Lecture en vélocopède est un recueil dont je ne regrette pas une seule seconde d'être tombé dessus quand je suis tombé sur une page au hasard d'un genre de panthéon des meilleures oeuvres poétiques québécoises. C'est une chose de connaître l'existence d'
Huguette Gaulin. C'en est une autre de l'avoir lue.
Un premier extrait :
- Huguette Gaulin, Lecture en vélocipède, 1983, Montréal : Les Herbes rouges, p. 28. a écrit:
- «un décours de lueurs
les ombres déteignent
arcs chevelure
je me cambre sonore
et vous marchez en moi
la gorge funambule
le grand échevellement
qu'un matin enjambe
l'oreille à la paume
la flaque traverse le ventre
toute bouche émouvante été»
J'ai l'impression de retrouver
Geneviève Desrosiers et
Josée Yvon juste en lisant ce premier extrait. J'imagine que l'oeuvre d'
Huguette Gaulin devient dès lors incontournable pour remonter le fil de la genèse des meilleures oeuvres poétiques québécoises.
Voici un autre extrait décliné sur le mode de la simplicité :
- Ibid., p. 45. a écrit:
- «culture d'iris
sur les jardins de l'oeil
elle mâche l'ardeur
qu'ils tintent quartiers de rire roulements
et bracelets
le corps au diamètre pivotant
cheville l'ornement
carnaval en cage
clou sur le fil
claquez des vertèbres»
Je sens ici un autre fil qui relie
Huguette Gaulin à l'écrivaine et poétesse
Anne Hébert.
L'extrait suivant me semble démontrer ce qui fait l'unicité de la poésie d'
Huguette Gaulin :
- Ibid., p. 64. a écrit:
- «ceux tremblent
transpercent l'oeil
pour remanier le sang
le verre vide remue l'oeil et happe
ce tournoiement de poissons
à l'affût des globes
jeu d'attente de grelots radiophoniques
et cloches végétales
nous chassons les fuites blanches
avec des ricanements d'ailes
après les notes élevées
les demeures zébrées
un rythme de bouchon et
le déroulement
c'est une voix de femme
bijou d'ovule
tout un abîme
la ville fume les restes violoneux
et l'octobre en couverture télévisée
s'estompe»
Nous pouvons situer Huguette Gaulin dans le contexte de son époque et l'émergence des mouvements féministes. Elle était à l'avant-garde poétique de ce mouvement :
- Ibid., p. 100. a écrit:
- «RIEN
avouez tel
le vide avouez
c'est à partir de rien
qu'au septième interdit on se repose
mélange joviale
avec des rappels d'aimants
tirez au hasard de la masse
mais tout vous va MESDAMES tout
RÉSULTAT
quand les vitrines descendront la pluie
des sacs magasinent le corps
en bousculant les mondes collés
quel fou se jette l'escalier mobile
en posant le pied
on lève»
Plus nous approchons de la fin, plus les extraits dignes de mention se multiplient :
- Ibid., p. 112. a écrit:
- «leur pied comme les bras
paie les violons
elle sirote un tumulte
lisérée contrastante
j'encourage l'enchevêtrement
de ses astres
dit-il l'orientation
logée à d'aussi grandes distances
les taches disparaissent (vers les gigues)
selon que grignote lentement les reliefs»
Celui-ci rayonne :
- Ibid., p. 116. a écrit:
- «veille la chair en rond étrange
écoute
on soulève les bois
ils cessèrent d'investir la carrière de nos os
aujourd'hui leurs promesses
comme un tambour qu'une voix
fait luire aux défilés de la faim
elle émeute l'étendue de son sable
et se rassemble»
Nous revenons à une thématique ouvertement féministe :
- Ibid., p. 130. a écrit:
- «ils dormiraient au travers
le silence troue comme la salive aux gibiers
tout arpenté
écartelé
les doigts l'angoisse comme chevalet
ils assimilent les pleines natures
par taches végétales
et souvenez-vous
le pas des femmes aux cuisines c'est autre chose
avant qu'ils ne tombent
comptez le temps
et salivez élastiquement»
Les extraits qui suivront sont tirés de la suite poétique ou mini-recueil «Lecture du vélocipède» à la fin du recueil :
- Ibid., p. 144. a écrit:
- «alors ces gestes
lesquels manier
constance
où m'épuiser sans déplacement ou presque
déteindre violente
le désir peu à peu sécrète ses morsures
aussi ruisselante
les thèmes transportent
et nous démêlent
plus tard l'ajustement dans les cordes
et je colle sa colère sa lèvre quasi perpétuelles
l'électrique sensation pour se situer à soi-même
les temps lissés
d'autres morts que la mienne je
je me rature sans cesse»
Les commentateurs de l'oeuvre d'
Huguette Gaulin s'entendent pour dire que l'angle de traitement de cette même poésie est assez inusité. Nous pouvons en voir un autre exemple ici :
- Ibid., p. 171. a écrit:
- «alors je tire quelle fureur
l'endos arqué
et lâche d'entre les axes
les jeux presque imaginaires
les points acrobatiques
le sens germe ce bourdonnement
accompagné d'élytres
l'oeil à l'oreille
sue légère
pèse les vapeurs
aussi lourd en pressant le temps
rappel
autre cycle érosion ou évasion par minces décollements
le corps rentre vers la droite ses circulations»
Ici, nous avons le dernier poème, et je dirais qu'il est l'un des meilleurs si pas le meilleur :
- Ibid., p. 175. a écrit:
- «morsure autour des réseaux nombreux
les plans se vident complètement
s’ils se taisent plus tard
ils entendent le lent retour des feux
la distance plonge
une arme contre la fatigue
de longs couloirs qu’on file
sous les muscles tendus
alors qu’ils rendent la cérémonie
dans la méditation des arcs»
La poésie d'
Huguette Gaulin est très figurative. Elle n'en constitue pas moins une tentative de s'adresser à l'imaginaire québécois. Nous pouvons dire qu'après plus de quarante années d'existence, ses poésies traversent bien le fil du temps, même s'il y a un air légèrement surannée ou vieillot. Disons que cet air dissimule le côté intemporel de la poésie de
Gaulin. Nous pouvons la situer au coeur de son époque, mais elle fut des devancières, ce qui lui donne une place de choix dans les poétesses qui ont marqué l'histoire, même si elle reste généralement méconnue. Mettons cela sur le compte d'une oeuvre qui venait à peine de se dessiner, publiée dans une maison d'édition quasiment confidentielle et une mort très hâtive à une époque assez lointaine déjà.