A Dangerous MethodJ'ai trouvé ce film absolument superbe
de bout en bout. Toutes
les préoccupations et obsessions habituelles
de Cronenberg sont présentes à travers cette contamination introduite dans
les scènes inaugurales par
les déformations corporelles hystériques
de Sabrina Spielrein dont la tension érotique et
l'obscénité apparente contrastent avec sa douceur habituelle et le cadre idyllique, post-romantique, dans lequel se déroule
l'action. ce n'est pas une hystérie clinique ou une caricature d'hystérie, c'est une hystérie monstrueuse à la façon
de Cronenberg qui revisiterait
les figures
de la crucifixion
de Francis Bacon et leur cri existentiel. La manière dont il filme et cadre ces scènes mutantes est fantastique.
Le corps comme possédé laisse échapper ce que
l'esprit ne peut jusque
là affronter et cette force abstraite qui se libère envahit
les esprits des différents protagonistes, diffuse une mélancolie profonde qui devient progressivement
l'anticipation des traumatismes historiques futurs avec la montée
de l'anti-sémitisme et du nazisme (voir le générique final qui annonce le devenir
de chacun).
Les plans sont somptueusement composés et toujours à la limite d'une inquiétante étrangeté, accompagnés par des variations
de Howard Shore au piano et à
l'orchestre sur des thèmes
de L'or du Rhin et
de La Walkyrie
de Wagner. On est dans une ambiance à la fois douce et mortifère d'une fin
de monde comme en trouve chez Thomas Mann ou Arthur Schnitzler.
Le film expose ces tempêtes sous un crâne
de praticiens qui cherchent à comprendre et à donner du sens (chacun à sa façon toujours fragile et insatisfaisante) au comportement humain, à ces pulsions qui nous animent contre notre volonté.
L'opposition entre corps et esprit, répression et liberté, principe
de plaisir et principe
de réalité, pulsion
de vie et pulsion
de mort, réalité et fantasmes, anime tous
les films
de Cronenberg qui montre
l'être humain comme une sorte
de créature mutante dont
les excroissances physiques ou mentales, sources
de plaisir et
de douleur à la fois, cherchent à se confronter aux exigences du réel (notamment social).
Les dialogues
de Christopher Hampton sont très riches en informations et il était extrêmement difficile
de trouver un bon équilibre pour éviter trop
de didactisme ou d'abstraction hermétique pour le profane qui ne connait pas
les théories
de Freud, Jung, Otto Gross...
Les joutes oratoires ou épistolaires sont captivantes et il faudrait prendre le temps d'y réfléchir ou
de revoir encore le film.
Il montre aussi
les rivalités et enjeux
de pouvoir, intellectuel et sexuel, entre ces hommes. Tous
les fondements
de la psychanalyse sont évoqués à travers une fiction qui est en même temps une histoire d'amour. Un homme (Jung) déchiré entre préservation
de la conjugalité et adultère, pragmatisme et idéal. Avec le contrepoint d'une figure paternelle écrasante et toute puissante qui dicte la loi à transgresser (Freud) et le tentateur libéré
de toute contrainte à cette même Loi (Otto Gross). Le Moi cherchant un compromis entre le ça pulsionnel et le surmoi social et spirituel. Et une figure
de jeune femme qui s'affranchit, se libère, comble quelques failles et renverse le rapport d'emprise en transmettant son "virus" mental.
Il y aurait encore mille choses à dire sur ce film que je trouve formellement très beau sans être académique ou neutre. La force
de ce récit nait
de ce contraste entre une surface paisible et un sous-bassement tourmenté, la conscience et
l'inconscient. Et tout cela avec un certain humour et une subtile remise en question
de la psychanalyse qui a
l'intelligence d'être sobre et nuancée. Et même si on peut trouver
les protagonistes à la limite du stéréotype (dans la mesure où ils incarnent surtout des idées et des concepts), je trouve qu'il arrive à donner vie à ces personnages grâce à des acteurs formidables (sans oublier Vincent Cassel, magnétique en Otto Gross). Du grand art!