Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]

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MessageSujet: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyVen 9 Mar 2007 - 19:35

Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] Amadou10

J'ai découvert cet auteur dans le cadre d'un cours sur la littérature francopohone africaine.

Malheureusement pour Kourouma, je n'avais pas été happée par son roman Monné, outrages et défis.

Par contre, après avoir entendu certaines personnes parler de Allah n'est pas obligé je me suis réessayée avec cet auteur. Et je dois avouer que ce roman m'a beaucoup touchée. Kourouma fait une insertion réaliste dans le monde dur et cruel des enfants soldats en Afrique.

Il confie la narration à un petit gamin tout naîf qui trouve sa manière à lui d'expliquer le monde, la guerre, la religion... Petit gamin qui se fait aussi happer par une troupe d'enfants soldats, par la violence, par la drogue et par la cruauté qu'il exerce plutôt dans un but de suvrie que de réelle envie violente. Difficile de ne pas se laisser toucher par un tel sujet, surtout si c'est narré par un petit enfant et encore plus quand on sait que l'auteur vit dans un coin de la terre où de telles choses se passent réellement. Ce n'est pas le regard occidental posé sur un problème qui appartient à une autre réalité, et ça rend le regard plus cru et plus sensible à la fois.

Ce bouquin a remporté le prix Renaudot, le prix Goncourt des lycéens et le prix Amerigo Vespucci.
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Dolce.vita
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyDim 3 Fév 2008 - 22:40

Juste pour citer "Les Soleils des indépendances" qu'il faudrait bien que je relise parce qu'en voulant, dans un grand élan d'enthousiasme, créer un post sur ce livre, je m'apercois que je ne suis même pas capable d'en tirer une phrase explicative.
Mais c'est un bouquin intéressant ...
Que je relirai ... attentif
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Arabella
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyMer 18 Juin 2008 - 21:30

En attendant le vote des bêtes sauvages

Sous forme de veillées traditionnelles, l'auteur nous fait le récit de la vie du président Koyaga, chef d'Etat d'un pays imaginaire de l'Afrique. Et au-delà de la vie de cet homme, il nous fait en réalité le récit d'un siècle de l'histoire de l'Afrique, de la colonisation, de la participation des soldats noirs aux différentes guerres française, première et deuxième guerre mondiale, Indochine, Algérie.... Et puis des affres de la décolonisation, des dictatures mises en place, de la paupérisation et de la déculturation de la population. Un tableau très noir, mais en même temps raconté avec une ironie fine, une drôlerie et une grande verve. Un style très proche en apparence du langage oral, en réalité très travaillé.

La seule chose qui m'a probablement complètement empêchée de profiter de ce livre, c'est ma méconnaisssance de l'histoire de l'Afrique, en particulier lorsque Ahmadou Kourouma fait de portrait de quelques chefs d'états africains ayant réellement existé, comme je ne les connaissais pas vraiment, je n'ai pas vraiment pu profité de la satire faite par l'auteur.

Mais c'est incontestablement un bon livre qui me donne envie de lire d'autres ouvrages de l'auteur.
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kenavo
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyMer 18 Juin 2008 - 21:57

Merci pour tes impressions, Arabella. Je l'ai noté pour mon 'voyage autour du monde en livres' Wink
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soliman
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyMer 18 Juin 2008 - 22:38

Arabella a écrit:
, mais en même temps raconté avec une ironie fine, une drôlerie et une grande verve. Un style très proche en apparence du langage oral, en réalité très travaillé.

la drôlerie est une constante chez les ivoiriens je me souviens de quelques expressions savoureuses:
le journal national "fraternité matin " transformé en banalité matin
les voitures dont on ne veut plus chez nous rebaptisées "france au revoir"
les jeans à la mode ( déchirés) renomés "chien m'a mordu".
Et enfin le poulet bicyclette (délicieux) qu'il faut voir courir en vrai pour comprendre son appelation!
Quant à ta remarque sur les chefs d'états du coin que tu connais peu ( il s'agit surtout à mon avis de Houphouet Boigny, Samuel doe, Sekou Touré et du chef de guerre Charles Taylor) il faut dire que la littérature sur cette région du monde est bien rare et peu être les vérités pas encore bonnes à dire ou à publier...
Un livre sympa pour conclure:
"PETITS BLANCS VOUS SEREZ TOUS MANGES"
aux éditions du seuil
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san.romain
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyDim 16 Déc 2012 - 14:55

Caro a écrit:

J'ai découvert cet auteur dans le cadre d'un cours sur la littérature francopohone africaine.
Malheureusement pour Kourouma, je n'avais pas été happée par son roman Monné, outrages et défis.

Je rebondis sur ce qu'a dit Caro en 2007, à propos de son deuxième roman (si je ne me trompe pas),
c'est à dire Monné, outrages et défis. Afin de préparer ma lecture "approfondi" du roman pour un concours,
notre professeur nous a distribué des rencontres entre Kourouma et diverses journalistes.

Ce qui est au coeur de l'écriture de Kourouma, et il le dit lui-même, c'est cette recherche constante de la langue.
Il est malinké. Et veut écrire des romans en français sur des malinkés. Somme toute, la tâche semblait difficile.
Et pour Monné, outrages et défis, l'auteur a eu beaucoup de mal à retrouver cette pensée des malinkés, qui lui est chère.

Seulement, dans Les Soleils des Indépendances, l'esprit malinké est bel et bien là ! Il ne francise pas cette langue "régionale",
mais travaille la langue française, "triche la langue" (pour reprendre les mots de Barthes) pour faire tanguer la langue française vers
le malinké.. Il veut retrouver tout le cheminent de la pensée en malinké, afin de saisir les personnages dans leur totalité. Et qu'est-ce
que ça donne ? Une langue ? Non, c'est tout un univers dans lequel nous plonge Kourouma. Il ne traduit pas le malinké, il nous donne
seulement les clés "françaises" pour comprendre les coutumes, les pensées d'un peuple, d'une tribu.

Dès le titre, nous entrons dans ce monde. Les Soleils, au contraire de ce que nous pourrions croire, n'est pas un pluriel poétique,
ou une connotation sémantique (une pluralité de sens). C'est du Malinké : cela veut tout simplement dire l'ère, la période des Indépendances.
Le lecteur s'immerge immédiatement dans la période post-coloniale, et dans la portée "politique" du roman.

Ce qui m'a plu dans le livre de Kourouma, c'est cette langue crue. Les passages les plus sordides sont donnés crûment, sans fioriture,
mais tout de même, une élégance.. La scène du viol de Salimata, épouse du personnage principal, par le féticheur du village nous glace le sang,
sans rester purement violente. Il y a dans le style de Kourouma une poésie, qui se glisse entre l'omniprésence de la politique, et le langage révolté
du personnage (et du narrateur) : "Bâtards de bâtardise" revient très souvent dans la roman.

En lisant, j'ai essayé de faire abstraction de la portée politique du roman. L'écriture de Kourouma est liée, voire greffée à la politique.
Mais je ne voulais pas passer à côté de la richesse du texte, m'aveugler en quelque sorte. Et j'ai été bercé par le monde malinké.
Un monde sacré, traditionaliste, mystique et magique, fait de contes et conteurs, portant sans cesse le deuil... Et puis, dans ce monde,
il y a le personnage de Fama, en pleine quête identitaire. Appartient-il au Horodougou ou aux Indépendances ? Je ne dévoile pas la réponse,
bien entendu, pour que vous lisiez le texte.

Je n'ai pas le temps de sélectionner des passages, ou d'en dire plus sur le roman.. Je le ferais très prochainement Very Happy

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Esperluette
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyDim 16 Déc 2012 - 15:37

bravo

San-Romain pour ce beau début alléchant et prometteur. J'attends la suite avec impatience Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] 192279 et surtout un passage qui t'a marqué, ému pour finir de nous mettre en appétit! cheers

impatient content

Il ne me reste plus qu'à remettre la main sur ce livre qui doit être enfoui dans les entrailles de ma bibliothèque. Ce qui est loin d'être une affaire aisée.

Merci à toi de ce partage.

flower
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Bédoulène
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyJeu 29 Mai 2014 - 16:12

Sain Romain avec beaucoup de justesse l'apport de l'écriture de Kourouma.

voici mon résumé

Les soleils des Indépendances

Ce récit est l’histoire de Fama Doumbouya, Malinké,  dernier descendant de la dynastie, Prince de l’Horodougou.
Après les années de colonisation de cette région sous le joug Français  (la Côte d’ivoire  dans sa mitoyenneté avec la Guinée) où s’oppose 2 républiques nommées République du Nikinai et celle de la Côte des Ebènes, Fama qui a participé à la révolution  évinçant les Français, espérait se voir offrir dans la Capitale de la Côte des Ebènes, un poste honorable quant à son statut de Prince de l’Horodougou, mais il se retrouve ruiné, sans honneur, sans descendance.
Le décès du cousin Lucina qui avait été  préféré par les Toubabs comme Chef de l’Horodougou, décède et Fama rentre au pays dans son village natal de Bogobala pour les cérémonies de deuil, lui qui se retrouve donc dernier et unique héritier légitime  de la dynastie.
Fama contrairement à l’avis du griot Diamourou et du féticheur Balla, l’un représentant  des lois Musulmanes, l’autre des rites Africains,l décide de repartir vivre sur la Capitale où reste Salimata sa femme dite stérile (mais en fait les preuves nous disent  que c’est lui Fama qui est stérile) accompagné de la jeune femme du défunt Lucina.
Les Malinkés après s’être tourné vers Allah et sans réponse satisfaisante à leur prière, s’adresse ensuite au féticheur.  Salimata  use quotidiennement de cette possibilité pour qu’un enfant lui soit accordé, mais aucun de ces pouvoirs ne lui accorde cette joie, à son grand désespoir et celui de Fama.
Les prémices d’une nouvelle insurrection conduisent le gouvernement de la république de la Côte des Ebènes et son Pouvoir unique à arrêter, expulser certains ministres et  ceux qui leur sont liés, quelque en soit le lien, c’est ainsi qu’un rêve funeste de Fama le conduit en prison. Celui-ci déjà affaibli par ces années de « bâtardise de la république », ses déboires personnels, familiaux  n’aspire plus qu’à  subir le sort qui l’attend. Or pour gagner la confiance des autres pays au niveau International, parce que l’économie le réclame,  le Président de la république offre sa clémence à tous les prisonniers.
Fama relâché, n’a qu’une hâte retourner dans son village, dans l’Horodougou pour y mourir en chef de dynastie., mais la frontière entre les 2 républiques est fermée pour mésentente. Ce n’est pas cela qui empêchera Fama de traverser ; ignorant les sommations des soldats du poste frontière, et clamant haut son statut de Prince de l’horodougou, héritier de la dynastie des Doumbayou, Fama passe les barbelés et saute dans le fleuve où séjournent les caïmans  sacrés.  Aucun d’eux  pensa  Fama n’oserai s’attaquer au dernier descendant des Doumbouya.



Encore une belle rencontre avec l’écriture Africaine.  C’est avec une certaine ironie que l’auteur nous conte l’histoire de ce Prince déchu coincé entre la religion Islamique et les mythes et rites hérités des Ancêtres ;  les acquis du passé et leur interférence dans le présent.  De fait les prédictions des féticheurs sont  aussi difficiles à interpréter  que  celles de Nostradamus.
La colonisation avec son joug, mais aussi la reconnaissance par les Malinkés d’un bon négoce durant cette période,  la révolution et l’indépendance sont relatés lorsque Fama fait l’exégèse de sa dynastie pour appréhender sa destinée.
Si les 2 républiques sont imaginaires, elles représentent bien toutefois la particularité de pays réels. (République de Guinée et République de Côte d’Ivoire) Le Horodougou (ou Horodugu existe sous ce nom)
La politique est reconnaissable par sa qualité de « parti unique » et certains personnages réels  se cachent sous l’identité du président et des ministres.
Le rite de l’excision relatée par l’un des personnages  ne pouvait être absent, par souci d’authenticité , et sert  pour ce récit à le dénoncer, ainsi que ces conséquences sur la vie des femmes.


Extrait :

C'était là, au moment où le soleil commençait à alourdir les paupières, que la natte s'écarta, quelque chose piétina ses hanches, quelque chose heurta la plaie et elle entendit et connut la douleur s'enfoncer et la brûler et ses yeux se voulèrent de culeurs qui voltigèrent et tournèrent en vert, en jaune et en rouge, et elle poussa un cri de douleur et elle perdit connaissance dans le rouge du sang. Elle avait été violée. Par qui ? Un génie, avait-on dit après.

Il inculpa Fama de participation à un complot tendant à assassiner le président et à renverser la république de la Côte des Ebènes. Quand fama se leva pour partir, le juge lui demanda pourquoi il n'avait pas couru au réveil raconter son rêve à une personnalité importante du régime, le président ou le secrétaire général du parti unique. Fama ne répondit pas.

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Sullien
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyLun 5 Jan 2015 - 23:48

Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages.

Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] Kourouma-en-attendant-le-vote-des-betes-sauvages


Comme dans tout roman d'Ahmadou Kourouma, le lecteur européen doit se déchausser avant d'entrer.
Puis se dévêtir, se dépouiller de tout bagage. Il y a de toute manière toujours une voix pour le lui rappeler...


Citation :
Il existe deux sortes de cécité sur cette terre. Il y a d'abord ceux qui irrémédiablement ont perdu la vue et qui parviennent avec une canne blanche à éviter les obstacles. Ce sont les aveugles de la vue. Et ceux qui ne croient pas, n'utilisent pas la voyance, les sacrifices. Ce sont les aveugles de la vie. Ils entrent de front dans tous les obstacles, tous les malheurs qui empêchent leur destin de se réaliser pleinement. Qu'Allah nous préserve de demeurer, de continuer perpétuellement à vivre parmi les aveugles de la vie !



Après plusieurs semonces, le lecteur mal élevé qui refuse se verra éconduit.
Et prendre la porte, dans un roman, ça s'appelle être condamné à ne pas comprendre. Le rationaliste qui cherchera à esquiver les voies magiques frayées dans cette logorrhée rituelle se voit rabroué sans ménagement : naïf ! enfant !

Le récit prend la forme d'un donsomana, qui est une geste purificatoire, dite par un sora - ce sera Bingo - et accompagnée par un répondeur cordoua, Tiécoura. Le donsomana, divisé en six veillées, doit opérer une purification de Koyaga, ancien dictateur de la République du Golfe. Ce dernier a perdu l'aérolithe et le Coran qui l'auréolaient d'un pouvoir magique sans égal ; d'où le donsomana, préalable nécessaire pour les retrouver, et, par là-même, pour reconquérir le pouvoir.

Bingo. Tiécoura. Deux voix principales auxquelles se mêlent plusieurs autres.
Tout s'entremêle et se confond si bien que le propos n'est jamais clair, car on n'est jamais tout à fait sûr de savoir qui parle.
Koyaga est tour à tour encensé, mythifié puis conspué et condamné.
Car "Tout n'est pas négatif, totalement négatif, même dans un autoritarisme émasculateur. Même dans l'anus de l'hyène, on trouve des taches blanches. Conclut le cordoua."
Une archéologie du texte fera apparaître que Kourouma a mélangé dans son portrait de Koyaga biographie officielle, lumineuse, et biographie non officielle, interlope, d'Eyadéma, dictateur du Togo.
D'où les ambivalences. Mais cela n'explique pas grand chose.

Autre génie de Kourouma : ouvrir des brèches dans le temps.
Par des entrelacs et entrelacements narratifs permanents, le passé ancestral et le présent le plus sordide se jouxtent.
Si bien que tout est embaumé d'une impression de sacralité ; Koyaga, plus qu'un homme, devient acteur de l'Histoire, héros en mouvement.
Héros dans un monde où le sorcier féticheur et le blanc colonisateur sont voisins.
Le lecteur est perdu dans cette "vaste et multiple Afrique" où l'irréel et le réel n'ont pas de frontière connue.
Bien sûr, on pourra reconnaître de véritables dictateurs dans ce roman : Koyaga est l'alter ego d'Eyadéma, le personnage de Tiékoromi, président de la République de la Côte des Ebènes au totem caïman renvoie au président ivoirien Houphouët-Boigny (comme dans les Soleils des Indépendances), l'empereur Bassouma au totem hyène évoque l'empereur Bokassa et l'Homme au totem léopard rappelle Mobutu Sese Soko (président du Zaïre).
Arrivé au seuil du pouvoir, Koyaga décide à la suite d'un songe d'entreprendre un voyage initiatique. Il apprendra auprès de Tiécoromi, de Bassouma, de Bokassa et de l'Homme au totem léopard l'art de la dictature. C'est lors de la quatrième veillée que ce voyage est retracé. Avec, comme toujours, beaucoup d'humour, mais un humour en demi-teinte, comme assourdi ou effacé.

Voici donc les quatre mises en garde de Tiécoromi (entendez le rire sourd de Kourouma) - j'abrège beaucoup :

Citation :
1/ "la première méchante bête qui menace le sommet de l'Etat et en tête d'un parti unique s'appelle la facheuse inclination en début de carrière à séparer la caisse de l'Etat de sa caisse personnelle. Les besoins personnels d'un chef d'Etat et président d'un parti unique servent toujours son pays et se confondent directement ou indirectement avec les intérêts de sa République et de son peuple."
2/ "la seconde méchante grosse bête qui menaçait un chef d'Etat novice - et même tout homme politique en début de carrière -, était d'instituer une distinction entre vérité et mensonge. La vérité n'est très souvent qu'une seconde manière de redire un mensonge. Un président de la République et président fondateur de parti unique - et Koyaga forcément sera le président fondateur d'un parti unique - ne s'alourdissait pas, ne s'embarrassait pas du respect d'un tel distinguo."
3/ "la troisième méchante grosse bête qui menace au sommet de l'Etat et à la tête d'un parti unique consiste, pour le président, à prendre les hommes et les femmes qui le côtoient, qu'il rencontre, avec lesquels il s'entretient, comme culturellement ceux-ci se présentent. Un chef d'Etat prend les hommes comme ils existent dans la réalité. Il doit connaître - comme le charmeur connaît les parties du corps des serpents - les sentiments et les moyens par lesquels il faut enjôler les humains."
4/ "il vous a alors expliqué ce qu'il appelait la quatrième bête sauvage qui menace le chef d'un parti unique : le mauvais choix. Dans la guerre froide qui régissait l'univers, le choix d'un camp était essentiel, un acte risqué, aussi risqué que prendre une femme pour épouse, etc."

On traverse les espaces (par ce voyage et celui de Maclédio, son bras droit, parti jadis en quête de son "homme de destin") et les temps.
L'action de quelques hommes traverse les âges et les frontières de l'Afrique : ce n'est rien moins qu'une saga.
D'ailleurs, cette impression diffuse d'intemporalité, de sacralité, n'est pas non plus étrangère à l'usage presque rituel des proverbes.
Des proverbes très colorés ; qui sentent la profonde sagesse d'une culture, agrégée au fil des siècles, qui charrient la puissance du verbe. Et dont l'humour est féroce.
"Tiécoura ! Le proverbe est le cheval de la parole ; quand la parole se perd, c'est grâce au proverbe qu'on la retrouve."
Passée la déception de ne pas retrouver le langage des Soleils des indépendances, j'ai retrouvé, subtilement distillée entre les six veillées, la langue colorée de Kourouma. Sa finesse et sa complexité.


Dernière édition par Sullien le Mar 6 Jan 2015 - 10:18, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyMar 6 Jan 2015 - 9:58

Au risque de passer pour un aveugle de la vie, je trouve que les mises en garde de Tiécoromi ne sont pas si éloignées des conseils donnés au Prince par Machiavel. Mais ils sont bien plus directs et ne passent pas par une rhétorique de cour. sourire
Les commentaires sont alléchants - et pas seulement. Je note pour "Les soleils des indépendances" et "En attendant le vote des bêtes sauvages".
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MessageSujet: Re: Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire]   Ahmadou Kourouma [Côte d'Ivoire] EmptyMar 6 Jan 2015 - 10:14

(Ha, j'étais justement en train d'éditer  content )

Exini a écrit:
Au risque de passer pour un aveugle de la vie, je trouve que les mises en garde de Tiécoromi ne sont pas si éloignées des conseils donnés au Prince par Machiavel.

Oui, je suis entièrement d'accord avec toi ! L'aveugle de la vie, c'est le rationaliste, en fait : contrairement à celui de Machiavel, le bon prince de Tiécoromi doit aussi s'assurer la puissance magique (syncrétique d'ailleurs, puisqu'on sacrifie autant à Allah qu'aux anciens dieux : "On est toujours plus sincère quand on prend à témoin plusieurs au lieu d'un seul dieu") pour échapper aux complots et innombrables attentats qui parsèmeront inévitablement sa carrière de dictateur.

Citation :
Mais ils sont bien plus directs et ne passent pas par une rhétorique de cour.
Oui, tout l'intérêt de pouvoir s'immiscer dans l'entretien de deux dictateurs ! Wink

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