Charlie Kaufman - Wikipedia a écrit:
- Il commence sa carrière à la télévision. Il écrit deux épisodes de la série de Chris Elliott Get a Life et collabore aux scénarios d'une douzaine d'autres séries comme Ned and Stacy ou The Dana Carvey Show.
Charlie Kaufman rencontre le succès en écrivant le scénario de Dans la peau de John Malkovich (Being John Malkovich) de Spike Jonze, scénario qui lui vaut une nomination aux Oscars et un BAFTA. Il écrit ensuite Human Nature, qui sera réalisé par Michel Gondry, puis retrouve Spike Jonze pour Adaptation qui lui vaut une nouvelle nomination aux Oscars et un autre BAFTA. Kaufman écrit alors le scénario du premier film réalisé par George Clooney, Confessions d'un homme dangereux (Confessions of a Dangerous Mind), la biographie de l'animateur de jeux télévisés et soi-disant agent de la CIA Chuck Barris.
En 2004 sort Eternal Sunshine of the Spotless Mind, sa seconde collaboration avec Michel Gondry. Développé avec ce dernier sur la base d'une idée originale de l'artiste contemporain Pierre Bismuth, le scénario leur vaut à tous trois l'Oscar 2005 du meilleur scénario original. Il réalise son premier film, dont il a écrit le scénario, Synecdoche, New York, en 2008.
AnomalisaGrand Prix du festival de Venise 2015Anomalisa est un film proprement merveilleux.
Michael Stone est en voyage d'affaire à Cincinnati pour une conférence qu'il doit donner pour des professionnels de services clients. Il semble enfermé dans la banalité et le vide de son quotidien, au bord de la dépression, entre une vie de famille routinière, une maîtresse qu'il a fait souffrir par manque d'engagement mais qu'il aime encore, un univers professionnel qui accentue l'artifice des relations humaines déjà elles-mêmes trop uniformisées dans les grandes cités. Quelque chose est en train de se fissurer mais une rencontre amoureuse inespérée va peut-être l'aider à s'évader. A moins que ce ne soit cette relation qui provoque son basculement. Ou bien encore que ce ne soit qu'une tentative d'échappatoire fantasmatique illusoire?
C'est un peu Lost in translation qui croiserait l'univers de David Lynch (et oui encore lui!).
Ce qui est incroyable dans ce film c'est évidemment d'abord l'époustouflant travail plastique et d'animation avec ces marionnettes dont les visages interchangeables semblent posés sur une armature mécanique robotisée alors que les corps apparaissent d'un hyper-réalisme troublant (surtout dans une incroyable séquence érotique d'une très grande beauté pudique et sensuelle).
L'histoire ensuite est particulièrement riche pour peu qu'on soit attentif aux détails puisque chaque séquence introduit un élément d'inquiétante étrangeté qui ne fait que s'accentuer pour atteindre un paroxysme hallucinatoire très puissant.
Il y a un contraste permanent entre la bizarrerie fantastique et la réalité émouvante qui véhicule un message humaniste jamais mièvre (jusqu'à faire pleurer sur la chanson de Cindy Lauper "Girls just want to have fun" !!).
Je ne peux que vous conseiller mille fois de voir ce film d'animation sans équivalent qui vient de sortir en DVD.
Je vais ajouter quelques interprétations qu'il vaut mieux lire après avoir vu le film pour en discuter... Car il y a des éléments très importants qui échapperont à certains même si Charlie Kaufman a semé des indices. Je pense utile de les développer parce qu'ils apportent une dimension supplémentaire à cette histoire. Ils me sont familiers pour des raisons clairement professionnelles.
Spoiler.......
Dès le début du film, Michael Stone est confronté à une succession de rencontres qui créent un malaise et une étrangeté, soit par une familiarité excessive et insistante de ses interlocuteurs, soit par une ambiguité sexuelle qui s'exprime par des scènes de séduction venant de différents personnages masculins (le voisin dans l'avion, le bagagiste puis le directeur de l'hôtel, le vendeur dans le magasin de "jouets"...).
Tous les personnages à l'exclusion de Lisa (l'"anomalie Lisa" qui est évidemment la plus humaine normalité) ont la même voix masculine qu'ils soient hommes ou femmes. L'un d'eux finira par dire "On est tous là pour toi, on est une seule personne".
L'hôtel s'appelle le Fregoli et ce nom renvoie au syndrome de Fregoli qu'on observe dans les délires paranoïaques et qui consiste pour la personne qui en souffre à penser que tous les gens qui l'entourent ne sont que la même personne qui adopte des apparences ou des visages différents pour des raisons énigmatiques et potentiellement malveillantes.
La paranoïa pouvant parfois être perçue comme une tentative de désorganisation psychique pour échapper à un effondrement dépressif, Michael Stone est effectivement en train de basculer dans la psychose dès le début du film. Sa rencontre avec Lisa qui est une sorte de révélation libératoire est peut-être un catalyseur de son éclatement par la charge émotionnelle qu'elle provoque. On peut aussi penser que cette scène d'intimité est imaginaire. Ou pas... Charlie Kaufman nous laisse de l'espace pour interpréter ou rêver nous-mêmes.
Le réalisateur va même jusqu'à utiliser les théories psychanalytiques de Freud et de Lacan pour rendre compte de cette paranoïa. Elles sont un peu dépassées maintenant mais elles ont leur intérêt. Pour Freud, la paranoïa est un mécanisme de défense qui traduit une homosexualité refoulée. Ce qui est montré dans le film sous la forme de cette récurrence des scènes de séduction homosexuelles de plus en plus appuyées. Pour Lacan, la psychose est inaugurée par "le signe du miroir" (l'affiche du film et la scène de bascule dans le film) qui consiste pour la personne à observer de manière anxieuse son reflet dans le miroir qui lui renvoie ses questionnements sur sa réalité propre et son sentiment de désorganisation mentale.
Le film raconte cette décompensation délirante d'un homme qui lutte contre une dépression profonde. Un mal être alimenté par un sentiment de déréalisation progressive face à un monde environnant absurde et uniforme.
Charlie Kaufman a certainement un intérêt pour la psychiatrie (comme en témoignent ses scénarios antérieurs qui parlent souvent de schizophrénie) non pas dans une perspective de description purement clinique mais parce qu'il doit y voir l'exacerbation de ce que la réalité nous renvoie d'étrangeté et d'artificialité dans les relations humaines.
Anomalisa est un poème humaniste et hallucinatoire sur la condition humaine qui invite à la vérité des sentiments et des relations en dehors des artifices sociaux comme en témoigne la sublime séquence de rencontre entre Michael et Lisa.
C'est vraiment un très beau film qui m'a complètement fasciné et ému.