La grande terreur en URSS 1937-1938 Ce livre est énorme. Matériellement d'abord, grand, lourd, au final assez mal pratique à lire parce que broché. Mais surtout par le sujet qu'il aborde et la façon de le traiter. On remarquera comment Tomasz
Kizny s'efface devant son sujet: ni titre, ni nom d'auteur sur la couverture.
Deux parties, l'une basée sur les faits et les archives, l'autre sur la mémoire et les témoignages - qu'ils soient en actes ou en paroles - et les pèlerins, à la fois humbles et audacieux, partis à leur recherche.
Il correspond exactement à une discussion - que je ne suis pas arrivée à retrouver - , que nous avions eue avec Marie, où elle disait l'importance de dire, et de nommer les victimes. Je n'ai retrouvé que ça.
- Marie a écrit:
- ce livre. Qui rend compte de ce qui reste. A travers les traces physiques des destructions. Et des souvenirs de certains.
Ce livre est donc une pierre de plus à la mémoire des victimes et pour ne pas oublier l’innommable : tant de victimes et si peu de stèles. Et qui allie le poids des mots au choc des photos.
Les faits sont là. Implacablement répétés pendant 15 mois. Une nuit, le NKVD frappe à la porte et procède à l'arrestation : des anciens responsables politiques, des étrangers, des opposants, des innocents aussi, qui ont commis l'erreur d'un regard, d'une parole déplacés, ou pas d’erreur du tout. Simplement parce qu'ils ont été dénoncés. Ou qu'il faut remplir les quotas. Tout le monde y passera. Les bourreaux d'hier sont les victimes de demain. Tous "ennemis du peuple". Un million sept cent mille arrestations, 700 000 exécutions, ls autres déportés. Et derrière ces chiffres, autant de destins individuels.
Les documents sont confisqués, les biens volés, les familles abandonnées à la misère et à l'opprobre générale, les enfants parfois conduits à l'orphelinat. Les victimes, elles, sont incarcérées, interrogées, violentées et photographiées. Jugées, dit-on. Deux sentences : 10 ans dans les camps, ou condamnation à mort . Par balle dans la tête à bout portant - ou par strangulation, parfois. Soit dans les caves du NKVD, soit aux abords des fosses communes, qui seront camouflées, tenues secrètes, exclues des archives, oubliées. Nul ne sait : s'ils sont morts, comment, où ils sont enterrés. C'est le règne du silence et de la terreur.
On sait tout cela, mais il ne faut cesser de le redire.
Des années plus tard, les faits sont reconnus par les gouvernants. Dans leur globalité, mais les questions restent. L'ouverture des archives, quelques témoignages éparts, quelques découvertes fortuites ou provoquées permettent peu à peu de faire progresser la connaissance, de réhabiliter, de redonner parfois aux enfants une tombe, commune ou individuelle. Des hommes, des associations, rarement des organismes publics (en tout cas jamais des organismes d'Etat) se sont donné cette mission.
Dans la première partie Tomasz
Kizny réunit des photographies des archives NKVD auxquelles il a eu exceptionnellement accès. Des portraits assez fascinants de prisonniers, d'une qualité qui fait parfois croire qu'elles ont été prises en studio, accompagnées d' éléments biographiques succincts.
On interroge ces regards : qu'on t 'ils vu, qu'on t 'ils vécu, qu'ont ils subi ? Quelques lettres, un journal intime, des ordres de mission, reproduits en fac-similé et traduits, nous l'expliquent.
Des photos de bourreaux, jamais jugés, sont reproduites avec leur curriculum vitae. Même l'histoire d'un bourreau devenu victime, pour parfaire l'absurde de la situation.
Divers intellectuels réfléchissent sur cette Terreur, et ce qui l'a tellement occultée à l'étranger, : la « belle » utopie communiste, les crimes nazis qui ont pris le devant de la scène, le fait que tout cela se passait en interne, au cœur de l'URSS, on n'était finalement pas tellement concernés.
Dans la 2e partie, les photos sont cette fois-ci en couleur, prises par Tomasz Krizny. Ces photos, toujours commentées, parlent de lieux, ce qui reste des sépultures, des charniers, les traces ou l'absence de traces dans le sol, les histoires qu'on raconte, les ossements qu'on a pu extraire, les signes (monuments, stèles, photo) qui marquent les emplacements retrouvés.
Ces photos parlent aussi d' objets retrouvés dans les sépultures, et qui ont, parfois, permis une identification. Enfin ces photos parlent de personnes vivant encore aujourd'hui, qui ont vu leurs parents, leurs frères, leurs conjoints, arrêtés, qui ont porté ce poids en silence, que la réhabilitation a aidés, mais jamais consolés. Leurs témoignages, retranscrits en face de leurs portraits, sont déchirants.
La grande terreur en URSS 1937-1938 est un livre indispensable, unique, monstrueux,
J'ai été un peu longue, car je me suis dit que si beaucoup ne liraient pas le livre, quelques uns peut-être parcourraient ces lignes, et c'est déjà ça . Et j'ai eu envie, à mon niveau, de poser ainsi ma stèle.
Ce livre est cher. Je pense que c'est un achat idéal à suggérer à sa médiathèque.