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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Non, il l'évoque à peine et je comprends pourquoi. Rutebeuf n'admire pas cette société de Mendiants, qu'il accuse d'hypocrisie et de cupidité, face à un roi dupe et à la botte des papes (ils défilent en ce temps l).
Il doit le citer 2 à 3 fois sur 600 pages.
C'est que je voulais vivre l'époque "de l'intérieur" et en même temps savoir s'il y avait autant de crédulité populaire.
Rutebeuf est clerc, donc bien placé pour voir le dessous des cartes.
Il explique qu'on est loin des Ecritures et prône une noblesse de coeur qui n'a pas dû effleurer grand monde à ce moment là.
Il faut lire le poème où il se fiche des Béguines. C'est à mourir de rire.
Quant à St Louis, entouré par toutes ces "sectes", il apparaît comme un faible.
Le Goff en fait plutôt un vrai monarque, conscient de sa tâche.
La vérité est entre les deux. C'était sans doute un homme torturé par sa conscience mais qui a dû se faire rouler ici ou là par quelques malins bigots, et en même temps un vrai politique, usant de l'expérience de sa redoutable mère. Qui malgré sa dévotion, avait bien les pieds sur terre.
Bref, entre ciel et terre, je me promène...
...comme le poète !!
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Rutebeuf vivait au 13e siècle. C’est loin, oui, mais finalement, on verra que rien ne change vraiment avec les siècles. A cette époque, la société française connaît une mutation lente mais décisive qui se traduit dans les faits par la multiplication des nouveaux ordres religieux et l’identification du nouvel ennemi de l’Eglise : le philosophe. Dans le domaine culturel, la littérature de chevalerie et de croisade est peu à peu délaissée pour la littérature courtoise, qui remue les tripes de l’ami Rutebeuf jusqu’au dégoût.
Pauvre petit Rutebeuf : il déplore l’effondrement des valeurs positives de la société féodale et en bon conservateur, il défend le statut quo universitaire contre les moines mendiants, harangue les foules pour partir à nouveau en croisade, se complait dans les genres de l’hagiographie et du fabliau et et se lamente sur le pourrissement de l’ordre de la chevalerie. Du blanc on vire au noir et entre les deux, Rutebeuf décrit la grisaille intermédiaire de son quotidien :
« Dans le monde d’autrefois, on vivait selon la foi chrétienne ; aujourd’hui, le mal a terrassé et vaincu le bien, au point que l’échelle des valeurs est renversée […]. »
Comme d’autres avant lui et comme d’autres après lui, Rutebeuf rêve d’un monde immuable où les choses acquises une fois le sont pour toujours. Rutebeuf est un pauvre petit gars qui n’accepte pas de voir que le monde change autour de lui. En brave pessimiste, il assimile le changement à la ruine, et déplore la voie pervertie sur laquelle s’engage son siècle, hurlant bien sûr que c’était terriblement mieux avant. Ainsi et bien malgré lui, en pleurant sur les ruines d’un ancien monde adoré, exposant son corps torturé à la vue des idoles du nouveau siècle, tristement mortel et répandant les derniers lambeaux épargnés de sa peau, Rutebeuf annonce le tournant matérialiste de l’avenir. Tel est pris qui croyait prendre.
Khnopff
LE GUIGNON D'HIVER
« C’est peu d’esprit et peu de mémoire Que m’a donnés Dieu, le roi de la gloire, Peu de bien aussi, Et froid au cul quand souffle la bise : Le vent me vente au visage, le vent m’évente, Et c’est trop souvent Que je sens les rafales du vent. »
LE MARIAGE DE RUTEBEUF
« Pour combler de joie Les gens qui me haïssent à mort, J’ai épousé une femme Que je suis seul capable d’aimer et d’apprécier, Et qui était pauvre et misérable Quand je l’ai épousée. Quel beau mariage, Car je suis maintenant aussi pauvre et misérable Qu’elle ! Elle n’est même pas avenante ni belle, Elle a cinquante ans dans sa corbeille, Elle est maigre et sèche : Je n’ai pas peur qu’elle me trompe. »
LA CHANSON DE POUILLE
« Jeunes gens, à quoi pensez-vous ? De quoi pourrez-vous vous vanter lorsque vous serez vieux ? Que pourrez-vous reprocher à Dieu, puisqu’il vous a donné le courage, la force, la vie et la santé ? C’est vous qui lui avez refusé votre cœur, la seule chose qu’il réclame. »
LE PHARISIEN
« Vous le voyez, c’est le signe Que s’approche la venue De l’Antéchrist : Ils ne croient plus à la loi écrite Dans l’évangile de Jésus-Christ Ni à ses paroles ; A la place du vrai, ils disent des fariboles Et des mensonges vains et frivoles […]. »
Li vent me vient, li vent m'esvente, Et trop sovent Plusors foïes sent le vent.
Magnifiques allitérations s/v, de plus les "ie" de "vient" et de "foïes" correspondent. Métrique audacieuse, dans laquelle s'enchâssent des voyelles tantôt ouvertes ou fermées, l'ensemble est sûrement propice à une diction chantée. Dire (faire ?) autant en si peu de mots, c'est juste incroyable.
L'action des siècles ne donne rien de révolu, mais tout à l'opposé du cachet, lorsque telle est la maîtrise.
Alors que les extraits "poésie traduite" cités par Coli me laissent froid, quasi nauséeux.
Spoiler:
(Note pour moi-même: oui, pourquoi pas une petite cure de Rutebeuf en texte original ? )
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Je sens une certaine amertume dans ton commentaire. Suis-je dans le vrai ? Et pourquoi ce "tel est pris qui croyait prendre" ?
Non, pas d'amertume... mais je me suis globalement ennuyée à la lecture. Comme le dit Sigismond, il faudrait peut-être s'amuser à chanter ? Et la traduction en français moderne n'aide certainement pas à apprécier le texte d'origine à sa juste valeur.
D'ailleurs, et si on s'amusait un peu à chanter la Pauvreté de Rutebeuf ?
« Granz rois, c'il avient qu'a vos faille, A touz ai ge failli sans faille. Vivres me faut et est failliz; Nuns ne me tent, nuns ne me baille. Je touz de froit, de fain baaille, Dont je suis mors et maubailliz. Je suis sanz coutes et sanz liz, N'a si povre juqu'a Sanliz. Sire, si ne sai quel part aille. Mes costeiz connoit le pailliz, Et liz de paille n'est pas liz, Et en mon lit n'a fors la paille. »
Le dit des cordeliers est assez fort aussi :
« [E]n la corde s’encordent cordee a trois cordons; A l’acorde s’acordent dont nos descordé [s]ons; La descordance acordent des max que recordons En lor lit se de[t]ordent por ce que nos tortons. »
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris