Patricio Guzmán

Nostalgie de la lumière

Ceux qui ont de la mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent, ceux qui n'en ont pas ne vivent nulle part.

Un film documentaire absolument exceptionnel. Le désert d'Atacama au Mexique est l'endroit de la planète où le ciel est le plus pur, permettant à de gigantesques télescopes d'observer l'espace et l'origine de l'univers. C'est aussi un lieu de fouilles archéologiques et un terrible charnier,  Pinochet ayant fait exécuter des  milliers de prisonniers politiques préalablement détenus dans un camp de concentration de sinistre mémoire  (Chacabuco) pendant les années de sa dictature.



Astronomes, archéologues,  et proches des victimes (essentiellement des femmes: mères, soeurs ou compagnes des disparus recherchant inlassablement les restes de leurs cadavres) cohabitent, se rencontrent, se soutiennent, méditent ensemble. Certaines femmes continuent à être en colère, d'autres tentent d'accepter les lois et les cycles de la vie et du cosmos malgré l'injustice et la souffrance (très beau portrait de cette jeune femme élevée par ses grand parents et dont le père est mort à Chacabuco).



Ce documentaire est un incroyable poème sur le temps et sur la mémoire. Mémoire de l'origine du monde, mémoire de l'histoire ancienne ou plus récente. Le climat très contemplatif du film, avec la voix off hypnotique du  narrateur, contribue à donner le sentiment d'une continuité et d'une fusion entre les astres et les corps. Un astronome nous rappelant que le calcium des os humains était déjà contenu dans les premières poussières d'étoiles des origines.  C'est à la fois beau, poignant, instructif, littéraire et lyrique. Un film marquant.



Bande annonce:

Le bouton de nacre (Patricio Guzmán)

Le réalisateur chilien Patricio Guzmán renouvelle une démarche personnelle au coeur de son remarquable précédent film, Nostalgie de la lumière. Il conduit une réflexion sur les traumatismes du passé récent du Chili sous la dictature de Pinochet, qui se fond dans une trame beaucoup plus sereine et méditative qui replace l'homme dans un environnement naturel qui le dépasse, source de création et de fascination. Alors que Nostalgie de la lumière évoquait le désert d'Atacama, Le bouton de nacre est marqué par l'omniprésence de l'eau, comme élément fondateur d'un espace géographique puisque le Chili possède plusieurs milliers de kilomètres de côte, de la frontière péruvienne jusqu'à la Terre de Feu.

Pour Guzmán, l'eau est le fil conducteur de son récit car elle est le reflet et l'instrument d'une transmission de la vie. Elle est cependant aussi porteuse d'une contradiction intensément douloureuse, à la fois vestige d'une mémoire collective et porteuse de destruction, de négation par la main de l'homme : le film suit ainsi la trace de prisonniers politiques anonymes sous Pinochet, jetés à la mer, après avoir abordé le massacre et l'oubli des peuples autochtones de Patagonie, au cours du XIXème siècle. L'association de ces deux morceaux d'histoire peut sembler un peu trop appuyée dans un parallélisme, et le film n'est pas aussi limpide que Nostalgie de la lumière. Ce projet atypique, qui s'approprie les outils traditionnels du documentaire (narration, voix-off, images d'archive), est tout de même passionnant grâce à l'ambition et l'humilité du regard du cinéaste. Guzmán nourrit sans cesse des interrogations successives, et cherche la permanence d'une pulsation de la vie, au-delà d'une souffrance passagère, du vide et du silence.