Morwenna (
Among Others, 2012). Traduit de l'anglais en 2014 par Luc Carissimo. 334 pages. Denoël.
Ce roman a reçu le Prix Hugo 2012, le Prix Nebula 2012 et le British Fantasy Award 2012.
Le livre se présente sous la forme du journal d'une fille de 15 ans, Morwenna.
Après un début qui se déroule en 1975, on va lire les entrées du journal intime à partir du 5 septembre 1979.
Nous sommes au Pays de Galles. Un accident, survenu dans des conditions troubles qui seront explicitées, a coûté la vie à sa soeur jumelle. Morwenna, qui boîte à la suite de cet accident, s'est enfuie de chez sa mère.
Elle est alors confiée à son père biologique, qu'elle n'avait encore jamais vu et qui vit en Angleterre. Il la place dans un établissement privé chic.
- Citation :
- "L'école est affreuse, comme je m'y attendais. Tout d'abord, comme je l'avais lu, une des choses les plus importantes en pension, ce sont les sports collectifs. Je ne suis pas en état d'y participer. Ensuite, toutes les autres filles viennent du même milieu. Elle sont presque toutes anglaises, de la région, et issues du même paysage que l'école. Elles varient un peu en taille et en forme, mais elles ont presque toutes la même voix. Ma propre voix, qui était snob pour les Vallées et signalait immédiatement à tout le monde ma classe d'origine, me catalogue ici comme une barbare étrangère. Comme si être une barbare estropiée n'était pas suffisant, il y a aussi le fait que j'intègre en milieu d'année une classe où tout le monde se connaît depuis deux ans, avec des alliances et des inimitiés dont j'ignore tout. [...]
Heureusement, je comprends vite. [...]
À leur accent, j'ai repéré les autres barbares, une Irlandaise (Deirdre, surnommée Meirdre) et une Juive (Sharon, surnommée Charogne). Je me suis arrangée pour devenir leur amie." (page 37).
Morwenna est une fille très spéciale. Elle voit des fées, qui sont invisibles pour le reste du monde (ou presque). Dans son nouveau milieu anglais, elle va tenter d'entrer en communication avec les fées locales, ce qui n'est pas facile. Les fées au Pays de Galles parlent le gallois. En sera-t-il de même en Angleterre ? Tenir une discussion avec elles n'est pas facile : elles s'expriment de façon très laconique et parcellaire.
- Citation :
- "Peu importe à quel point vous voudriez que ce soit Galadriel du Seigneur des Anneaux, elles ne vont jamais faire ce genre de discours." (page 42).
Autre trait particulier, comme on l'aura noté : Morwenna adore la SF. Elle lit à une vitesse stupéfiante (en gros : comme Kenavo), et elle passe beaucoup de temps dans la bibliothèque au lieu de faire du sport. Cela donne l'occasion de très nombreuses appréciations, qui laisseront sur le bord les non-amateurs de SF. On sait qu'elle va commencer à lire tel livre, on se demande ce qu'elle va en penser... Souvent, seul le titre est mentionné, et pas l'auteur. De plus, elle parle souvent de personnages de fiction (Paul Atréides, Lord Peter...), voire même utilise des concepts comme
karass (voir la définition en anglais ici) ou
granfalloon (définition), termes issus du bokonisme (voir Wikipedia anglais). Heureusement pour ceux qui n'auraient pas lu
Le Berceau du Chat (de Kurt Vonnegut), il y a Internet, et puis même, on finit par comprendre. C'est d'ailleurs bien logique que Morwenna ne précise pas tout : c'est son journal intime, après tout.
On assiste à des petites discussions sur différents écrivains de SF, comme Heinlein (la question classique : est-il facho ou non ?), mais Morwenna lit parfois des livres qui relèvent d'autres genres : du Platon que lui aura prêté son grand-père, ou encore (pour l'école)
Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy. A propos de ce dernier auteur, qu'elle n'apprécie pas tellement (par contre, elle aime beaucoup Shakespeare) :
- Citation :
- "Il construit habilement ses intrigues, et il y a parfois des situations horribles, mais elles sont toujours convenues. Je déteste ça. Il aurait eu beaucoup à apprendre de Silverberg et Delany." (page 229)
Ah, la SF ! Morwenna est tombée dedans toute petite : elle jouait déjà à sauver les dragons des méchantes princesses qui leur voulaient du mal.
Une fois adulte, la SF peut contribuer à vous sauver la vie. Par exemple : vous risquez de mourir, mais vous n'en êtes qu'à la moitié de
Babel 17, de Samuel Delany (très curieux roman, soit dit en passant) et vous voulez vraiment connaître la fin du livre, du coup vous n'en êtes que plus motivé pour survivre.
Morwenna ne fait pas que dévorer les livres de SF, louer l'existence du prêt inter-bibliothèques, et voir des fées : elle pratique également un peu la magie. C'est une bien drôle de chose : on n'est pas toujours sûr qu'elle fonctionne, puisqu'elle permet que les choses arrivent rétrospectivement. Par exemple, vous rêvez d'avoir des amis ? Hop, un peu de magie. Peu de temps après, vous apprenez l'existence d'un club de lecture qui vous convient parfaitement. Du coup, vous vous demandez si la magie n'a servi à rien, ou bien si au contraire elle n'aurait pas été à l'origine de la création dans le passé d'un club de lecture dont vous ne faites qu'apprendre l'existence... Peut-être même les fondateurs de ce club ne seraient-ils venus au monde que pour votre satisfaction ! Change-t-on le cours de la vie des gens à chaque fois que l'on pratique la magie ?
Ou bien tout ça, la magie et les fées, ça n'est que dans la tête de Morwenna ?
Comme pour faire écho à cette interrogation, à un moment, il est fait mention des
Chroniques de Thomas Covenant (de Stephen Donaldson) :
- Citation :
- "Thomas Covenant est un lépreux qui erre tristement au sein d'un monde de fantasy pour lequel la plupart d'entre nous donneraient le bras droit pour être transportés, mais qui refuse de croire que quoi que ce soit est réel. [...] Et c'est un monde de fantasy, à moins qu'il soit fou, ce qu'il pense être, on ne peut pas le savoir." (page 277-278).
Un livre qui, sans être un chef-d'oeuvre, est vraiment très sympathique, et ce d'autant plus qu'on aime ou qu'on a déjà entendu parler des classiques de la S-F.
Et il donne envie de combler ses lacunes.