Violette Leduc

J'ai lu il y a longtemps La folie en tête, dont on pourrait dire qu'il s'agit des premiers écrits touchant à l'autofiction, genre que je goûte peu, mais là j'ai découvert Beauvoir, Sartre, Genet et je crois même Duras comme non plus des écrivains mais des êtres vivants et la petite voix fragile, délicate, difficile de Violette Leduc pour en parler et sa manière à elle, touchante, fragile de raconter sa propre vie, ses rêves, ses angoisses, ses déceptions... Je me suis toujours dit qu'il faudrait que je relise ce livre, une fois un peu plus aguerrie... et je pense le faire... avec cette fois le recul suffisant pour ne pas être trop étonnée par tant de sincérité et tant de mise à nue.

J'ai découvert Violette Leduc à travers le film de Martin Provost qui sort le 6 novembre. Quel personnage ! A mon avis, ça devrait booster les ventes de La bâtarde avec une ressortie probable du livre. Beau film en tous cas.

Citation :

Violette Leduc, née bâtarde au début du siècle dernier, rencontre Simone de Beauvoir dans les années d’après-guerre à St-Germain-des-Prés. Commence une relation intense entre les deux femmes qui va durer toute leur vie, relation basée sur la quête de la liberté par l’écriture pour Violette et la conviction pour Simone d’avoir entre les mains le destin d’un écrivain hors norme.

Ce livre est comme une boucle qui serait bouclée. Une femme adore sa mère. Celle-ci qui a une forte influence sur elle, la prévient contre les hommes qui feraient de la  femme un être construit  sur le même modèle et réduit à l´état de nécessiteux sans avenir propre.

-Tu t’es mariee, tu as de bons moments. Je ne decouche pas tous les jours.
-je le saurai que je suis mariee ! dit-elle avec colere. Ça va loin une mere, ça reflechit une mere !
J’en avais par-dessus la tete. Le vent d’hiver recommencait dans leur salle à manger avec ses plaintes fortes et ses plaintes faibles.
-Sais-tu d’où vient ta peur ? dis-je.
-D’où vient-elle ? dit ma mere.
-Tu as la frousse que j’en devienne une !
-Je ne comprends pas. Acheve, dit-elle. Que tu deviennes quoi ?
Elle avait compris, mais elle se faisait humble.
-Une mere ! Que je devienne comme les autres, que je sois comme les autres…

Cette femme vit deux histoires d´amour consécutives.
Dans la première qu´elle vit avec Cécile se profile sa peur viscérale d´être quittée ne serait-ce que pour quelques secondes. Dans la deuxième qu’elle vit avec Marc, elle tombe dans l’addiction de sa présence et dans l’angoisse de l’absence qui la mèneront à la perte de sa dignité. Puis elle retrouve sa mère et la boucle est bouclée, elle a fait ce que sa mère attendait d’elle.

-Je travaillais.
-Tu voulais me torturer.
-Tu nous uses. Je n’ai pas autre chose à te dire.
La sueur coulait le long de ses joues. Je le pris dans mes bras, je me dis que je le massacrais.
-il faudra en finir, dit Marc.
-Tu voudrais qu’on se tue ? Mais alors, tu ne me detestes pas ?
Marc sursauta :
-Me tuer ! Moi, me tuer ? Est-ce que tu n’es pas un peu malade ? Va chez toi, va te calmer.
-Chez moi ?
-Je veux la paix, dit Marc, et je l’aurai.
-Allons, ne joue pas les durs ! Tu n’es pas vraiment fache ?
-Tu m’emmerdes, dit Marc.
Je cherchais ses mains pour les couvrir de baisers.
-J’avais un laboratoire, tu me l’as pris. Je travaillais librement dans la chambre, tu m’as pris la chambre. Tu m’as tout pris.
Je me mis à pleurer.

-Ne dors pas, Cecile, ne dors pas…
J’appelle une sourde, je me crispe sur les levres d’une muette.
Je me leve, j’allume l’electricite. Elle se frotte les yeux.
-Avoue que tu dormais, avoue-le !
-J’avoue, dit-elle.
Elle se souleve, elle appuie l’oreiller contre le mur, elle veut resister mais sa tete croule. Elle se ressaisit :
-Je ne dors pas.
Je jouis de ses efforts, je souhaite sa defaite.
-Tu n’auras donc jamais sommeil ! dit-elle.
-Jamais !
Elle se gifle, elle se rendort, la joue dans la main, la main avec laquelle elle s’est corrigee.
J’arrive à pas de loup. Je me penche.
-Tu vois que tu dors !

Violette Leduc écrit bien cette descente aux enfers que nous avons peut-être tous vécue un jour. La perte de l’autre et son caractère inflexible et implacable.
On vit aussi l’époque. Les cigarettes que l’on fumait au cinéma, l’alcool que l’on buvait à toute occasion comme de l’eau, la brillantine et bien sûr le manque de contraception…

Il s’offrit, il attendit dans l’obscurité. Un moment j’hésitais. Je ne peux pas. Je me veux jeune fille jusqu’à la fin, je me veux séparée d’eux, je me veux hors d’atteinte. Je ne veux pas qu’ils entrent dans mon trésor. Quand Cécile sera partie je serai seule, j’irai avec ma pieuvre assoupie dans mes entrailles, j’entrerai dans l’eau, je marcherai au-devant des vagues qui se creuseront et me prendront. Je ne veux pas me joindre au troupeau, je ne veux pas me perdre, je ne veux pas m’oublier, je ne veux pas être leur carpette. Je m’aime jeune fille.

Son écriture qui n’est pas souple, comme des phrases énoncées toutes indépendantes l’une de l’autre,  se lit tout de même comme on boit du petit lait.



La séparation d´Edvard Munch

Il y a l'air d'avoir beaucoup de dialogues ? ... ou est-ce ta sélection qui s'est entichée particulièrement de ces extraits ? pas trop pathétique parfois ?

Non non. Pas trop. Mais je les sélectionné parce que je les trouvais important. Cela montrait bien ce que je voulais dire dans mon commentaire. La femme se brule assez dans ce bouquin. Elle tombe assez bas, dans une sorte de folie.

colimasson a écrit:

Il y a l'air d'avoir beaucoup de dialogues ? ... ou est-ce ta sélection qui s'est entichée particulièrement de ces extraits ? pas trop pathétique parfois ?

On ne peut pas coller le mot pathétique à Violette Leduc.

Certes elle fonce dans le tas des sentiments et des tragédies, mais il y a toujours quelque chose d'acerbe, de violent, et de vif qui empêche l'atermoiement.


Et d'ailleurs, t'attends quoi pour lire La Bâtarde trouvée dans les placards de grenier de Mamie ?

Queenie a écrit:

Et d'ailleurs, t'attends quoi pour lire La Bâtarde trouvée dans les placards de grenier de Mamie ?

J'attends d'en avoir envie... j'avoue que ce n'est pas trop le cas pour le moment...

La bâtarde


Violette Leduc raconte sa vie, de son enfance jusqu’à la fin de deuxième guerre mondiale. Sa condition de bâtarde d’un fils de bonne famille, ses relations avec sa mère et sa grand-mère, ses maladies, ses expériences en pension, ses premiers amours, puis le début de sa vie professionnelle, son mariage, puis la guerre…

C’est totalement impudique, égocentrique, masochisme presque, tant elle donne un tableau d’elle peu flatteur. Et c’est absolument génial. Elle a une écriture, fabuleuse, enfin des écritures, parce que le livre évolue sur ce plan, comme le personnage. Pas toujours facile ni académique, mais fabuleuse. Pas sûre qu’on aurait aimé la rencontrer dans la vraie vie, parce qu’elle a tendance à phagocyter, les autres sont un peu des marionnettes de son théâtre à elle, où elle est le seul véritable personnage. Mais on ne reproche pas leur égocentrisme aux écrivains hommes, tiens Bukowski, quelqu’un lui en veut pour ça ?

Voilà, c’est drôle, cruel, terriblement sincère. Cela dresse une galerie de personnages, une époque, d’une façon qu’on ne retrouve pas ailleurs avec ce ton-là.

J’ai du mal à comprendre pourquoi elle n’est pas plus reconnue…

traversay a écrit:

J'ai découvert Violette Leduc à travers le film de Martin Provost qui sort le 6 novembre. Quel personnage ! A mon avis, ça devrait booster les ventes de La bâtarde avec une ressortie probable du livre. Beau film en tous cas.

Idem! très bon film!

Et cela t'a incitée à la lire ?

Arabella a écrit:

Et cela t'a incitée à la lire ?

En fait non, mais de vous lire me donne envie de la mettre dans la liste...

Le film m'a surtout remémoré Beauvoir. L'actualité également...

La bâtarde, c'est avant la rencontre avec Beauvoir, c'est vraiment la naissance d'un écrivain. Mais le livre vaut vraiment le coup.

Arabella a écrit:

La bâtarde


Violette Leduc raconte sa vie, de son enfance jusqu’à la fin de deuxième guerre mondiale. Sa condition de bâtarde d’un fils de bonne famille, ses relations avec sa mère et sa grand-mère, ses maladies, ses expériences en pension, ses premiers amours, puis le début de sa vie professionnelle, son mariage, puis la guerre…

C’est totalement impudique, égocentrique, masochisme presque, tant elle donne un tableau d’elle peu flatteur. Et c’est absolument génial. Elle a une écriture, fabuleuse, enfin des écritures, parce que le livre évolue sur ce plan, comme le personnage. Pas toujours facile ni académique, mais fabuleuse. Pas sûre qu’on aurait aimé la rencontrer dans la vraie vie, parce qu’elle a tendance à phagocyter, les autres sont un peu des marionnettes de son théâtre à elle, où elle est le seul véritable personnage. Mais on ne reproche pas leur égocentrisme aux écrivains hommes, tiens Bukowski, quelqu’un lui en veut pour ça ?

Voilà, c’est drôle, cruel, terriblement sincère. Cela dresse une galerie de personnages, une époque, d’une façon qu’on ne retrouve pas ailleurs avec ce ton-là.

J’ai du mal à comprendre pourquoi elle n’est pas plus reconnue…

Je l'ai remonté dans ma liste

Arabella a écrit:

Pourtant La bâtarde est un livre d'une grande densité, tant au niveau de l'écriture que de l'univers intérieur qu'il décrit. Et je considère que Violette Leduc, est un vrai auteur, qui vaut le coup d'être découvert dans ses spécificités et son monde à elle.  

Je suis d'accord. Je n'ai lu que Ravages mais j'avais beaucoup aimé.