K Main aguerrie
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| Sujet: Michel Rio Mar 12 Fév 2008 - 19:55 | |
| Michel RioMichel Rio est né en Bretagne, en 1945 mais il a passé son enfance à Madagascar. Il vit actuellement à Paris. Après avoir suivi des études de sémiologie, il publie son premier roman en 1982 : "Mélancolie Nord" et décide alors de se consacrer entièrement à l'écriture. Si son oeuvre est bien reçue par la critique et a été récompensée de plusieurs prix, elle reste néanmoins relativement peu connue du public français, alors qu'elle est traduite dans plus de vingt langues et connaît le succès aux Etats-Unis. Ses romans (et ses pièces) sont souvent brefs, et s'articulent souvent autour des introspections solitaires de ses personnages, que ce soit à travers de récits philosophique, du roman policier (la série mettant en scène le policier Malone) ou les légendes arthuriennes, qu'il revisite sous un angle plus intimiste et mélancolique qu'épique ("Merlin", "Morgane", "Arthur"). Ses écrits, à l'écriture classique et rigoureuse, se nourissent aussi bien de théories scientifiques que d'érudition littéraire, avec une bonne dose d'ironie. Le seul roman que j'ai lu de lui pour le moment est son premier, Mélancolie Nord, et je n'hésite pas à dire que ce coup d'essai est un coup de maître. Comme l'a dit un jour Joseph Kessel en présentant "Des souris et des hommes " : ce livre est bref mais son pouvoir est long. Il aurait pu dire la même chose de celui-ci. L'histoire, comme toutes celles qui touchent à l'universel, est fort simple : un homme (le narrateur) décide de rejoindre un ami norvégien par la mer, en restaurant un petit bateau - un cotre- avec lequel il compte faire la traversée. Jouant de malchance, l'homme est pris dans une tempête. Celle-ci ayant cessé, l'homme constate que la coque du petit bateau a été fissurée en plusieurs endroits, laissant la cabine se remplir peu à peu d'eau. Lentement mais sûrement (les fissures sont cependant trop petites pour être colmatées). Ayant une pompe à bord, notre infortuné navigateur, dont les forces ont été bien entamées déjà par la tempête, se voit obliger de pomper l'eau de la cabine durant deux bonnes heures. Mais la précarité de sa situation est mathématique : à chaque fois qu'il parvient à vider le bateau, au terme de grands efforts, l'eau se remet évidemment à s'infiltrer. C'est d'abord cette course désespérée et dérisoire qui fait la matière du roman, ce combat acharné d'un homme contre un destin inexorable qui peut se résumer à une injonction simple : pomper, toujours pomper, toutes les deux heures, nuit et jour, ou mourir. Entre cette besogne harrassante et apparemment sans issue - la fatigue, les crampes, auront tôt ou tard raison de sa résistance, le narrateur passe par toute la gamme des sentiments que peut susciter ce genre de situation extrême, et par là-même ceux de la condition humaine face aux épreuves de la vie : désespoir, hébétude, envie de se laisser partir, puis refus de la mort, regain d'espoir, etc... jusqu'à ce qu'une solution se profile à l'horizon, peut-être, non par un coup de pouce de la Providence mais en ne comptant que sur ses propres ressources. Encore que la conclusion ne manque pas d'ironie. Mélancolie Nord est à la fois un roman à suspense, un "survival", mais aussi, plus profondément, une version moderne du mythe de Sisyphe. Enfin, c'est un roman sur l'homme dans son rapport paradoxal à la mort, dans ce qu'elle a de plus indicible et néamoins de plus réelle, abordée de manière à la fois viscéral et cérébral. Etre en danger de mort, c'est faire enfin l'expérience de deux sortes de temps, inextricablement liés, comme l'explique le narrateur dans un moment de répit : Je m'en vais vous raconter ce qui me vient. Avant, je veux dire pendant la tempête et toutes ces amorces de naufrage, il y avait deux sortes de temps. Un temps viscéral, oui, c'est à peu près cela, je ne suis pas mécontent de l'adjectif, viscéral, où la mort est si imminente qu'il n'y a qu'un refus de la matière. Il faut laisser faire le corps : le coeur se crispe, les nerfs se tendent, les tripes et l'estomac se nouent, les muscles se bandent et deviennent de pierre, prêts à repousser ce qui culmine et qui va fondre, l'oeil s'écarquille et perce, la mâchoire se soude, et tout ce champ d'énergie défensive, en formidable travail inerte, attend la mort avec une sorte de monstrueuse impatience. Mais ce n'est pas tout. Dans le refus de ce corps tendu à se rompre, il y a de la pensée, évidemment. C'est de la viande avec une histoire. L'histoire devient matière instantanée, fait bloc avec les organes pour constituer une identité résistante qui refuse de se laisser absorber, de disparaître. C'est quelque chose de solide et de particulier qui hurle "je suis !" et "je ne veux pas !" aux oreilles de l'infini, du chaos, de l'indifférencié. C'est tout le corps qui pense, qui sait qui il est sans avoir besoin du laborieux travail du souvenir, et qui veut être. Voilà le temps viscéral (...)
Et puis, il y a le temps cérébral. Et c'était cela le pire. C'était un temps de répit, mais pas indéterminé, comme maintenant. Un répit soigneusement mesuré par l'approche lente et mathématique de la conclusion, par l'inflitration de l'eau, l'enfoncement régulier du navire, comme une maladie incurable dont on soupèse le progrès avec le détachement froid du calcul. Un répit chiffré, mais un répit, qui laisse émerger de la crainte brute, du refus massif, les spéculations de la pensée cultivée. Pour que l'horreur, approfondie et illustrée par les finesses imaginatives du savoir, soit complète. (...) Et il me revenait un visage, un fait banal, un rire, un corps de femme, un paysage. Et tous ces souvenirs ne prenaient signification qu'en raison de leur proche anéantissement, et il devenaient alors de la pure horreur. Tous ces souvenirs étaient éclairés par la mort, puaient la mort, étaient de la mort. Ce n'est plus du refus, cela. Ce n'est plus de la contraction ni de la matière. C'est de l'image d'angoisse taillée par le ciseau raffiné de la mémoire. Ceci va disparaître et cela aussi, et encore cela... Maintenant le répit s'allonge et cette incertitude nouvelle, ou plutôt revenue, je le répète, c'est le bonheur. Les crêtes de la peur ont fait place à celles de l'espoir précaire. Bibliographie : Mélancolie Nord (1982) Le Perchoir du perroquet (1983) Alizés (1984) Les Jungles pensives (1985) Archipel (1986) Merlin (1989) Baleine pied-de-poule (théâtre, 1990), Faux-pas (1991) Rêve de logique (essais critiques, 1992) Tlacuilo (1992) Le Principe d'incertitude (1993) L'Ouroboros (théâtre, 1993) Les Polymorphes (conte, 1994) Les Aventures des Oiseaux-Fruits (conte, 1995) Manhattan terminus (1995) La Statue de la liberté (1997) La Mort (une enquête de Francis Malone) (1998) Morgane (1999) Arthur (2001) La Remise au monde (2002) Script (théâtre, 2002) Transatlantique (théâtre, 2002) La Terre Gaste (2003) Leçon d'abîme (une enquête de Francis Malone) (2003) Sans songer à mal (une enquête de Francis Malone) (2004) Merlin, le faiseur de rois (2006) Malone, tome 1 (bande dessinée, dessins de Pierpaolo Rovero (2007) | |
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bertrand-môgendre Sage de la littérature
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| Sujet: Re: Michel Rio Mar 12 Fév 2008 - 21:34 | |
| J'aime bien voir sortir un livre des étagères. Si le texte est bon (comme tu as l'air de le souligner) il faut en profiter, sans craindre la poussière. | |
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Orientale Agilité postale
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| Sujet: Re: Michel Rio Mer 13 Jan 2010 - 20:42 | |
| "Merlin", "Morgane", "Arthur" - je les ai lus avec un grand plaisir car ce sont des recits psychologiques plutot qu'historiques. C'est ecrit comme s'il s'agissait des gens de nos jours, c'est de notre langage et de notre maniere de penser que M. Rio traite Merlin, Morgane et Arthur. Mais le magique n'y manque pas du tout! Assez perturbant, troublant. C'est la meilleure vision sur la saga arthurienne que je connaisse. Il y en a certaiment d'autres - meilleures peut-etre - a decouvrir! | |
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