Fatih Akin

interview dans Le Monde du 16/03/2010

Fatih Akin : "Je viens de la planète cinéma"


"Soul Kitchen" est-il un hymne à la ville de Hambourg ?

J'y suis né, je m'y sens bien. Quand je suis allé filmer à Istanbul, j'y ai vu, paraît-il, ce que ceux qui y habitent ne voient plus. Je voulais avoir cette même fraîcheur de regard sur Hambourg. Mes films précédents parlaient de la recherche d'un foyer par des êtres déracinés. Celui-ci parle de la protection de son foyer dans un contexte où les spéculateurs cherchent à vider les quartiers populaires de ceux qui leur ont donné du charme - ouvriers, étudiants, artistes. Dans un prochain film, je m'intéresserai sans doute à ceux qu'on expulse de chez eux.

C'est une comédie : parenthèse ou amorce d'un nouveau style ?

Je ne veux pas m'enfermer dans une veine. L'idée initiale était de marquer une pause. Mes précédents films étaient graves et difficiles à mener à bien. J'ai payé le prix de ma conviction. J'avais besoin de prendre du recul. Faire une pause pour moi, c'était faire un film plus léger, ouvrir la fenêtre, laisser entrer le soleil, prendre une bonne bouffée d'air frais.

En quoi est-ce un "Heimatfilm", terme qui a pour certains une connotation nationaliste ?

Je me suis inspiré de ces films diffusés à la télévision dans mon enfance. C'étaient des films bucoliques, qui ont nourri l'imaginaire du citadin que j'étais. Ils ont été faits au lendemain de la guerre, que l'Allemagne avait perdue, dans le but de reconstruire une identité mise à mal. On y exaltait la fraternité dans une communauté, la quête de ses racines. Vous savez, on est choqué en Allemagne par ce débat français sur l'identité nationale, parce que, pour nous, la France a constitué un modèle dans les années 1990. On s'inspirait de votre devise "Liberté, Egalité, Fraternité". Ces valeurs ont pris une résonance particulière quand on a vu l'équipe de France de football montrer que Zidane, Trezeguet ou Henry incarnaient le pays. On a cherché à vous imiter, et au moment où ces notions sont acquises chez nous, on voit la France ébranlée par ce débat. C'est désolant !

C'est un débat lancé par des politiques, le peuple n'y adhère pas !

Le président Sarkozy vient lui-même d'une famille pour laquelle cette question s'est posée de façon déchirante. Certains de ses grands-parents tenaient à obtenir la nationalité française, d'autres ne voulaient pas. Qui sait si, de façon narcissique, il n'impose pas au pays sa propre crise identitaire ? A l'entrée du XXIe siècle, l'Europe est face à des enjeux. Le flux migratoire va s'amplifier, et il faudra bien assurer un minimum d'accueil à ces réfugiés qui vont arriver de toutes parts, qui ont besoin d'un minimum de sécurité économique et sociale. Mieux vaut tenir compte de l'Histoire, car on sait à quoi mènent les nationalismes et les replis identitaires.

La façon dont vous montrez l'initiation à la gastronomie s'inspire des films de kung-fu. Comme si apprendre à découper, à présenter une assiette s'apparentait aux arts martiaux...

En fait, je ne viens ni de Turquie ni d'Allemagne, mais de la planète cinéma. C'est ça, ma patrie. Au départ, je voulais faire de Soul Kitchen un film sur le cinéma. Il fallait trouver une métaphore, je l'ai trouvée dans le monde auquel j'appartenais avant de devenir cinéaste. J'ai été serveur, barman, DJ dans un restaurant. Il y a une similitude entre ces univers. Le patron du resto, c'est le producteur ; le chef irascible, c'est le réalisateur ; les serveuses, les machinistes ; et les clients, le public.

Personnages endiablés, hernie discale du héros : c'est un film sur le corps ! Vous faites un cinéma physique !

On me l'a déjà dit à propos de Head-On, et ça me plaît. J'aime l'idée de faire du cinéma 3D sans la technologie ! Outre les cris, la danse, la cacophonie, il faut montrer la transpiration des gens qui dansent, qui cuisinent devant le feu, toute une dimension sensorielle pour que le spectateur soit embarqué dans le rythme vital des personnages. C'est un film très musical, mais où je table beaucoup sur le visuel, comme dans les films burlesques. Zinos, le héros, c'est un Charlie Chaplin d'aujourd'hui.


Propos recueillis par Jean-Luc Douin


source

Soul Kitchen

Voilà un film qui fait vraiment du bien! Je l'ai vu hier soir, alors que l'estomac criait famine et je n'avais qu'une envie, me retrouver parmi eux dans ce restaurant délirant où les groupes en panne de salle de répet viennent tater de la batterie, et les inspecteurs du fisc s'égarent dans des fêtes pas toujours très claires!

Le cadre est génial, une sorte d'usine désaffectée reconvertie en immense loft, du bois, des baies vitrées et des fauteuils pour les habitués. Deux frères gentiment décalés juste assez naïfs et pas trop bêtes pour s'embarquer dans cette affaire et s'y accrocher avec rage alors que tout s'acharne contre eux. La petite amie qui s'envole en Chine et largue le premier, le vice du jeu qui rattrape le second, un cuisinier despotique (et génial :Udo Kier) qui refuse de servir du prêt-à manger, un ami retors qui convoite le tout et les dénonce aux services d'hygiène plus plein d'autres petits tracas qui déboulent en cascade. Les états d'âme du pauvre héros (Adam Bousdoukos) sont franchement désopilants et on se laisse complètement embarquer dans cette histoire ubuesque tellement Akin parvient à y insuffler de l'énergie.

C'est frais, chaleureux, et surtout sans prétention. Les personnages sont tous attachants et la BO excellente. Bien différent de De l'autre côté mais j'aime bien les cinéastes qui ne se cantonnent pas aux mêmes régistres. Alors faites vous plaisir et allez voir cette petite comédie endiablée, les bonnes ne sont pas légion...

J'ai passé un bon moment avec Soul Kitchen même s'il m'a donné un peu mal au dos par procuration! Film très sympa, bien construit et rythmé, avec ce qu'il faut de montées sous aphrodisiaques et de descentes "gueule de bois". Hambourg est une drôle de ville à la fois lourde et un peu sinistre sur le plan architectural mais très vivante et pleine d'endroits underground ou branchés. Fatih Akin montre tout ça avec bonne humeur à travers des personnages caricaturaux mais amusants. Mention spéciale à Socrate alias Demir Gökgöl excellent en vieux SDF facétieux. Apparition savoureuse également de Monica Beibtreu dans un registre plus comique après son rôle de prof de piano exigeante dans "4 minutes" (j'apprends avec tristesse par Maline qu'elle est décédée).

Soul kitchen.

J'avais oublié de dire que j'étais allée le voir. Que c'était idéal pour me sortir d'un état vaseux tout sombre.

Tout bien foutu niveau rythme, équilibre entre humour et tendresse, plein d'humanité et de jolis portraits de gens.

Un feel good movie quoi.

Fatih Akin a réussi, et bien réussi !

Je dirais la même chose. J'y suis allée après une journée de merde,
avec ma pote qui rit de façon tellement bizarre, qu'elle provoque mon rire,
même si la situation ne me fait pas rire à la base. Un bon moment,
même si j'aime bien quand il me fait pleurer.

Sous une pluie torrentielle, je suis allee voir "Soul kitchen" de Fatih Akin! Je savais bien que cette fois le realisateur se lance dans un autre genre, je m'attendais a quelque chose d'assez different de son film "De l'autre cote".
Le projet est peut-être plus humble, plus léger, mais Fatih Akin n’a pas galvaudé son talent pour autant. "Soul Kitchen" a du sens dans le contexte économique qui est le notre en ce moment, mais qui ne se laisse pas contaminer par l’ambiance morose qui colle à cette époque. Au-delà des problèmes qui se posent au héros, Akin impose une légèreté, réussit à nous faire sourire et même rire.
La musque tient une place particulièrement importante. Akin a utilise des musiques bien differentes:rock : blues, soul, pop, standard turcs.En general, c'est empeinte de soul, d'ou le titre du film.Le film, ne se laisse pas figer dans une ambiance et dans une direction unique. Il bouillonne, il est chaleureux, il explore les sentiments sans sentimentalisme. Tout se mélange en cohérence et selon un parfait équilibre.
J'ai pris beaucoup de plaisir, le film est un rayon de soleil, une brise rafraichissante.

Soul kitchen...
Je l'ai vu avec une amie dont je me doutais qu'elle n'allait pas l'apprécier du tout...Cela m'a mise mal à l'aise...Impressions faussées pour moi donc...Parfois je préfère aller au ciné toute seule...
Tout de même, ce film ne vaut pas, il me semble, Head-On et De l'autre côté.

coline a écrit:

Soul kitchen...Tout de même, ce film ne vaut pas, il me semble, Head-On et De l'autre côté.

Non, ce film ne vaut ni Head-On, ni De l'autre côté, ni Solino.
En general, je n'aime pas les comedies et je suis allee voir ce film juste parce que c'en est un de Fatih Akin. Je suis sortie satisfaite, pas ennuyee cette fois, malgre que c'est un genre qui n'est pas mon truc.
Attendons le suivant "Akin"!

Orientale a écrit:

coline a écrit:

Soul kitchen...Tout de même, ce film ne vaut pas, il me semble, Head-On et De l'autre côté.

Non, ce film ne vaut ni Head-On, ni De l'autre côté, ni Solino.
En general, je n'aime pas les comedies et je suis allee voir ce film juste parce que c'en est un de Fatih Akin. Je suis sortie satisfaite, pas ennuyee cette fois, malgre que c'est un genre qui n'est pas mon truc.
Attendons le suivant "Akin"!

Peut-être, aussi, parce qu'on a tendance à accorder plus de "valeur" à des films graves, poétiques, contemplatifs...
C'est aussi, beaucoup, une question de sensibilité.

Cela dit, je trouve, comme vous, que Fatih Akin est plus balèze dans les films moins légers. Parce qu'il y a quelques films dans le "genre" de Soul Kitchen qui sont bien mieux réussis, mais s'il persévère là-dedans, il ne peut que s'améliorer, parce qu'il est plein de qualité ce film.

Queenie a écrit:

mais s'il persévère là-dedans, il ne peut que s'améliorer, parce qu'il est plein de qualité ce film.

si on considère toute sa filmographie (et je ne peux qu'espérer qu'on va se résoudre à synchroniser Solino et En juin p.ex. de ses films d'avant, enfin pour le public français), les films 'plus sérieux' sont plutôt exception.. il a débuté avec "du léger" et après Head-On et De l'autre côté, il voulait peut-être se faire du plaisir.. et à ses spectateurs..

kenavo a écrit:

Queenie a écrit:

mais s'il persévère là-dedans, il ne peut que s'améliorer, parce qu'il est plein de qualité ce film.

si on considère toute sa filmographie (et je ne peux qu'espérer qu'on va se résoudre à synchroniser Solino et En juin p.ex. de ses films d'avant, enfin pour le public français), les films 'plus sérieux' sont plutôt exception.. il a débuté avec "du léger" et après Head-On et De l'autre côté, il voulait peut-être se faire du plaisir.. et à ses spectateurs..

Tu as raison Kenavo. Dans une itv, il disait, qu'en fait, Soul Kitchen il voulait le faire depuis longtemps, mais qu'avec le succès de Head-on, il avait peur de décevoir, de n'être pas compris, pas suivi, du coup, il s'est attelé à un projet "dans la même veine".

Et puis même si le ton est plus léger en surface, ce que le film raconte n'est pas toujours très rigolo! Mais c'est la même exigence de cinéma. Idem pour Mike Leigh quand il se met à faire "Be Happy" qui est un de ses meilleurs!

Bien d'accord avec vous et merci pour ton chouette commentaire Orientale!
J'avais adoré De l'autre côté, mais celui-ci est un genre à part et c'est tout à l'honneur de Akin de savoir doser les deux.

Orientale a écrit:

Le film, ne se laisse pas figer dans une ambiance et dans une direction unique. Il bouillonne, il est chaleureux, il explore les sentiments sans sentimentalisme. Tout se mélange en cohérence et selon un parfait équilibre

Tout est dit, contente qu'il t'ai plu, Orientale
En fait j'ai aimé la proximité des personnages, cet aspect très chaleureux et vivifiant. Il est bon parfois de se lâcher un peu sinon la vie serait sinistre. Dommage Coline que ton amie n'ait pas pû apprécier...

Pour les amateurs de Fatih Akin, le DVD de Soulkitchen va paraître le 8 septembre.. mais, pour ceux qui veulent découvrir des films de lui qui ne sont pas passés au cinéma.. et qui valent le détour, voilà le coffret qui va sortir en même temps:


Soul Kitchen; L'engrenage; Julie en juillet; Solino

Citation :

Soul Kitchen : Zinos, jeune restaurateur à Hambourg, traverse une mauvaise passe. Sa copine Nadine est partie s'installer à Shanghai, les clients de son restaurant, le Soul Kitchen, boudent la cuisine gastronomique de son nouveau chef, un talentueux caractériel, et il a des problèmes de dos. Zinos décide de rejoindre Nadine en Chine, et confie son restaurant à son frère Illias, fraîchement sorti de prison. Ces deux décisions se révèlent désastreuses : Illias perd le restaurant au jeu contre un promoteur immobilier véreux, et Nadine a quelqu'un d'autre dans sa vie...

L'engrenage : L'amitié fraternelle entre un turc, un serbe et un grec membres d'un petit gang à Hambourg est mise à l'épreuve quand l'un d'eux entre au service de la mafia albanaise...

Julie en juillet : De Hambourg à Istanbul, un road movie comique et romantique...

Solino : La chronique de la vie d'une famille italienne immigrée en Allemagne dans les années 70...

kenavo a écrit:

Pour les amateurs de Fatih Akin, le DVD de Soulkitchen va paraître le 8 septembre.. mais, pour ceux qui veulent découvrir des films de lui qui ne sont pas passés au cinéma.. et qui valent le détour, voilà le coffret qui va sortir en même temps:


Soul Kitchen; L'engrenage; Julie en juillet; Solino

J'ai craqué pour ce coffret qui va me permettre de découvrir ses 3 premiers films et de revoir avec plaisir Soul Kitchen. Il va de soi que le coffret pourra circuler en tout ou partie... Avis aux amateurs!