LOUISE BOURGEOISElle tient sous son bras, sa sculpture Fillette, 1968. qui a la forme d'un pénis. Evidemment, symboliser une Fillette par un pénis amène pas mal de questionnement, et positionne le spectateur dans une situation étrange et assez ambivalente.. voir malsaine.
Fragments de la présentation fourni au musée Beaubourg.
Née à Paris en 1911, vivant à New York depuis 1938.
Entre deux mondes, entre deux langues, entre féminin et masculin, ordre et chaos, organique et géométrie.
Sa sculpture, hybride, témoigne de ce va-et-vient des pôles opposés, de ce dédoublement.
LB rejoint les mythes universels, donnant
une version à la fois obscène et dionysiaque de la figure maternelle. "Tout mon travail des cinquante dernières années, tous mes sujets, trouvent leur source dans mon enfance. Mon enfance n'a jamais perdu de sa magie, elle n'a jamais perdu son mystère, ni son drame."A l'âge de 11ans, LB dessine les parties manquantes des tapisseries que restaurent ses parents.
Son père, coureur de jupons, introduit dans la maison sa maîtresse, une jeune Anglaise engagée comme gouvernante auprès des enfants. Cette double trahison, qui met en péril l'équilibre familial, perturbe profondément la jeune Louise, qui se sent manipulée par les adultes. Une faille s'ouvre.
LB ne put véritablement développer sa carrière artistique qu'à New York. Comme si la distance et le puritanisme américain constituaient un antidote aux pulsions érotiques et au poids de la famille.
Ses premières oeuvres sont des dessins et des gravures, dont les thèmes émergent sont
la naissance, l'enfance, la maternité, l'autoportrait et surtout la "Femme-Maison".
Associant le corps et l'architecture, l'organique et le géométrique, la malléabilité et la rigidité, cette figure symbolise sa structure psychique, et constitue la matrice de l'oeuvre à venir.
(Cell, 1990-1993 : maquette de la maison familiale à Choisy-le-Roi, surplombée d'une guillotine)
La Maison : construction verticale s'élevant de la cave au grenier, elle symbolise l'enfermement domestique mais aussi la puissance de l'imaginaire. LB se représente souvent volant ou tombant, avec sa longue chevelure, entre les cheminées sur le toit de sa maison. La terrasse de cet immeuble, dont elle fait son atelier, est pour elle l'espace de la création et de la liberté.
Années 1950 : LB a le mal du pays, ses amis et sa famille lui manquent. Elle sculpte alors sur sa terrasse-atelier des sortes de totems, de fétiches en bois, dont la présence l'accompagne.
Dès l'origine, elle pratique
la sculpture comme un exorcisme : en transposant sa douleur et son sentiment d'impuissance sur un objet matériel, elle donne forme à son angoisse pour mieux la maitriser, ou, plutôt pour la faire passer de son propre corps vers un autre corps.
"J'ai adopté cet endroit en plein air, et j'ai recréé tous les gens que j'avais laissés en France. Ils étaient massés les uns contre les autres ; ils représentaient tous les gens dont je n'aurais pas admis qu'ils me manquaient. Je ne l'aurais pas admis, mais le fait est qu'ils me manquaient terriblement."Les "personnages" sont de deux types : taillés directement dans le bois ou construits par accumulation de morceaux récupérés, grossièrement taillés et superposés sur une tige centrale.
Certains tendent vers le figuratif : on reconnaît une tête, des bras. D'autres sont complètement abstraits. (Memling Dawn - Mortise - The blind leading the blind)
(ça m'a pas mal rappelé les sculptures de Giacometti)
Années 1960 : LB abandonne le bois (trop rigide et périssable) pour le plâtre et le latex (souples, malléables, liquides).
Création de sculpture en spirales, de tours, de nids, de tanières, de labyrinthes. L'organique prend une dimension palpable.
Le Nid est l'image de la maison originelle, "la Tanière, 1962" est la métaphore d'un lieu d'isolement, de retraite partielle.
"La tanière est une recherche d'intimité et une échappatoire. Il y a donc ce problème de tourner encore et toujours sur soi-même ; la peur d'être piégé est devenu le désir du piège."Les formes de ses oeuvres semblent réalisées depuis l'intérieur, comme des demeures construites par le corps pour le corps, résultant d'une poussée interne, d'un modelage intérieur.Les organes servent à exprimer des émotions fortes : le coeur, les viscères, la cage thoracique sont autant d'autoportraits de l'artiste, qui explore son intériorité.
Les sculptures des années 1960 sont les oeuvres les plus violentes, les plus repoussantes, les plus dérangeantes que Louise Bourgeois ait réalisées.
Les "paysages", composés de bulbes, de monticules, de "champignons", massés les uns contre les autres révèlent une nature anthropomorphe, où les creux et les bosses ont une forte connotation sexuelle : mamelles, seins, phallus.
Les années 60 sont une période très fortement marquée par l'érotisme, au cours de laquelle l'artiste expérimente diverses formes et matériaux, et où non seulement les organes sexuels, mais
tout le corps et son intérieur sont convoqués pour suggérer la complexité des sentiments humains, le trouble du désir, empreint de peur et de fascination.En 1973, son mari meurt brusquement. Elle affronte alors le passé et aboutit à une liquidation des figures paternelles. "The destruction of the father", 1974, rassemble mamelles et phallus dans un festin cannibale.
(représentation de son père, elle a cherché à "l'humilier" en lui rajoutant des éléments féminins)
Années 80. Exploration d'une nouvelle voie : le corps en morceaux, démembrement castrateur. Yeux creusés dans le marbre, jambes en caoutchouc suspendues, bras ou pied sortant d'une sphère.
Années 90 : Les Cells : thème de la Maison qui revient en force : structures autour de laquelle tout s'organise. Métaphores du corps, dialogues entre intérieur et extérieur, contenant et contenu, les "Cellules", lieux à demi-clos, dans lesquels le spectateur ne peut pénétrer, sont des chambres magiques, des lieux de mémoire où se déroule une cérémonie secrète qui rejoue, pour l'exorciser, une souffrance ancienne, un "Passage dangereux".
Théatralisation de sa mémoire : Red Room (Childs) et Red Room (Parents).
L'araignée. Figure maternelle, la tisseuse par excellence.
"Parce que ma meilleure amie était ma mère, et qu'elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable, indispensable qu'une araignée."
Les pièces de tissus.
Ultime matériau, souple et léger, mou et doux, facile à travailller chez soi, il renvoie au métier de sa mère et à ses souvenirs d'enfance.
Le vêtement est pour le corps une seconde peau, il en épouse les formes et reflète l'esprit, enveloppant dans ses plis le parfum d'un temps précis, d'une mode, d'un âge de la vie. L'habit est aussi une protection, une Femme-Maison architecturée et modelée.
Louise Bourgeois fait l'inventaire de ses anciens vêtements, reliques inertes mais néanmoins chargées des émotions de la vie, et les suspend à des arbres métalliques.
Elle coud, rembourre, emmaillote toutes sortes de figures, de petites ou de grandes dimensions, et donne forme à des couples, des étreintes, des arcs hystériques, à des têtes criant et à des piliers qui rappellent les "Personnages".
La fascination pour le sexe et pour le cycle de la vie et de la mort est de plus en plus explicite, mais ces sujets sont toujours envisagés avec une pointe d'humour et d'ironie.
La tapisserie de ses souvenirs se tisse et se retisse, dans un éternel recommencement.
L'oeuvre de Louise Bourgeois est une lutte constante contre la dépression, l'angoisse, la peur de ne plus être aimée, d'être abandonnée; le travail artistique est une réparation, une "restauration". Au cours de ces dernières années, le thème de la famille revient de façon répétitive et obsessionnelle, qu'il s'agisse des relations mère-enfant, père-enfant, de l'accouchement (The reticent child, 2003), ou des traumatismes liés à la promiscuité (Seven in bed, 2001).
Elle se consacre de plus en plus au dessin et à la gravure.
Des dessins abstraits, répétitions de lignes et de spirales.
Des dessins figuratifs, principalement sur le thème du corps maternel et du nourrisson.
D'une certaine manière, elle revient à ses thèmes fondateurs du début.
L'artiste est toujours, au fond d'elle-même, une enfant qui revit des émotions, la peur, l'angoisse, et leur donne une forme. La puissance et la radicalité de sa démarche tiennent en partie à cette volonté de rupture avec le passé, sans cesse détruit et reconstruit.
"Il faut abandonner son passé tous les jours, ou bien l'accepter, et on n'y arrive pas on devient sculpteur."