Merci Bédou, un commentaire sur son livre "Critique de la raison Nègre" qui démonte les phénomènes du racisme et de l'esclavage, de la traite négrière du commerce triangulaire jusqu'au XXI° siècle avec le devenir-nègre du système néolibéral
4 ème de couverture :De tous les humains, le Nègre est le seul dont la chair fut faite marchandise. Au demeurant, le Nègre et la race n’ont jamais fait qu’un dans l’imaginaire des sociétés européennes. Depuis le XVIIIe siècle, ils ont constitué, ensemble, le sous-sol inavoué et souvent nié à partir duquel le projet moderne de connaissance – mais aussi de gouvernement – s’est déployé. La relégation de l’Europe au rang d’une simple province du monde signera-t-elle l’extinction du racisme, avec la dissolution de l’un de ses signifiants majeurs, le Nègre ? Ou au contraire, une fois cette figure historique dissoute, deviendrons-nous tous les Nègres du nouveau racisme que fabriquent à l’échelle planétaire les politiques néolibérales et sécuritaires, les nouvelles guerres d’occupation et de prédation, et les pratiques de zonage ?
Dans cet essai à la fois érudit et iconoclaste,
Achille Mbembe engage une réflexion critique indispensable pour répondre à la principale question sur le monde de notre temps : comment penser la différence et la vie, le semblable et le dissemblable ?
L’auteur :Achille Mbembe est camerounais. Il est professeur d'histoire et de science politique à l'université de Witwatersrand à Johannesbourg (Afrique du Sud). Chercheur au Witwatersrand Institute for Social and Economics Research (WISER), il enseigne également au département français et à Duke University (aux États-Unis). Il est notamment l'auteur de
De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine (Karthala, 2000) et de
Sortir de la grande nuit. Essai sur l'Afrique décolonisée (La Découverte, 2010).
voici un extrait de "Critique de la Raison Nègre" :«Par ailleurs, il y a une part maudite constitutive de l’histoire des rapports entre l’Afrique et la marchandise. Cette histoire prend forme au moment de la traite atlantique. A la faveur de la traite des esclaves, le rapport des Africains à la marchandise se structura rapidement autour du tryptique désir de consommation/ mort/ génitalité. A plusieurs égards, l’économie politique de la traite des esclaves fut une économie foncièrement libidinale. Elle avait ceci de particulier que son centre de gravité, ou encore son moteur principal, était d’une part le désir de consommation et de l’autre le désir de la dépense absolue et inconditionnelle. Ce désir entretenait en retour un rapport étroit avec les procédures de reproduction sexuelle. Il revêtit très tôt les aspects d’une corruption que même la perspective d’autodestruction (la vente des parents proches et la dissolution du lien social) ne parvenait guère à limiter. On peut, au demeurant, dire de cette économie qu’elle fit de l’autodestruction et du gaspillage les indicateurs ultimes de la productivité....»
Première problématique :
le racisme en tant que réponse économiqueDans un premier temps
Achille Mbembe établi trois grandes étapes de l'esclavage qu'il nomme aussi :"le devenir-nègre" du monde. Tout d'abord :" le premier est celui du dépouillement organisé lorsqu'à la faveur de la traite atlantique (XV°-XIX° siècles) des hommes et femmes originaires d'Afrique sont transformés en hommes-objets, hommes-marchandises et hommes-monnaies..." le second moment est :" celui qui correspond à la naissance à l'écriture et commence vers la fin du XVIII° siècle quand, de par leurs propres traces, les Nègres, ces êtres-pris-par les autres, peuvent désormais articuler un langage à eux tout en revendiquant le statut de sujets à part entière du monde vivant...." (innombrables révoltes d'esclaves, indépendance d'Haïti, combats pour l'abolition de la traite, décolonisations africaines et luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis, démantèlement de l'apartheid lors des dernières années du XX° siècle, et enfin le troisième moment(le début du XXI° siècle) : " est la planétarisation des marchés, de la privatisation du monde sous l'égide du néolibéralisme et de l'intrication croissante de l'économie financière, du complexe militaire postimpérial et des technologies électroniques et digitales." le devenir-nègre du monde.
Mbembe démontre que le concept de race, qui a trait à la sphère animale telle que la décrivait Buffon, ce concept "servira à nommer les humanitès non européennes", ce sont des humanités frappées "d'un moindre être"
---""Le nègre n'existe cependant pas en tant que tel. Il est constamment produit. Produire le Nègre, c'est produire un lien social de sujétion et un corps d'extraction, c'est à dire un corps entièrement exposé à la volonté d'un maître, et duquel l'on s'efforce d'obtenir le maximum de rentabilité. Objet corvéable, le Nègre est aussi le nom d'une injure........."
---S'en suit un historique de l'esclavage au cours des siècles, passant des premières servitudes dont se servaient les Portugais, premiers explorateurs de l'Afrique, à l'utilisation faite par les espagnols dans des equipages de marins, de leur participation des campagnes militaires à la decouverte de l'Amerique notamment aux côtés d'Hernan Cortès en 1519 lors de son assaut sur le Mexique.Puis après 1492, le commerce triangulaire, le développement de la créolisation, brassage de religions et de cultures, developpement du capitalisme dont il ont été la main d'oeuvre, colonisation dont ils ont été également les victimes
Ainsi : "cette petite province de la planète qu'est l'Europe s'installe progressivement dans une position de capitanat sur le reste du monde."
"Parallèlement, se mettent en place, notamment au cours du XVIII° siècle, plusieurs discours de vérité sur la nature, la spécificité et les formes du vivant, les qualités, traits et caractères des êtres humains, voire de populations entières que l'on spécifie en termes d'espèces, de genres ou de races et que l'on classe le long d'une ligne verticale."