Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 A propos de la création aujourd'hui en France...

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Steven
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MessageSujet: Malaise culturel   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyMar 19 Fév 2008 - 13:01

Jean-Michel Djian fait part d'un mécontentement et d'une inquiétude dans le monde de la culture. Budget insuffisant, spectacles étudiés du seul point de leur rentabilité économique (comme n'importe quel produit...), éphémérité du temps d'installation des spectacles - ils doivent trouver leur public très vite ou disparaitre. Et enfin, ces deux phénomènes confrontés à l'absence de vision ou de perspective dans le domaine des l'enseignement des arts et culturel pose le problème d'une "fracture culturelle". A la mode comme impression, mais inquiétant ! Suit l'intégralité de l'article de Djian dans Ouest-france.
Citation :
mardi 19 février 2008 par Jean-Michel Djian (*)
Malaise dans la culture
En réponse au mécontentement affiché dans les milieux du spectacle vivant (musique, théâtre, danse...) face à un budget 2008 jugé insuffisant, la ministre de la Culture, Christine Albanel, a lancé les Entretiens de Valois avec le monde du spectacle. Dans son discours d'ouverture, elle a elle-même évoqué un « sentiment de malaise ».

Faut-il que les artistes et les professionnels des arts et du spectacle soient démoralisés pour que leur tutelle en vienne à relayer publiquement leurs états d'âmes ? On peut le croire, en effet, tellement la politique culturelle, en particulier en matière de spectacle vivant, traverse, malgré les moyens publics qui s'y rattachent, une véritable crise.

Crise économique d'abord, avec ce constat que l'offre culturelle dans sa densité, son caractère original, est devenue un objet comptable pour les pouvoirs publics. Ce qui signifie qu'imperceptiblement, les spectacles se sont transformés en produits et ne répondent plus qu'à des critères de rentabilité, de résultats. La preuve en est cette obligation imposée par le président de la République de devoir fournir, en priorité, des chiffres de fréquentation des salles pour justifier la reconduction des aides.

Crise artistique aussi : les oeuvres, parce qu'elles ne disposent plus de temps pour « trouver » leur public, sont soumises à l'éphémère, donc au jugement rapide, voire à la banalisation. Et ce sont les artistes qui « trinquent » car ce sont eux qui, contraints par un système de production les obligeant à créer, en sont les premières victimes.

Crise du public enfin. Si la culture est devenue une affaire d'État depuis les années Malraux, c'est bien parce que la République a considéré que les arts avaient quelque chose à faire avec la citoyenneté. Les collectivités locales, relayant ainsi l'État, l'ont compris puisqu'elles financent très largement les théâtres et autres salles de concerts. Mais en repoussant une ambitieuse politique d'éducation artistique (les récentes annonces de la ministre sont décevantes), la nation se prive pourtant du seul outil sérieux pour résoudre une grande partie de ce malaise.

Ou bien la totalité des nouvelles générations sera, dès l'école, confrontée aux oeuvres par le biais d'un travail conjoint des artistes et des enseignants et, dans ce cas, le pays se donne les moyens de réduire la « fracture culturelle ». Ou bien, on fait comme si la culture ne profitait qu'à ceux qui en jouissent déjà. Dans ce cas, la légitimité même d'une politique culturelle serait mise en question.

On ne peut pas démocratiquement parler de culture dans une société qui laisse à la télévision, aux jeux vidéos comme à Internet le quasi-monopole du temps de loisirs, sans s'interroger sur les liens entre l'accès à l'art et à l'univers de la distraction. Il n'est pas non plus interdit aux pouvoirs publics de mesurer les conséquences catastrophiques d'une généralisation du piratage des films ou de la musique (plus d'un milliard de fichiers piratés en France pour la seule année 2007) sur la valeur d'une oeuvre aux yeux d'un citoyen. Car le jour où, dans l'esprit des populations et notamment des jeunes, la confusion entre spectacle vivant et audiovisuel sera totale, nous aurons alors quelques soucis à nous faire.



(*) Professeur associé à Paris VIII.


Jean-Michel Djian (*)
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyMar 19 Fév 2008 - 19:34

Je te remercie Steven de relayer ces informations, j'ai toujours peur de ressasser des problèmes qui me touchent de près ...

Steven a écrit:
mardi 19 février 2008 par Jean-Michel Djian (*)
Malaise dans la culture
En réponse au mécontentement affiché dans les milieux du spectacle vivant (musique, théâtre, danse...) face à un budget 2008 jugé insuffisant, la ministre de la Culture, Christine Albanel, a lancé les Entretiens de Valois avec le monde du spectacle. Dans son discours d'ouverture, elle a elle-même évoqué un « sentiment de malaise ».

Faut-il que les artistes et les professionnels des arts et du spectacle soient démoralisés pour que leur tutelle en vienne à relayer publiquement leurs états d'âmes ?


Budget insuffisant, spectacles étudiés du seul point de leur rentabilité économique (comme n'importe quel produit...), éphémérité du temps d'installation des spectacles - ils doivent trouver leur public très vite ou disparaitre.

Les spectacles se sont transformés en produits et ne répondent plus qu'à des critères de rentabilité, de résultats. La preuve en est cette obligation imposée par le président de la République de devoir fournir, en priorité, des chiffres de fréquentation des salles pour justifier la reconduction des aides.

Crise artistique aussi : les oeuvres, parce qu'elles ne disposent plus de temps pour « trouver » leur public, sont soumises à l'éphémère, donc au jugement rapide, voire à la banalisation. Et ce sont les artistes qui « trinquent » car ce sont eux qui, contraints par un système de production les obligeant à créer, en sont les premières victimes.


Quid de l'accès à l'Art et à la Culture par l'école? Quels sont les projets et les moyens?
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 17 Mar 2008 - 13:38

« Les comptables ne doivent pas être les nouveaux censeurs »



« Vous veillerez à ce que les aides publiques à la création favorisent des œuvres répondant à l’attente du public. »



Cette phrase clé de la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à la ministre de la Culture me semble d’une violence inimaginable…Toute personne qui fréquente les Arts et la Culture sait à quel point elle constitue « une ânerie », pour reprendre le propos de Cédric Klapisch. Il n’y a pas d’art qui corresponde à l’attente du public. « Comment vivre sans un inconnu devant soi ? » interrogeait René Char. La création, même si elle se révèle ambiguë ou compliquée, est toujours la promesse de nouveaux commencements. Elle augmente l’homme- j’aime profondément ce terme-, elle donne un sens à son existence. Prendre le risque de la création, c’est reconnaître l’importance de l’imaginaire. Souvenons-nous de ce que disait Georges Braque : « L’Art est une blessure qui devient une lumière. »

Le public ne réclame pas spontanément l’inconnu. Personnellement, j’adore Brel ou Ferré, je les écouterais sans arrêt mais il m’est nécessaire de me confronter à d’autres œuvres. Des livres ou des pièces de théâtre ont provoqué chez moi des émotions fondatrices. J’ai découvert Claudel grâce au Partage de midi, mis en scène par Antoine Vitez : je l’ai vu sept fois et je me suis mis à parcourir toute son œuvre. Puis il y eut Le soulier de satin, dans la nuit d’Avignon, avec partage des croissants au petit matin, en compagnie des comédiens. Une telle production coûte cher, forcément, mais l’émotion ressentie n’a pas de prix…Je ne peux vivre sans artistes : souvent ils m’ont empêché de faire des bêtises car ils ouvrent à la nuance, au questionnement, au doute, à la pensée critique.

Aragon disait : « Je ne connais pas d’écrivain qui n’écrive pour être lu. ». Si l’artiste n’est pas reconnu (dans les premiers temps..) son travail st-il forcément sans valeur ? Les comptables ne doivent pas être les nouveaux censeurs. J’aime cette phrase de l’écrivain Glenn Baxter : « Le comptable applaudit quand le parterre est plein. Mais plein de quoi ? » Le contenu a aussi son importance…Dans une lettre célèbre adressée à André Malraux en 1971, Jean Vilar disait que le mariage entre le pouvoir et l’Art est un mariage cruel, voire une danse de mort. Il ajoutait : « Le chemin du milieu ne mènera jamais au Festival d’Avignon. » il faut prendre le risque de la création ! L’histoire montre à quel point il s’agit d’une bataille permanente. Lui-même- alors qu’il est devenu une sorte de mythe vivant- ne faisait pas le plein lorsqu’il se déplaçait en banlieue avec Gérard Philippe et la troupe du TNP.

La lettre de NicolasSarkozy développe une conception utilitaire de la pensée et de l’Art. A droite comme à gauche, une poussée s’exerce pour la mettre en œuvre. Elle trouve ses racines dans l’inexistence de grands projets, dans une dévaluation de l’homme. Jamais l’argent et la Culture n’ont été aussi fortement mêlés. Jusqu’à présent, la France avait réussi à maintenir l’idée d’un service public de la Culture puissant qui fasse la part belle à la création et donne la première place à l’artiste. Aujourd’hui, le marchand tend à devenir le premier. L’exemple typique, c’est TF1 : à l’occasion de sa privatisation, la chaîne promettait « un mieux-disant culturel », elle livre désormais des « cerveaux disponibles » à la publicité.

Jack Ralite, ancien Ministre, sénateur communiste des Hauts-de-Seine (La Croix du 01/08)
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 17 Mar 2008 - 13:40

Le 6 novembre 2007
"Monsieur Sarkozy, vous demandiez récemment à Mme Albanel, ministre de la culture et de la communication, de relancer la démocratisation culturelle en la définissant: “La démocratisation culturelle, c’est veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public.” Cette petite phrase anodine cache en fait le drame qui touche depuis quelques années le secteur du cinéma.

Il y a dans la culture, comme dans le rugby, des fondamentaux… Et ce n’est pas seulement à vous que je m’adresse ici, mais à tous ceux qui font aveuglément confiance aux “attentes du public”, sans mesurer à quel point la diversité culturelle est ainsi menacée.
Vous vous inquiétez avec justesse d’une maladie française qui s’appelle l’élitisme. C’est vrai, on a souvent reproché au cinéma français d’être snob, prétentieux, intello, “prise de tête”, et je dois vous avouer que je l’ai aussi beaucoup pensé.
C’est même assez étrange pour moi de m’être battu pendant des années pour affirmer la nécessité d’un cinéma populaire et de me retrouver à défendre aujourd’hui un cinéma non pas élitiste mais “culturel”. J’ai toujours pensé qu’on pouvait faire des films commerciaux en refusant de prendre les spectateurs pour des imbéciles. Je crois à une “troisième voie” qui refuse la sempiternelle opposition: film d’auteur, film commercial.
Un député européen me demandait récemment: “Pourquoi n’y a-t-il pas d’Harry Potter européen?” Est-ce réellement ce que vous attendez tous? Est-ce là votre seul rêve culturel: un film absolument sans auteur et sans saveur dont la seule valeur est d’être un succès? Je comprends que, dans d’autres domaines, vous soyez en attente de résultats industriels. Mais, dans le cinéma, nous préférerions que les personnalités politiques nous incitent à être originaux ou audacieux, plutôt qu’à faire du chiffre.
Aujourd’hui, ce qui nous inquiète, nous, réalisateurs, c’est d’assister à la lente et insidieuse disparition de ce qui pourrait surprendre ou éveiller le public. Il y a de fait un appauvrissement culturel dans notre pays et les élites n’envisagent même plus de travailler à le ralentir. Je m’inscris ici dans la même démarche que Pascale Ferran aux César. Avec la Société des réalisateurs de films (SRF), nous remarquons, comme elle, à quel point la situation se dégrade rapidement, et il devient urgent de réagir.
Si notre métier contient une part de rêve, être “réalisateur”, au sens littéral, c’est rendre réels ces rêves. Si nous aidons les spectateurs à fuir la réalité avec nos images, notre but est aussi que ces images les renvoient autrement à la réalité. Le cinéma doit sans doute divertir, mais il doit aussi avertir. Un réalisateur doit plus aider les gens à se “tourner vers” qu’à se “détourner”. Il ne doit pas “endormir”, mais donner à voir, informer, éveiller la curiosité.
Woody Allen m’a averti des paradoxes du couple. Federico Fellini m’a éclairé sur les mystères de la masculinité, Jane Campion sur les mystères de la féminité. Jean Renoir m’a parlé de ce qui dépasse les classes sociales, Charlie Chaplin de ce qui n’échappera jamais aux classes sociales, Abbas Kiarostami de l’intelligence contenue dans la simplicité, Jean-Luc Godard de la simplicité contenue dans l’intelligence, Martin Scorsese de la beauté de la violence, Alain Resnais de l’horreur de la violence, Pedro Almodovar du fantasme contenu dans le réel, Alfred Hitchcock du réel contenu dans le fantasme…
Tous ces cinéastes m’ont aidé à vivre. Ils m’ont autant diverti qu’averti. Ils m’ont aidé à aborder des problèmes quotidiens sans me donner de leçons. Ils m’ont donné des éléments de réflexion sans que je sache que c’était de la réflexion. Ce “reflet” du monde n’est pas juste un effet de miroir, c’est ce qu’on appelle un regard. Bizarrement, plus ce regard est personnel, plus il sera universel. Moins il sera consensuel et formaté, plus il sera général. La culture a ceci de particulier qu’elle n’est pas conçue a priori pour satisfaire le public, même si au fond elle s’adresse à tous. On pourrait croire qu’avec Internet il y aura toujours plus d’espaces pour plus de films. Non! Paradoxalement, plus on ouvre de fenêtres et plus les portes se ferment. La multiplication des espaces de diffusion accentue la logique de l’Audimat et l’omniprésence des block-busters. Le résultat: un formatage sans précédent des oeuvres.
En matière d’environnement, on sait aujourd’hui que seule l’audace politique peut infléchir les effets pervers de l’industrie. En matière culturelle, il devient indispensable de contrebalancer les effets pervers du marché. Nous ne voulons pas une culture assistée, nous voulons une culture protégée.
Je me souviens de La Voce della Luna, le dernier film de Federico Fellini. Il y mettait en garde l’Italie contre les méfaits de l’acculturation, et notamment le rôle destructeur et abêtissant de la télévision. Aujourd’hui, Fellini est mort, et avec lui Pasolini, Visconti, Antonioni, Rossellini, De Sica et bien d’autres. Et avec eux, quelque chose d’essentiel a disparu en Italie. La cinématographie italienne des années 1940 à 1980 était diversifiée, il y avait aussi bien des grands films populaires que des films difficiles. Ce qui est mort là-bas, ce n’est pas le talent, ce n’est pas une époque… ce qui est mort, c’est la politique qui a déserté le terrain de la culture au profit du divertissement et du populisme les plus mercantiles.
Il est difficile d’inventer une politique qui aide la création, mais le manque d’idées politiques mène à l’acculturation. Se borner à laisser faire le marché en matière de culture, c’est tuer la culture.”
Cédric KLAPISCH
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyMer 19 Mar 2008 - 19:12

Critique

Eric Vigne : la colère de l'éditeur de fonds

LE MONDE DES LIVRES | 21.02.08 |

Le paradoxe de l'ouvrage d'Eric Vigne, c'est qu'il ressemble de prime abord à ces livres courts, et incisifs, troussés en 150 pages qui font le point sur le sujet d'actualité du moment, ces "faux livres" dont il dénonce avec virulence l'avènement et l'emprise sur l'édition française depuis près de trois décennies. Paru chez Klincksieck, Le Livre et l'éditeur fait le point en 50 questions sur les transformations de l'objet livre, la manière dont il est conçu en amont, réalisé, distribué, commercialisé puis promu, et les conséquences que cela induit pour le métier d'éditeur.

Né d'une colère froide à l'égard d'une profession qui se vit comme la sidérurgie lorraine et qui se repaît de son impuissance, cet essai entend ouvrir un débat salutaire. Son auteur, comme ne l'indique pas la quatrième de couverture, n'est pas un inconnu. Eric Vigne, 54 ans, dirige depuis 1988 la collection "NRF essais" chez Gallimard. Avant cela, il a fait ses classes chez Maspero - devenu La Découverte -, puis chez Fayard.

"Editeur, ce n'est plus une profession : c'est pour certains, très en vue, une activité sociale d'ordre caritatif, puisque la finalité est de transformer en écrivants un maximum d'amis et de relations", écrit-il. Dans le refus d'employer le mot "écrivains" pour cette catégorie nouvelle, perce le degré d'exigence d'Eric Vigne, lui qui publie (entre autres) chez Gallimard les oeuvres de Jürgen Habermas, Stephen Jay Gould, Luc Boltanski ou encore Thomas Laqueur.

Une cassure historique s'est produite dans les années 1980. Alors que le livre vivait depuis Gutenberg dans l'ère de la commercialisation, il a basculé dans celle de la marchandisation. "La marchandisation, c'est, par l'aval du marché, la captation de l'amont de la conception, de l'idée, de l'écriture du livre (...), c'est le formatage du produit pour le grand échange marchand." Pour étayer sa réflexion, Eric Vigne s'appuie sur deux grands auteurs : Denis Diderot, qui, au moment où il publiait l'Encyclopédie, a rappelé que "le livre n'est pas une marchandise comme les autres",et l'économiste autrichien d'origine hongroise Karl Polanyi, auteur de La Grande Transformation (Gallimard, 1983).

La marchandisation dicte son contenu aux livres et fait peser une menace de standardisation sur l'ensemble de la production littéraire. Les raisons de ces changements sont multiples, mais Eric Vigne en cerne deux : l'accélération du taux de rotation des titres et la dictature du court terme.

Les éditeurs se mettent à préférer le temps court et les ouvrages brefs qui peuvent passer à la télévision. La culture de l'instant dame le pion à la culture du fonds. Tout raccourcit : le temps de rédaction des thèses universitaires, le nombre de pages des essais et la durée d'exposition des ouvrages dans les librairies : un titre chasse l'autre.

A l'arrivée, c'est le triomphe des "faux livres", ces produits d'appel portés par ce qu'Eric Vigne nomme "l'intellectuel organique des médias". Cette catégorie aurait émergé le 22 février 1984, date de "la célébration des fiançailles entre l'essai nouvelle manière et l'univers télévisuel marchand". Ce jour-là, grâce à l'émission "Vive la crise !" sur Antenne 2, Michel Albert, expert au Plan, auteur d'un essai publié au Seuil, Le Pari français, s'est commué en "intellectuel en charge d'une nouvelle doxa économique". Depuis, la liste est longue de ces experts d'un nouveau genre...

"Le livre est ici un moyen, il a cessé d'être une fin. Nous sommes entrés dans l'ère de la littérature de notoriété, stade suprême de la littérature de proximité", ironise Eric Vigne. Mais derrière cette ironie se cache l'inquiétude d'un éditeur préoccupé par l'avenir des livres de fond. Sans prise de conscience et réaction collectives, la marchandisation promet de conduire tout un pan de la production littéraire vers son tombeau.

La marchandisation porte en soi "le refus de la péréquation", estime Eric Vigne. Alors qu' autrefois les équilibres économiques étaient assurés au sein d'une maison d'édition ou entre ses collections, il est aujourd'hui de plus en plus souvent demandé aux éditeurs d'assurer une rentabilité comptable de chacun des titres qu'ils publient. Du coup, c'est la politique éditoriale d'un grand nombre d'enseignes qui se trouve modifiée, mais aussi, à terme, le paysage éditorial dans son ensemble. Une nouvelle division du travail s'instaure : "Aux uns, la grosse cavalerie, coûteuse en ses échecs, Saint-Graal en ses succès ; aux autres les chevau-légers. Mais de l'un à l'autre, nulle compensation financière, car les chevau-légers seront en grand nombre des petites maisons indépendantes, alors que la grande cavalerie paradera dans les groupes de communication."

Deux crises qui touchent la médiation du livre en amont, et en aval viennent noircir ce tableau déjà passablement chargé.

D'un côté, la crise de la presse écrite, avant tout liée à celle de la lecture et de l'écrit. Mais Eric Vigne pointe un deuxième aspect plus pernicieux. En raison de leurs soucis financiers, beaucoup de journaux sont désormais insérés dans des groupes de communication. La logique de l'information cède le pas à un univers où l'émotion tient lieu d'analyse. Cette dérive menace aussi des maisons d'édition chargées de "donner une matière aux autres médias du propriétaire".

La seconde crise est celle de la distribution. Elle est liée aux tensions qui touchent l'équilibre économique de la libraire indépendante. "Le risque est grand aujourd'hui que paraissent des ouvrages qui seront livrés à la critique rongeuse des souris plutôt qu'ils n'atteindront le rayonnage des librairies."

Pourtant, face à cette "grande transformation", Eric Vigne ne rend pas les armes. Il les énumère : assurer la péréquation des titres par collection, ajuster les mises en place dans les librairies. Il livre aussi sa définition de l'éditeur : "Son identité intrinsèque : être un jongleur des temporalités", seul moyen de résister à la marchandisation.

LE LIVRE ET L'ÉDITEUR d'Eric Vigne. Ed. Klincksieck
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyJeu 17 Avr 2008 - 16:04

Retrouvé dans le dernier numéro des Cahiers du Cinéma, ce texte de Pascale Ferran, cinéaste:
Violence économique et cinéma français

"Nous sommes nombreux à être comédiens, techniciens ou réalisateurs de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français.
Par ailleurs, nous avons un statut commun : nous sommes intermittents du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non ; soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, à l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non travaillées.
C’est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Il produisait une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film, et aussi entre les générations.
Depuis des années, le Medef s’acharne à mettre à mal ce statut, en s’attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé.
[…] Le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités.
Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches.


[…]Au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un côté à des films de plus en plus riches et de l’autre à des films extrêmement pauvres.
Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français.

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu - justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres - étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur.
Leurs auteurs - de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain Resnais -avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique.

Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions.
Or ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploie très méthodiquement à faire disparaître.
En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches,
en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français. Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des spectateurs ; alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde.
Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver
."
Pascale Ferran
(extrait d’un texte publié dans le journal Le Monde daté du 28 février 2007.)
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyMer 4 Juin 2008 - 14:01

malheureusement nous sommes entré dans l'ère de la staracamerdisation de l'art et surtout de la rentabilité. aujourd'hui aucune chance n'est donné aux jeunes talents que ce soit dans la musique, le théatre, la litterature ou la peinture? tout doit être formaté et standardisé... je peux cous raconter une anecdote personnel, j'ai écrit mon premier roman et ai envoyé mes manuscrits à plusieurs éditeurs classique. certains m'ont répondu que je mon style ne correspondait pas à leurs ligne éditoriale, ce que je peux concevoir. par contre un éditeur dont je préfère taire le nom m'a répondu et m'a proposé un contrat. lors de la signature il me demandait d'envoyer une photo pour la 4ème de couverture, autant dire que j'étais heureux... puis j'ai reçu un courrier aimable me disant que mon physique posait problème pour d'éventuelle promo télévisée car je n'étais pas télégénique... donc voilà, j'écris bien mais je n'ai aps une bonne gueule alors pas de bouquin... depuis je suis parti vers l'auto édition, j'avoue que je rame pour vendre mes livres mais j'en vends un peu et pour moi le plus important est d'être lu même si c'est infime et ceux qui me lisent me contactent pour me dire qu'ils ont aimé, c'est donc le plus important pour moi....
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Cachemire
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyMer 4 Juin 2008 - 15:51

Paskal carlier a écrit:
par contre un éditeur dont je préfère taire le nom m'a répondu et m'a proposé un contrat. lors de la signature il me demandait d'envoyer une photo pour la 4ème de couverture, autant dire que j'étais heureux... puis j'ai reçu un courrier aimable me disant que mon physique posait problème pour d'éventuelle promo télévisée car je n'étais pas télégénique... donc voilà, j'écris bien mais je n'ai aps une bonne gueule alors pas de bouquin....

Le talent passe désormais après le marketing dans notre société de consommation et tu en as fait les frais ! Je suis choquée ! humeur
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Nathria
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:23

Plutôt que de mal résumer cet article au risque de le dénaturer, autant le partager avec vous dans son ensemble. Voici l’article qui remue actuellement le monde culturel. Il ne laisse pas indifférent…
Baricco nous parle ici de la culture en Italie.

Fermez les théâtres publics !
De Alessandro Baricco. (La Repubblica, Rome. Traduit dans Le courrier international n° 962)



Sous la loupe de la crise économique, les petites fissures dans la porcelaine des vies individuelles et dans le mur de pierre de la vie en société deviennent d’énormes crevasses. Une de ces fissures qui s’agrandissent concerne le financement public de la culture, le flot d’argent qui abreuve les théâtres, les musées, les festivals, les expositions, les colloques, les fondations et les associations. Mais le flux se tarit. Alors, on s’interroge, on proteste, on débat. On voit s’accumuler les signes d’une agonie qui pourrait tout aussi bien être longue, mais qui cette fois ne le sera pas.

Sous la loupe de la crise économique, tout s’embrasera bien plus rapidement qu’on ne le pense. Dans les films américains, il n’y a que deux solutions dans pareille situation : soit on part en courant, soit on réfléchit très vite. Prendre la fuite n’est pas très élégant. Reste donc l’autre solution : penser vite, très vite. C’est ce que doivent faire tous ceux qui connaissent bien la situation pour avoir travaillé dans la culture, à quelque niveau que ce soit. C’est mon cas et donc, me voilà. En fait, il me faudrait un livre pour dire tout ce que je pense des rapports entre fonds publics et culture, mais pour penser vite, cela veut dire aussi penser l’essentiel et c’est ce que je tenterai de faire ici.

Si j’essaie de comprendre ce qui nous a amenés il y a longtemps à utiliser l’argent public pour soutenir la vie culturelle d’un pays, deux bonnes raisons me viennent à l’esprit. La première : étendre le privilège du développement culturel en rendant les lieux et les rites de la culture accessibles au plus grand nombre. La deuxième : protéger de l’inertie du marché un certain nombre de pratiques ou de répertoires qui n’auraient sans doute pas eu la force de survivre à la logique du profit, mais qui nous semblaient indispensables si l’on voulait transmettre un certain degré de civilisation. J’ajouterais une troisième raison, plus générale, plus sophistiquée, mais tout aussi importante : la nécessité pour la démocraties d’inciter les citoyens à assumer la responsabilité de la démocratie, c’est-à-dire le besoin d’avoir des citoyens informés, un tant soit peu cultivés, dotés de principes moraux solides et de références culturelles fortes.
En défendant l’envergure culturelle des citoyens, les démocraties se sauvent elles-mêmes, comme le savaient déjà les Grecs au Ve siècle av. J.-C et comme l’ont parfaitement compris les jeunes et fragiles démocraties européennes au sortir du totalitarisme et des guerres mondiales.

Aujourd’hui, il faut se poser la question : ces trois objectifs sont-ils encore valables ? Avons-nous envie de nous demander, en toute honnêteté, s’ils sont encore d’actualités ? Moi j’en ai envie. Et je répondrai ceci : ces objectifs sont probablement encore justes et légitimes, mais ils auraient besoin d’être replacés dans le contexte actuel, d’être réactualisés en tenant compte de tout ce qui s’est produit depuis que nous les avons conçus.


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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:23

Prenons le premier de ces objectifs : étendre le privilège de la culture, rendre accessibles les lieux de l’intelligence et du savoir. Or que s’est-il passé ces quinze dernières années dans le domaine de la consommation culturelle ? Les frontières ont volé en éclats, les privilèges ont été étendus et l’accessibilité s’est accrue. C’est une expression américaine, the age of mass intelligence –l’ère de l’intelligence de masse-, qui rend le mieux compte de cette révolution.
Aujourd’hui, cela n’aurait plus aucun sens de penser la culture comme étant le privilège d’une élite de nantis. La culture est devenue un espace ouvert où font des incursions massives des catégories sociales à qui, auparavant, l’accès en était interdit. L’important est de comprendre pourquoi ce changement s’est produit. Est-ce dû au travail patient des fonds publics ? Non, ou du moins rarement, et toujours dans le sillage d’autres événements. Le coffre-fort des privilèges culturels a été forcé par une série de causes liées : Internet, la mondialisation, les nouvelles technologies, l’accroissement de la richesse collective, l’augmentation du temps libre, l’agressivité des entreprises privées en quête de nouveaux marchés, sans aucune protection spécifique de type public.
L’ouverture a été particulièrement spectaculaire dans les domaines des livres, des variétés et de la production audiovisuelle, des secteurs où l’argent public est quasiment absent. En revanche, dans les domaines que les pouvoirs publics financent massivement, l’ouverture se fait beaucoup plus lentement, beaucoup plus modestement, voire pas du tout. Pensons à l’opéra, à la musique classique, au théâtre : s’ils ne stagnent pas, peu s’en faut. Sans vouloir faire de déductions trop mécaniques, l’indice est clair : s’il s’agit d’éliminer des barrières et de démanteler des privilèges, en 2009, il vaut mieux laisser faire le marché et ne pas s’en mêler. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que la bataille contre le privilège culturel est loin d’être gagnée : nous savons pertinemment qu’il y a encore des pans entiers de la société où la consommation culturelle est quasiment nulle. Mais les frontières se sont déplacées. Ceux qui, aujourd’hui, n’ont pas accès à la vie culturelle habitent des espaces blancs de la société que l’on ne peut atteindre que par deux biais : l’école et la télévision.

Lorsqu’on parle de fonds publics pour la culture, on ne parle pas d’école et de la télévision. C’est de l’argent que l’on dépense ailleurs, apparemment là où il n’a plus aucune utilité. Le combat contre la marginalisation culturelle est sacré, mais nous le livrons sur un champ où la bataille a déjà pris fin.

Deuxième objectif : défendre des pratiques et des répertoires précieux qui, du fait de leur coût élevé ou de leur attrait très relatifs, ne survivraient pas à une logique de marché impitoyable.
Autrement dit, sauver les mises en scène qui coûtent des millions d’euros, La fille du régiment de Donizetti, le corps de ballet de la Scala de Milan, la musique de Stockhausen, les colloques sur la poésie dialectales, et ainsi de suite. L’affaire est délicate. Le principe, en soi, est bon. Mais la naïveté qui le sous-tend a atteint avec le temps des niveaux quasi insultants. Il fallait la candeur et l’optimisme des années 1960 pour croire sincèrement que la politique, l’intelligence et le savoir de la politique pouvaient décréter ce qu’il fallait sauver.
Si l’on songe à la filière d’intelligence et de savoir qui mène du ministre compétent au directeur artistique, en passant par les divers conseillers, sommes-nous vraiment sûrs d’avoir devant nous un réseau de lucidité intellectuelle en mesure de comprendre mieux que les autres l’esprit du temps et les dynamiques de l’intelligence collectives ? Malgré tout le respect que je leur dois, la réponse est non. Les entreprises privées, le marché pourraient-ils faire mieux ?
Probablement pas. Mais je suis persuadé qu’ils ne pourraient pas faire pire.

Je suis convaincu que l’acharnement thérapeutique exercé sur des spectacles agonisants et, plus encore, la position de monopole dans laquelle se placent les fonds publics pour les défendre ont provoqué des dégâts imprévus dont il faut désormais prendre acte.


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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:24

Je ne peux m’empêcher de penser, par exemple, que la défense appuyée de la musique contemporaine a produit une situation artificielle dont le public et les compositeurs, en Italie, ne se sont pas remis.
Ceux qui composent de la musique ne savent plus exactement ce qu’ils font ni pour qui, et le public est dans la confusion la plus totale.

Il en va de même de la défense passionnée du théâtre de mise en scène, qui est devenu pratiquement le seul théâtre reconnu en Italie. Bien sûr, ce théâtre nous a offert beaucoup de spectateurs inoubliables, mais il a également décimé les rangs de dramaturges et compliqué la vie des comédiens. Résultat, il n’existe quasiment plus en Italie cette façon de faire naturelle qui, en réunissant un dramaturge, un comédien, un metteur en scène et un mécène, produit le théâtre que l’on connaît dans les pays anglo-saxons : une pratique naturelle, qui se marie aisément avec la littérature et le cinéma et qui s’insère dans le quotidien des gens.

Comme on le voit, les principes sont peut-être les bons mais leurs effets collatéraux sont impossibles à maîtriser. Et là où rien ne va plus, c’est quand la défense de quelque chose conduit à une position de monopole. Lorsqu’un mécène, public ou privé, est le seul opérateur sur un marché donné et qu’en plus, il n’est pas soumis à des contraintes financières et prévoit même de perdre de l’argent, il tue tout autour de lui.
Opéra, théâtre, musique classique, festivals, prix, formation professionnelle : autant de domaines où les fonds publics sont plus ou moins en situation de monopole. Les marges de manœuvre pour le secteur privé sont minimes. Est-ce bien cela que nous voulons ? Est-ce bien le bon système pour ne pas se faire délester de l’héritage culturel que nous avons reçu et que nous voulons transmettre à nos enfants ?

Troisième objectif : les démocraties fondent leur stabilité sur le développement culturel des citoyens. Exact. Mais j’ai un petit exemple qui donne à réfléchir : Silvio Berlusconi. Une conviction très répandue veut que cet homme, avec ses trois chaînes de télévision privées et trois autres (publiques) qu’il contrôle épisodiquement, ait ébranlé la stature morale et culturelle de l’Italie en fragilisant ses fondements, ce qui a donné comme résultats, presque par effet mécanique, une certaine inadéquation collectives aux règles contraignantes de la démocratie. C’est une idée que j’ai entendu énoncer par le cinéaste Nanni Moretti. Ce point de vue ne me convainc guère- Berlusconi est à mon sens plus une conséquence qu’une cause.
Mais je sais qu’il est largement partagé. On peut donc le considérer comme juste. Et se demander pourquoi la digue culturelle grandiose que nous avions imaginé d’ériger avec l’argent des contribuables (c'est-à-dire le nôtre) a cédé aussi facilement ? Suffisait-il de créer trois chaînes de télévision pour contourner l’imposante muraille à laquelle nous avions œuvré ? A l’évidence, oui. Et les donjons que nous avons défendus, les concerts de lieder, les mises en scène raffinées de Tchekhov, La fille du régiment , les expositions, sur l’art toscan du XVe siècle, les musées d’art contemporain, les salons du livre ? Où étaient-ils quand on avait besoin d’eux ? Est-il possible qu’ils n’aient pas vu passer Loft Story ? Oui. Il faut en déduire que la bataille était juste, mais que la ligne de défense était mauvaise, ou fragile, ou pourrie. Plus probable encore : que nous l’avons érigée au mauvais endroit.

Alors, que faire ? Rester ferme sur les objectifs, et changer de stratégie. Il me semblerait logique, par exemple, de faire deux démarches simples, qui en ulcéreront plus d’un.

1. Rediriger ces fonds vers l’école et la télévision. C’est là que se trouve le pays réel, là que se situe la bataille que nous devons livrer.


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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:25

Pourquoi laissons-nous sans broncher des troupeaux entiers s’échapper de l’enclos pour nous préoccuper, longtemps après, de traquer les fugitifs un par un à coups de théâtres, de musées, de festivals, de salons et d’événements, en nous épuisant dans un travail absurde ?

Quel sens cela a-t-il de sauver l’opéra et de produire des étudiants qui en savent plus sur la chimie que sur Verdi ? A quoi cela rime-t-il de financer des saisons de concerts dans un pays où l’on n’étudie pas l’histoire de la musique ? A quoi bon crâner en programmant du théâtre sublime quand diffuser une lecture de Dante par Roberto Benigni à la télévision relève d’un acte d’héroïsme ?

Fermez les théâtres publics et ouvrez un théâtre dans chaque école. Arrêtez les colloques et songez à bâtir une nouvelle génération d’enseignants formés et bien payés. Débarrassez-vous des fondations et des maisons de la culture qui promeuvent la lecture et programmez une émission intelligente sur les livres en prime time. Abandonnez les concerts de musique de chambre et, avec l’argent économisé, permettons-nous une soirée de télé par semaine qui ne soit pas esclave de l’Audimat.

Pour le dire autrement : cessez de penser que produire une offre de spectacles, d’évènements et de festivals est un objectif des fonds publics.
Le marché est sans doute aujourd’hui suffisamment mature et dynamique pour le faire tranquillement tout seul. Ces fonds servent à une chose fondamentale, une chose que le marché ne sait pas et ne veut pas faire : former un public informé, cultivé, moderne. Et à le faire là où le public est au complet, toutes catégories sociales et histoires personnelles confondues : à l’école d’abord, puis à la télévision. La fonction publique doit revenir à sa vocation première, qui est l’alphabétisation. Il faut entreprendre une nouvelle alphabétisation du pays, afin que chacun soit en mesure de lire et d’écrire la modernité. Il n’y a qu’ainsi que l’on pourra créer l’égalité et transmettre des valeurs morales et intellectuelles.
Tout le reste n’est que faux objectifs.

2. Faire en sorte que les entreprises privées puissent se déplacer dans les immenses espaces ouverts créés par cette sorte de retraite stratégique. C’est un point délicat, car cela implique d’en finir avec le tabou de la culture comme marchandise. On pense immédiatement au méchant qui arrive et détruit tout. Pourtant, cela ne nous fait pas peur quand il s’agit des livres ou des médias. Pense-t-on aux éditeurs, petits ou grands, comme à des bandits ? Aux libraires comme à des pirates ? Ce sont des gens qui font de la culture et du business. Le monde des livres, ce sont eux qui le façonnent. Ce n’est sans doute pas le paradis, mais ce n’est pas l’enfer non plus. Alors, pourquoi pas la même chose pour le théâtre ? Essayer d’imaginer qu’il y ait dans votre ville quatre pièces de théâtre à l’affiche, montées par deux grands éditeurs, Benetton et votre cousin. Est-ce si terrifiant ? Ressentiriez-vous le manque d’un théâtre public financé avec vos deniers ?


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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:25

Ce qu’il faudrait faire, c’est créer les conditions pour une véritable entreprise privée dans le domaine de la culture. Y croire et, avec les fonds publics, lui donner un coup de main sans moralisme déplacé. Et l’aider sans complexes si l’on craint pour la qualité du produit final ou pour l’accessibilité financière des services.

Je le dis brutalement : habituons-nous à donner notre argent à ceux qui l’utiliseront pour produire de la culture et faire de l’argent. Finissons-en avec l’hypocrisie des associations et des fondations, qui ne peuvent pas faire de profit : comme si les salaires, les faveurs, les primes, la promotion personnelle -et les petits potentats qui en découlent – n’étaient pas du profit. Habituons-nous à accepter que de véritables entreprises produisent de la culture et des bénéfices, et utilisons les ressources publiques pour leur permettre de garantir des prix modiques et de créer de la qualité. Oublions de leur faire payer des impôts, donnons-leur accès au patrimoine immobilier des villes, allégeons le coût du travail, obligeons les banques à avoir une politique de prêts rapides à taux avantageux.

Le monde de la culture et du spectacle en Italie tient debout grâce à des milliers de personnes qui, à tous les niveaux, font leur travail avec passion et compétence : donnons-leur la possibilité de travailler dans un espace ouvert, en phase avec les consommations réelles, délesté des entraves politiques et revitalisé par une véritable confrontation avec le marché. Ce sont des adultes, cessons de les considérer comme des élèves de maternelle. On pourrait croire qu’il s’agit d’un problème technique, mais c’est avant tout une révolution mentale. Les freins ne sont pas d’ordre pratique mais idéologique. Cela semble une utopie, mais l’utopie est dans notre tête : il n’y a pas d’endroit où il soit plus facile de la faire devenir réalité.

Alessandro Baricco
.


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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:34

Tout de suite un grand merci Nathria d'avoir recopié toutes ces lignes pour Parfum de Livres...
J'étudierai ces mots à tête reposée...


Dernière édition par coline le Lun 4 Mai 2009 - 23:37, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: A propos de la création aujourd'hui en France...   A propos de la création aujourd'hui en France... - Page 3 EmptyLun 4 Mai 2009 - 23:36

coline a écrit:
J'étudierai ces mots à tête reposée...

oui Tu as raison. Ca ne presse pas et puis, ils sont là maintenant! Very Happy
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