un peu les séquelles des angoisses vécues devant les problèmes de mathématiques! Chacun son truc, c'est là que se trouvaient réunies mon incompétence et ma terreur...
J'étais donc heureuse chaque fois qu'il y avait un nouveau poème à apprendre, je le recopiais avec le plus grand soin, je faisais avec application le dessin qui devait l'illustrer, j'apprenais sans peine...et de beaucoup de poèmes appris dans ma petite enfance je me souviens encore aujourd'hui, ce qui ne fut pas sans étonner ma fille, puis mon petit-fils ... Ensuite venait le plaisir de le "réciter"...le dire...
Donc, pour moi, pasde problèmeavec la poésie-récitation...Mais je me souviens encore du cauchemar que cela représentait pour mes deux frères...et pourde nombreux camaradesde classe... Lorsque j'enseignais (au collège) nombre d'élèves m'ont dit détester la poésie parce qu'elle était liée pour eux à cette chose abominable qu'est la "récitation"... Moi qui aime tellement la poésie, j'ai essayé de gommer ce lien néfaste...Je proposais beaucoup beaucoup de poèmes parmi les textes que nous abordions (plus que mes collègues, c'était reconnu) mais je n'ai jamais imposé à aucun élève d'apprendre et venir "réciter" un poème...Certains l'ont fait parce qu'ils aimaient ça, come je l'avais aimé, et parce que s'ils le faisaient c'était dans la plus grande liberté, sans sanction de note ou de commentaire... Connaissez-vous le bonheur qu'il y a à dire, à oraliser l'harmonie d'un poème?... Sans témoin, sans jugement, vous accordez-vous quelquefois de le faire? | |
| | | elena Posteur en quête
Messages : 81 Inscription le : 28/07/2008
| Sujet: Re: Poésie et récitation Mer 10 Sep 2008 - 23:24 | |
| je lis passionnément cet échange concernant la "récitation" poétique - avec huit mois de retard.
Le sujet abordé est des plus délicats, même des plus difficiles. Comment traduire à voix haute - sans tautologie, sans pléonasme, sans trahison - le charme particulier du poème écrit...
Prose ou vers, de toute manière, nous ne pouvons parler (à voix haute) sans soutenir le son de nos paroles de timbres, de hauteurs, d’intensités, de rythmes, dans une dépendance plus ou moins heureuse des sentiments qui gouvernent le choix de nos mots, et l’effet que nous cherchons à produire en parlant. La moindre banalité que nous proférons a son rythme, son timbre, sa hauteur et son inflexion... Même tout à fait inconscient, le "chant" existe toujours. ("As-tu bien fermé le frigo ? S'il te plaît tu me passes la télécommande. Je ne veux plus qu'Eric passe nous voir au milieu de la nuit"... Il est toujours instructif de surprendre l'inflexion de voix que nous venons d'avoir sans y penser. Mais il faut penser... à y penser.)
Aussi le lecteur bien intentionné peut déjà travailler l'émission vocale toute simple, toute pure. A partir de n'importe quel type de phrase, peu importe qu'elle soit improvisée ou travaillée...
Puis s'il s'agit du vers - du vers irréductible (composition des plus expressives, ou des plus rares, ou des plus singulièrement simples dont soit capable le langage écrit) (*) - on peut espérer du travail du lecteur, ou de l'acteur, une composition d’équivalente qualité dans son rendu sonore, une séquence d’inflexions choisies qui transpose à l’oreille, dans l’espace du lieu de la lecture, de la scène, d'où l'on veut ! cette recherche qui a déjà conduit le travail du poète.
Ce travail peut aller aussi loin que le travail de l'écriture poétique. Le sentiment exprimé et les appuis vocaux conscients interagissent, et dans le meilleur cas, entrent en résonance. L'émotion de l'auditeur (ou du spectateur) découle de la fusion technique-émotion de l'interprète.
Voici un extrait de l'article "Vers un théâtre d'art" publié dans la Revue des lettres modernes Minard (Cahier Paul Valéry 10) en 2003 par ... mon "patron".
De Malherbe, Corneille, Racine et quelques autres, la leçon nous révèle autant les chemins faits qu’elle peut en suggérer d’autres - qu’ils n’ont su faire. Ralentie, renforcée par une écoute profonde, la lecture poétique devient chorégraphie du mouvement des lèvres, de la langue, des vibrations du larynx - la seule mélodie de timbres (mélodie intérieure, modulations des couleurs phoniques en fonction des voyelles dominantes) jouant de la mémoire du degré d’ouverture de la bouche. Les tensions vers les voyelles extrêmes (i, u aiguës et o, on graves), les retours vers les moyennes (ain, ein), la durée des tenues et leur périodicité semblent vecteurs d’un sens dont l’étude appartient aux rapports de la psychologie et de l’acoustique… Les ondes du langage ont sans doute leurs ultra-violets et leurs infrarouges, dont les bornes sont précisément celles que l’effort poétique tente d’approcher voire de franchir : peut-être le plaisir sensoriel de la diction (que le vers semble toujours conçu pour susciter) s’explique-t-il par la sensation d’épouser pleinement certaines régions de leur spectre phonique, et par l’excitation d’en risquer des explorations nouvelles de la profondeur ou des limites sensibles.
(*) Exemples de vers "irréductibles" inclus dans cet extrait de l'article "Vers un théâtre d'art" :
Le vers, pour un poète, n’est pas une forme préétablie dans laquelle la pensée n’aurait qu’à se couler sans effort. Le vers est ce qui affecte le plus profondément la langue. Laissant à l’extérieur des mots le rôle ordinaire d’intermédiaire, de truchement de la pensée, le vers demande de leur chair la matière d’une action, d’un effet d’ordre physique et sensible qui amplifie la résonance intellectuelle, et dont s’élargisse le spectre de la signification. Le nombre, la rime et le reste ne paraissent plus que les conséquences du travail profond qu’ils ont appelé : la composition d’accents, de timbres, de couleurs phoniques dont la recherche syntaxique et la rigueur formelle saisissent et fixent les rapprochements les plus expressifs. La leçon (je l’avoue) ne m’en paraît pas si indifférente qu’il faille la laisser perdre. Telle la musique, telle la peinture, la poésie compose des éléments étrangers à toute idée de traduction dans une langue particulière. Le vers est cette chambre de résonance où la pensée et l’expression cherchent l’accord extrême, le point idéal où entendre et comprendre ne seraient plus qu’un mot de même sens.
La moisson des exemples se confond avec la poésie même. De ses diphtongues ici, Racine fait une langue plus charnellement pesante :
Va, dis-je ; et sans vouloir te charger d’autres soins, Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins. (Bérénice). Des nasales, Corneille tente une approche au plus près du souffle détimbré (telle une expiration) :
Il est teint de mon sang. /Plonge le dans le mien, Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien. (Le Cid)
Des mêmes nasales dominées de graves, Valéry descend vers la nuit :
L’amour la plus profonde Vient et revient entre mon âme et l’onde Dont le miroir divin m’offre le pur retour De mes charmes vers l’ombre où songe mon amour. (Cantate du Narcisse)
Relisons ces fragments à voix haute. Essayons d’en peser physiquement les attaques et les tenues (par le jeu des consonnes et des voyelles), la richesse des rimes intérieures (Va, dis-je /Vois si je), les effets de miroir (teinture du tien)la distribution des sonorités par resserrements, renversements et monnayage, etc. L’appréhension poétique véritable ne souffre ni l’impatience du regard ni cette étrange lecture muette au rythme indépendant de toute respiration. Elle demande au contraire le temps, la durée, et la perception résonnante de ce qui n’est plus seulement écrit mais composé. Dans le cadre d’un théâtre d’art, elle demande ce lecteur et cet acteur singulier pour qui, plus encore que la pensée, la pesée du langage jusque dans ses phonèmes est source d’émotion. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Poésie et récitation Mer 10 Sep 2008 - 23:37 | |
| - elena a écrit:
- Le sujet abordé est des plus délicats, même des plus difficiles. Comment traduire à voix haute - sans tautologie, sans pléonasme, sans trahison - le charme particulier du poème écrit...
Prose ou vers, de toute manière, nous ne pouvons parler (à voix haute) sans soutenir le son de nos paroles de timbres, de hauteurs, d’intensités, de rythmes, dans une dépendance plus ou moins heureuse des sentiments qui gouvernent le choix de nos mots, et l’effet que nous cherchons à produire en parlant. La moindre banalité que nous proférons a son rythme, son timbre, sa hauteur et son inflexion... Même tout à fait inconscient, le "chant" existe toujours. ("As-tu bien fermé le frigo ? S'il te plaît tu me passes la télécommande. Je ne veux plus qu'Eric passe nous voir au milieu de la nuit"... Il est toujours instructif de surprendre l'inflexion de voix que nous venons d'avoir sans y penser. Mais il faut penser... à y penser.)
Aussi le lecteur bien intentionné peut déjà travailler l'émission vocale toute simple, toute pure. A partir de n'importe quel type de phrase, peu importe qu'elle soit improvisée ou travaillée...
Il est du rôle des "passeurs de poèmes" (comme de tout autre texte d'ailleurs) d'aller au plus près de la grammaire de la phrase et de devenir ce que Jean Louis Hourdin (metteur en scène et comédien) définit par l'expression qui me semble la plus évocatrice: "être les transparents du verbe". Son credo de lecteur à voix haute (j'ai travaillé sous sa direction cet été): " Il s'agirait d'approcher le secret du poème, d'être les transparents du Verbe. Les poètes inventent des langues nouvelles, nous en sommes les interprètes, au plus exact, au plus précis, au plus précieux de la grammaire poétique. Il s'agirait d'être les "fervents"de ces textes. En évidence. En simplicité. Se vouer au Verbe. Innocents. Ne rien ajouter à ce qui les fonde. Chercher dans cette direction unevérité. Se débarrasser de nous-mêmes pour mettre dans nos coeurs, dans nos corps, l'essence du poème."( Jean Louis Hourdin) | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Poésie et récitation Mer 10 Sep 2008 - 23:44 | |
| - elena a écrit:
- Le sujet abordé est des plus délicats, même des plus difficiles. Comment traduire à voix haute - sans tautologie, sans pléonasme, sans trahison - le charme particulier du poème écrit...
Prose ou vers, de toute manière, nous ne pouvons parler (à voix haute) sans soutenir le son de nos paroles de timbres, de hauteurs, d’intensités, de rythmes, dans une dépendance plus ou moins heureuse des sentiments qui gouvernent le choix de nos mots, et l’effet que nous cherchons à produire en parlant. La moindre banalité que nous proférons a son rythme, son timbre, sa hauteur et son inflexion... Même tout à fait inconscient, le "chant" existe toujours. ("As-tu bien fermé le frigo ? S'il te plaît tu me passes la télécommande. Je ne veux plus qu'Eric passe nous voir au milieu de la nuit"... Il est toujours instructif de surprendre l'inflexion de voix que nous venons d'avoir sans y penser. Mais il faut penser... à y penser.)
Aussi le lecteur bien intentionné peut déjà travailler l'émission vocale toute simple, toute pure. A partir de n'importe quel type de phrase, peu importe qu'elle soit improvisée ou travaillée...
Extraits de : Algues, sable, coquillages et crevettes. Lettre d'un poète à des comédiens et à quelques autres passeurs.de Jean Pierre Siméon (poète) "Il faut admettre que le sens d'un poème ne préexiste pas à la lecture et qu'il déborde toujours l'intention du poète."
"La lecture ne peut qu'être l'effort qui épouse l'effort d'invention du poète, c'est-à-dire qu'elle refait pour son compte le difficile travail qu'accomplit le poète pour élire un chemin dans l'inconnu."
"Si le poète veut dire quelque chose, il est inévitable qu'il dise aussi autre chose."
" Pour attrapper le poisson, on n'hésite pas à pêcher large. Comment faisiez-vous, enfants, sur la plage avec votre seau? Et qu'y rameniez-vous? Algues, sable, coquillages et crevettes...Cela ne valait-il pas le poisson manqué? Et si c'était mieux que le poisson manqué? Et si ce bout d'univers marin disait mieux la chose que la chose elle-même?"
"Il y a ce que le poète veut dire et ce que le poème veut dire."
"Rappelez-vous la phrase de Rimbaud: "Ca veut dire ce que ça veut dire, littéralement et dans tous les sens."
"Qu'en est-il du sens du poème? Il n'existe décidément que dans l'échauffement des trois volontés: celle du poète, celle du poème, celle du lecteur. Celle du lecteur étant, in fine, souveraine et décisive puisqu'elle est tout bonnement la dernière à s'exercer dans la chaîne de la création." | |
| | | elena Posteur en quête
Messages : 81 Inscription le : 28/07/2008
| Sujet: Poésie et diction Mar 16 Sep 2008 - 0:15 | |
| Merci beaucoup Coline, pour toutes ces citations que je ne connaissais pas. Que d’échos elles éveillent.
Celle-ci fort juste : « Il faut admettre que le sens d'un poème ne préexiste pas à la lecture et qu'il déborde toujours l'intention du poète." » Valéry allait peut-être encore plus loin, qui écrivait : « Mes vers ont le sens qu’on leur prête. »
Celle-ci encore : « Il y a ce que le poète veut dire et ce que le poème veut dire. A quoi Valéry répond : « Je n’ai pas voulu dire. J’ai voulu faire. Et ce fut l’intention de faire, qui a voulu ce que j’ai dit. »
Ou celle-ci (j’ai l’embarras du choix) : « Qu'en est-il du sens du poème? Il n'existe décidément que dans l'échauffement des trois volontés: celle du poète, celle du poème, celle du lecteur. Celle du lecteur étant, in fine, souveraine et décisive puisqu'elle est tout bonnement la dernière à s'exercer dans la chaîne de la création. »
Il ne m’étonne pas que la réflexion sur la diction des vers te conduise à celle de la traduction du sens. (La question du sens est une question qui rend fou ! Nous essaierons de développer une autre fois peut-être !) Mais reliée à celle de l’interprétation poétique, elle nous renvoie aussi bien à l’invention de l’écriture (volontaire), vraisemblablement postérieure à l’invention de… la voix ! et à ses conséquences.
Ecriture-écritures, signes, traces élémentaires… Simplifications, conventions. Marques du territoire. L’écriture fut d’abord une assistante de la mémoire, puis la transmission de signes à des êtres hors de portée de voix. Puis on en est venu à écrire pour … écrire ; puis à faire des parchemins, des livres. L’Occident a même particulièrement développé l’écriture de la … musique… Invention enfin de l’extraordinaire « lecture muette »…
Il y a autant de façons de prononcer une ou deux syllabes (écrites mais aussi bien parlées) en langue française, par exemple « Bonjour », (en 2008, sans rien dire des prononciations régionales, ou anciennes) autant de façons donc de prononcer une ou deux syllabes qu’il y a de gosiers capables de les prononcer. Mais si l’on est anglais ? allemand ?... En outre (expérience de phonétique appliquée) aucun homme n’est capable de redire deux fois le même mot de l’exacte même façon. « Bon » et « jour » changent de couleur aussi bien en changeant de moment dans une même bouche qu’en changeant de bouche. Mais l’écriture… Hébreu ? Chinois ?! Ni les idéogrammes ni l’alphabet antique n’ont de correspondance, que forcée et approximative, avec les sons à peu près fixés par la phonétique européenne moderne, (il n’est que de voir l’embarras des grammairiens lorsqu’il faut éditer Mao Zedong ou Tse Tung ou Tsé Toung, ou bien inaugurer le jardin Isaac ou Yitzhak Rabin…), ni des vingt-six lettres de notre alphabet les millions de combinaisons ne donnent « la » prononciation absolue des possibles. (*) Et encore, je ne parle ici que de prononciation neutre, sans intention… Car c’est l’intention qui donne couleur au texte proféré, c’est l’intention qui lui donne sens. Exemple : « Il fait beau, hein ? » Cette banalité peut être prononcée dans un effort de politesse, indifférente, à l’adresse de notre voisin croisé dans l’ascenseur. Dans ce premier cas elle veut dire : Je vous ai vu, voisin, je vous accorde ce qu’il faut des conventions de la civilité. … MAIS tout à l’opposé la prononciation de cette même platitude « Il fait beau, hein ? » peut être sous-tendue par la froide ou rageuse envie de tuer ladite personne (pcq’elle nous a empêché de dormir toute la nuit en faisant la méga-teuf avec ses potes par exemple) ! Et là les mêmes paroles prennent une signification légèrement différente : Tu vas prendre un coup de couteau !
Il n’y a pas que le poète qui parle en disant autre chose. Des deux parleurs susmentionnés ni le premier ni le second ne s’intéressent au temps qu’il fait…
C’est pourquoi cette citation me séduit moins :
« Il s'agirait d'être les "fervents" de ces textes. (…) Se vouer au Verbe. Innocents. Ne rien ajouter à ce qui les fonde. Chercher dans cette direction une vérité. Se débarrasser de nous-mêmes pour mettre dans nos coeurs, dans nos corps, l'essence du poème »
Elle est si vague qu’elle en est incontestable ! Elle a la séduction des passe-partout…Il faut laisser le verbe nous traverser…
Traversez-moi, ô Vents superbes ! Couchez en moi toutes les herbes. Broyez les roses de mon cœur…
… mais il me manque l’exemple. Je n’ai pas la chance d’avoir pu comme toi la valider par le travail avec le metteur en scène !
Il est des poèmes voués à la méditation intérieure, d’autres à la transe collective… Une leçon vraiment concrète est l’étude des acteurs sur scène (j’ai vu que Lonsdale ou Vitez avaient été appréciés des participants au forum). L’écoute attentive des enregistrements des acteurs d’autres temps est également instructive.
La proximité du microphone autorise la diction neutre – (prononciation sans aucune intention ni couleur…) comme elle permet d’incroyables sonorités, proprement inouïes, qui relèvent de la recherche électro-acoustique. « J’ai beau faire tout m’intéresse ! » Merci encore pour ce forum !
(*) Une langue se reconnaît aussi bien par les sons qui la composent que par ceux qu’elle exclut, ou ignore. (Cette réflexion sur l’exclusion vaut également pour… une manière artistique. La manière de Chopin, la manière d’Oum Kalsoum… la façon de Verlaine ou bien de Michel-Ange, est aussi bien faite de leurs refus…) Bref. Aussi belle qu’elle puisse sembler à quelques-uns, que de sonorités la langue française ignore-t-elle ! Au passage : Je me suis parfois interrogée, si le souci des poètes les plus sensibles aux couleurs phoniques du langage n’était pas d’annexer par effet de résonance des sonorités oubliées de leur langue dite natale. | |
| | | Thierry Cabot Envolée postale
Messages : 103 Inscription le : 10/10/2013 Age : 66
| Sujet: Re: Poésie et récitation Mar 15 Oct 2013 - 16:16 | |
| Merci coline pour votre fil. Le texte de Jean-Pierre Siméon est une excellente introduction à un sujet très controversé. Merci à tous les commentateurs : animal, Steven, moulinet, Marie, Bédoulène et elena.
Qu'un exercice mnémotechnique, la récitation, vise à se substituer à la poésie elle-même, cela a de quoi jeter le trouble dans l'esprit de beaucoup d'amoureux des vers. On peut du reste s'interroger sur le contenu de certains commentaires composés où il est de bon ton d'affirmer : "Le poète a voulu dire ça..."
La meilleure méthode - si bien décrite par Steven - consiste sans doute à ne rien imposer aux enfants et à leur laisser le temps de se familiariser peu à peu avec un texte poétique. Ecole de l'émerveillement, du mystère de la vie, du beau, du rêve, du singulier en quête de l'universel, la poésie semble se dérober le plus souvent à ceux qui voudraient la tenir en lisières.
Et pourtant combien il est agréable d'écouter des poèmes quand ils sont dits sans la moindre contrainte ! L'oralité donne quelquefois à une oeuvre un nouveau visage, une forme de supplément d'âme. Et chose essentielle à mes yeux, elle permet à la voix de s'unir à la chair des mots. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Poésie et récitation Mer 16 Oct 2013 - 11:26 | |
| Et merci Thierry d'avoir fait sortir ce fil des oubliettes du forum! | |
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| Sujet: Re: Poésie et récitation | |
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