Ilya Mouromets (et autres héros de la Russie ancienne), traduits par Viktoriya et Patrick Lajoye,
éditions Anacharsis
Les bylines sont des chants épiques de la Russie ancienne, transmises oralement, accompagnées de musique, en vers libre accentué. Elles sont très anciennes (on en a trouvé des traces au XIIe siècle), mais combattues par l’église orthodoxe et le pouvoir central, elles ont été éradiquées au cœur de la Russie. Au XIXe siècle, lorsque des collectes de sources folkloriques ont commencé à avoir lieu, elles n’existaient plus qu’aux confins de l’empire, par exemple en Sibérie, où des bardes s’accompagnant de gousslis, les déclamaient encore au début du XXe siècle. Un certain nombre a pu être recueilli et préservé. Elles se réfèrent à un temps ancien devenu mythique, et sont peuplées des princes ayant existé et à des héros, bogatyrs. Environ 3000 ont été recueillies, ce qui montre l’étendue et la richesse de ce patrimoine. Des rapprochements s’imposent, comme avec la chanson de geste française, les sagas islandaises, les chants akritiques byzantins.
Le recueil publié par Anacharsis présente une sélection de 18 textes, dont un tiers consacré à Ilya Mouromets et les autres à d’autres héros. Textes relativement courts, où une seule aventure est narrée. Un certain nombre de répétitions de morceaux du texte, avec des péripéties en série, montrent de quelle façon il devait être plus facile à un conteur de réciter ce type d’histoire. Ce sont des textes relativement bruts, sans la mise en forme et à distance, qu’amène forcément l’écriture, forme par laquelle nous connaissons par exemple les chansons de geste et les sagas. On imagine toutefois que ces dernières on du connaître une forme proche de celle-ci, lorsqu’elles existaient uniquement sous forme orale. Et cela peut aider à une meilleure compréhension de la genèse des diverses textes épiques. Comme dans tous les textes de ce genre, le héros est un surhomme, capable d’exploits extraordinaires, guerrier d’exception, qui vient à bout d’ennemies innombrables. Spécificité russe, il reste encore en partie paysan, lié à la terre. Et le prince n’a pas le beau rôle, il utilise le héros tout en ne lui rendant pas les honneurs auxquels il aurait droit, il peut même l’emprisonner ou chercher à le faire mourir. Mais notre homme n’en a cure : il saura en fin de compte prendre ce qui lui revient, en défiant s’il le faut le prince. Il y a par moments un côté un peu mécanique dans ces aventures, la psychologie des personnages est des plus sommaires. Mais ils sont passionnants, par ce qu’ils racontent et suggèrent, la façon dont des thèmes universels et la manière de les raconter s’adapte à un contexte historique et géographique précis.