Coup de coeur et bar de la poésie

Merci pour ce joli texte Nezumi. Une belle philosophie de la vie ! On serait bien plus heureux si on vivait ainsi !

Nezumi a écrit:

Le poème le plus connu de l'auteur japonais Miyazawa Kenji (1896-1933), originaire de la préfecture d'Iwate, dans le nord du pays, malheureusement à la une de l'actualité en ce moment.

Ame ni mo makezu (Ne pas céder face à la pluie)

Très beau et très à propos: Les japonais ont bien besoin de toute leur sagesse pour survivre aux évènements...

Splendide, Nezumi: une leçon d´humilité. Agir en silence plutôt que parler, verser des larmes ou crier sa colère en cherchant tout premièrement des responsables.

Contente que ce poème vous plaise, c'est une belle leçon de sagesse et de courage face à l'adversité en effet. Il vous donnera peut-être envie de découvrir ce bel auteur encore trop méconnu en France.

Je viens de découvrir la poésie de Bukowski...

anémie pernicieuse

je pourrais me reposer sur le passé,
il y a beaucoup de livres
sur les étagères,
les étagères
débordent.

je pourrais dormir toute la journée
avec mes chats.

je pourrais parler à
mon voisin
par-dessus la clôture,
il a 96 ans et
un passé
lui aussi.

je pourrais pester
contre la vie,
attendre doucement la
mort.

quelle horreur
ce serait :
faire comme tout le
monde.

il me faut arranger un
retour en arrière.

revenir
pouce par pouce
en rampant
vers
le soleil de la
création.

que la lumière soit !
que je sois !

je les
aurai
encore une
fois.

Charles Bukowski, Le Ragoût du septuagénaire, 1990



être gentil

on nous demande tout le temps
de comprendre le point de vue
des autres
aussi
dépassé
idiot ou
détestable soit-il.

on nous demande
de considérer
leurs erreurs
leurs vies gâchées
avec gentillesse,
surtout s’ils sont
âgés.

mais l’âge est la somme de
nos actions.
ils ont mal
vieilli
parce qu’ils ont
vécu
dans le flou,
ont refusé de
voir.

pas leur faute ?

la faute à qui ?
à moi ?

on me demande de leur
taire
mon point de vue
par peur de leur
peur.

l’âge n’est pas un crime

mais le scandale
d’une vie
délibérément
gâchée

parmi tant
de vies
délibérément
gâchées

l’est.

Charles Bukowski, Avec les damnés (Run With The Hunted, 1969~1993)

J' aime bien le second !

On ne peut pas s' empecher de vieillir, mais on peut essayer de ne pas devenir un vieux con !

Celui-ci m'a bien plu aussi:

confession

attendant la mort
comme un chat
qui sautera sur le
lit

je suis si triste pour
ma femme

elle verra ce
corps
raide
blanc

le secouera une fois,
peut-être deux :

« Hank ! »

Hank ne répondra
pas.

ce n’est pas ma mort qui
m’inquiète, c’est ma femme
laissée seule avec cette
pile de
néant.

je veux
qu’elle sache
cependant
que toutes les nuits
passées à dormir
à ses côtés

et même les futiles
disputes
ont toujours été
des splendeurs

et les mots
difficiles
que j’ai toujours eu peur de
prononcer
je peux à présent les
dire :

je
t’aime.

Charles Bukowski, Avec les damnés (Run With The Hunted, 1969~1993)

J'aime ces poèmes de Bukowski. Quel contraste avec sa personnalité d'apparence brutale ... ! belle découverte !

François Maynard (1582-1646).

Adieu, Paris, adieu pour la dernière fois !
Je suis las d'encenser l'Autel de la Fortune,
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois,
Où tout me satisfait, où rien ne m'importune.

Je ny suis point touché de l'amour des Tresors ;
Je n'y demande pas d'augmenter mon partage.
Le bien qui m'est venu des Pères dont je sors,
Est petit pour la Cour, mais grand pour le Village.

Depuis que je cognois que le siecle est gasté ;
Et que le haut merite est souvent mal-traité,
Je ne trouve ma paix que dans la solitude.

Les heures de ma vie y sont toutes à moy.
Qu'il est doux d'estre libre, et que la servitude
Est honteuse à celuy qui peut estre son Roy !

Constance a écrit:

J'aime ces poèmes de Bukowski. Quel contraste avec sa personnalité d'apparence brutale ... ! belle découverte !

Tout à fait, la délicatesse de certains poèmes m'a surprise, vu l'image que j'avais aussi du bonhomme. Et il évoque cet aspect caché de lui-même ici:


l'oiseau bleu

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui
veut sortir
mais je suis trop coriace pour lui,
je lui dis, reste là, je ne veux pas
qu’on te
voie.

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui
veut sortir
mais je verse du whisky dessus et inhale
une bouffée de cigarette
et les tapins et les barmen
et les employés d’épicerie
ne savent pas
qu’il est
là.

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui
veut sortir
mais je suis trop coriace pour lui,
je lui dis,
tiens-toi tranquille, tu veux me fourrer dans le
pétrin ?
tu veux foutre en l’air mon
boulot ?
tu veux faire chuter les ventes de mes livres en
Europe ?

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui
veut sortir
mais je suis trop malin, je ne le laisse sortir
que de temps en temps la nuit
quand tout le monde dort
je lui dis, je sais que tu es là,
alors ne sois pas
triste.

puis je le remets,
mais il chante un peu
là-dedans, je ne le laisse pas tout à fait
mourir
et on dort ensemble comme
ça
liés par notre
pacte secret
et c’est assez beau
pour faire
pleurer un homme, mais
je ne pleure pas,
et vous ?

Charles Bukowski - Last Night of the Earth Poems (1992)

Le message contenu dans ce poème de Bukowski me laisse encore plus perplexe sur sa véritable personnalité, Nezumi ... j'imagine que nous comprendrons la même chose ... surprenant, mais triste.

Citation :

il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui
veut sortir
mais je suis trop coriace pour lui,
je lui dis,
tiens-toi tranquille, tu veux me fourrer dans le
pétrin ?
tu veux foutre en l’air mon
boulot ?
tu veux faire chuter les ventes de mes livres en
Europe ?

Oui, c'est un peu triste, mais n'est pas si suprenant. Cela montre que Bukowski n'aura pas été le premier ni le dernier artiste à se bâtir un personnage, à être ce que le public, ou plutôt les éditeurs attendent de lui, quitte à masquer des aspects de sa personnalité plus authentiques mais moins vendeurs...

Du moins c'est comme cela que je le comprends, toi aussi je pense ?

Nezumi a écrit:

Du moins c'est comme cela que je le comprends, toi aussi je pense ?

Tout à fait ... ... d'où, peut-être sa conduite suicidaire, mais je ne fais que supputer.

Peut-être, cela vaudrait alors pour tant d'autres artistes qui ont souffert de ce type de malentendu, je pense à Marilyn par exemple...

Nezumi a écrit:

Peut-être, cela vaudrait alors pour tant d'autres artistes qui ont souffert de ce type de malentendu, je pense à Marilyn par exemple...

Concernant Marilyn, que pourtant j'adore, malgré sa récente réhabilitation poético-intellectuelle, bien qu'ils aient tous deux menés une vie suicidaire, je pense que l'analogie avec Bukowski s'arrête là ... car, dans son autobiographie intitulée "Au fil du temps", Arthur Miller ne brosse d'elle un portrait guère flatteur sur son niveau intellectuel ...