Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 Pascal Mercier [Suisse]

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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyMar 30 Déc 2008 - 16:53

Train de Nuit Pour Lisbonne

Je viens de le finir, et come vous l'avez déjà compris mon avis est mitigé sur ce pavé. Toutefois, à partir de la 250ème page je trouve qu'il se lit avec plus d'allant. Wink C'est vrai, il y a beaucoup à dire sur ce livre foisonnant.

Dans ce livre, j'ai aimé le personnage de Prado, et pour la plupart, j'ai trouvé ses écrits 'en italiques' vraiment intéressants, surtout son magnifique discours de fin d'études au lycée. Prado serait en quelque sorte le double fulgurant, étincelant, le double rêvé de Gregorius.

J'aime assez cet exercice littéraire du double. On le retrouve souvent, et ici il est assez habilement traité, l'un (Grérorius) découvrant l'autre (Prado) à travers une sorte d'enquête pour finalement se découvrir et se comprendre lui-même. Cette quête de soi-même à travers l'autre contient dans ce roman aussi une forme de désespoir (j'allais dire de désespérance), parce que Grégorius comprend qu'il est probablement passé à côté d'une vie, qu'il n'a vécu qu'à travers les mots, à tel point qu'il lui a d'ailleurs fallu des lunettes très épaisses pour appréhender la vie du monde. Mais comme il le dit la 'vie' n'existe pas sans le 'verbe', comment appréhender la 'vie' sans le 'verbe'? Alors ..il a choisi une vie, mais est-il vraiment passé à côté de 'la' vie. Bref, je pourrais continuer à parler de ce livre pendant longtemps, parce qu'il se laisse tourner et retourner, tant il est riche, bien sûr, il ne laisse pas indifférent.

Je ne regrette pas de l'avoir lu, mais je ne me suis pas enthousiasmée à sa lecture autant que vous, je n'ai pas été embarquée dans le livre. Il y a des livres comme ça. Probablement, parce que les personnages plus secondaires me semblaient lointains, opaques, comme des figures de carton, ou trop caricaturaux comme Adriana, tous sauf peut-être Maria Joao, l'amie-amour, ou l'amour-amie. Voici donc mon avis positif mais mitigé.
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kenavo
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyMar 30 Déc 2008 - 17:36

domreader a écrit:
Voici donc mon avis positif mais mitigé.
mais c'est quand même bien à lire.. même pour moi qui était enthousiamsée tout à fait par ce livre.
je comprends ton point de vue et je suis contente que tu as terminé - même sans trop d'encouragements Wink
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Aeriale
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyMar 30 Déc 2008 - 18:17

Dom, je pourrais reprendre chacune de tes phrases, je pense vraiment comme toi Very Happy

Citation :
Dans ce livre, j'ai aimé le personnage de Prado, et pour la plupart, j'ai trouvé ses écrits 'en italiques' vraiment intéressants, surtout son magnifique discours de fin d'études au lycée. Prado serait en quelque sorte le double fulgurant, étincelant, le double rêvé de Gregorius.
Moi aussi, comme je le précisais, j'ai préféré Prado, le double accompli, désinhibé de ce brave Grégorius qui a fini par me lasser lui...Un Prado superbe qui m'a plus fait rêver en quelque sorte...

Citation :
Je ne regrette pas de l'avoir lu, mais je ne me suis pas enthousiasmée à sa lecture autant que vous, je n'ai pas été embarquée dans le livre. Il y a des livres comme ça. Probablement, parce que les personnages plus secondaires me semblaient lointains, opaques, comme des figures de carton, ou trop caricaturaux comme Adriana, tous sauf peut-être Maria Joao, l'amie-amour, ou l'amour-amie. Voici donc mon avis positif mais mitigé.
Voilà. Tout est dit!
Comme toi ce livre m'a interpellée et m'a laissé un souvenir durable, c'est certain, mais j'ai parfois peiné à suivre ce rythme car les personnages manquaient de consistance et de 'chair' à mon gôut.
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coline
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyMar 30 Déc 2008 - 19:21

Et merci Domreader d'avoir précisé tes impressions mitigées... Wink

Pour moi, je dirais qu'on ne tombe pas tous les jours (dans la littérature contemporaine) sur des romans d'une telle "épaisseur" (récit et pensée)...
Il y a déjà deux personnages principaux d'une grande consistance...Le fait que les autres personnages aient des contours plus flous ne m'a pas gênée...Je n'ai même pas pensé qu'ils avaient des contours flous en fait...
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Queenie
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyMar 30 Déc 2008 - 21:36

Je me souviens avec assez de netteté du personnage de la sœur de Prado. Émouvante.
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Marie
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyVen 21 Aoû 2009 - 3:38

Quelques mots sur L'accordeur de pianos traduit de l'allemand par Nicole Casanova.
Et bien... j'avais beaucoup, beaucoup aimé Train de nuit pour Lisbonne.
Et là...quel mélo, mais quel mélo laugh
Je me suis d'ailleurs demandé si ce n'était pas tout à fait volontaire ,car, finalement, cette histoire très compliquée ferait peut être un bon livret d'opéra. Je vais y travailler..
Alors!!! Donc, un enfant pauvre est adopté par une famille musicienne, et il devient accordeur de pianos. Oui, mais!! Ce sont des opéras qu'il veut écrire, cet homme, et il va y passer sa vie.
Il se marie avec une ballerine ,enceinte de jumeaux dont le père biologique est un ténor célèbre. Cette danseuse va être victime d'un accident, lourdement handicapée, elle devient morphinomane, ça se complique. Ce qui ne l'empêche pas, par ailleurs, de séduire son fils ,qui lui même est amoureux de sa soeur
Cool
Tout le monde suit? Et je simplifie beaucoup..
Et!!! Le ténor nommé Antonio di Mafaltino, tout un programme, va finir assassiné sur scène alors qu'il interprétait Cavaradossi dans la Tosca ! Bien fait, dirait Lucretius, de toutes façons, Puccini ne mérite que cela..
Mais... qui a tué le ténor dans la salle de l'opéra de Monte Carlo avec le pistolet du grand-père maternel???
Ca, je ne vais pas vous le dire,ce serait trop facile, faut lire les 500 pages!
J'en suis venue à bout, il écrit bien Pascal Mercier, les personnages ne sont pas inintéressants et la musique est omniprésente, ce qui ne gâte rien.

Mais quand même!!
Je rejoins Coline:
Citation :
J’aurais voulu cette histoire allégée, considérablement allégée : soit du nombre de problèmes recensés, soit des détails avec lesquels ils nous sont imposés.
Voui, moi aussi..

Entre parenthèses, Coline tu te trompes d'assassin, mais chut!! laugh

D'autres avis? Kenavo, tu as aimé, il me semble?
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyVen 21 Aoû 2009 - 7:52

Merci pour ton avis.. Very Happy
Marie a écrit:
D'autres avis? Kenavo, tu as aimé, il me semble?
au moment où Train pour Lisbonne est paru en allemand et tout le monde en parlait, je ne connaissait cet auteur, absolument pas - et puisque la différence entre grand format et poche concernant prix est parfois pour des livres allemands encore plus grand qu'en France, je voulais donc tout d'abord faire connaissance - pour ce, je me suis achetée L'accordeur de pianos - à ce moment déjà disponible en poche.
Les premières 50 pages de ce livre sont donc la première chose que j'ai lu de Pascal Mercier - et son écriture m'a tout de suite convaincu que je voulais avoir ce Train pour Lisbonne tout de suite Very Happy
j'ai lu celui-là d'un trait et par après j'ai terminé L'accordeur.. auquel je devais un certain 'Merci' pour m'avoir donné envie de lire ce fabuleux Train.. et à part cela oui, j'ai bien aimé quelques idées, quelques passages.. mais le tout est loin de mon enthousiasme pour les autres livres de lui - notamment Le mutisme de Perlmann (Perlmann's Schweigen) - dont j'espère qu'ils vont le traduire en Français au lieu de Lea qui est à mon avis une catastrophe.. mais bon..
faut voir..
surtout que moi, j'attends aussi du nouveau de lui Basketball pffff.. il fait quoi là.. au lieu d'enseigner de la philo, il pourrait se mettre derrière son bureau et écrire sourire
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyVen 21 Aoû 2009 - 10:46

Hé c'est Cluedo à Santa Barbara ce truc !
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyLun 24 Aoû 2009 - 18:56

Marie a écrit:
Quelques mots sur L'accordeur de pianos traduit de l'allemand par Nicole Casanova.
Et bien... j'avais beaucoup, beaucoup aimé Train de nuit pour Lisbonne.
Et là...quel mélo, mais quel mélo laugh
Je me suis d'ailleurs demandé si ce n'était pas tout à fait volontaire ,car, finalement, cette histoire très compliquée ferait peut être un bon livret d'opéra. Je vais y travailler..
Alors!!! Donc, un enfant pauvre est adopté par une famille musicienne, et il devient accordeur de pianos. Oui, mais!! Ce sont des opéras qu'il veut écrire, cet homme, et il va y passer sa vie.
Il se marie avec une ballerine ,enceinte de jumeaux dont le père biologique est un ténor célèbre. Cette danseuse va être victime d'un accident, lourdement handicapée, elle devient morphinomane, ça se complique. Ce qui ne l'empêche pas, par ailleurs, de séduire son fils ,qui lui même est amoureux de sa soeur
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Et!!! Le ténor nommé Antonio di Mafaltino, tout un programme, va finir assassiné sur scène alors qu'il interprétait Cavaradossi dans la Tosca ! Bien fait, dirait Lucretius, de toutes façons, Puccini ne mérite que cela..
Mais... qui a tué le ténor dans la salle de l'opéra de Monte Carlo avec le pistolet du grand-père maternel???
Ca, je ne vais pas vous le dire,ce serait trop facile, faut lire les 500 pages!
J'en suis venue à bout, il écrit bien Pascal Mercier, les personnages ne sont pas inintéressants et la musique est omniprésente, ce qui ne gâte rien.

Mais quand même!!
Je rejoins Coline:
Citation :
J’aurais voulu cette histoire allégée, considérablement allégée : soit du nombre de problèmes recensés, soit des détails avec lesquels ils nous sont imposés.
Voui, moi aussi..

Entre parenthèses, Coline tu te trompes d'assassin, mais chut!! laugh

D'autres avis? Kenavo, tu as aimé, il me semble?

coline a écrit:
]De par la grâce de l’écriture de Pascal Mercier, j’ai plongé avec délice dans cet épais roman.
[...]
Et puis…et puis…peu à peu je me suis sentie étouffer sous l’amoncellement de tous ces malheurs familiaux, relatés avec grande précision, et analysés, disséqués…
C’était " trop " pour que je le trouve supportable…
[...]J’ai fini le livre en poussant un grand Ouf ! de soulagement…
[...]
"Bourratif" je dirais...

Ah oui?...Je me suis trompée pour l'assassin?...Je devais dormir sur le livre au moment de l'assassinat... sourire
Mais je ne veux surtout pas le relire !...
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyLun 24 Aoû 2009 - 19:03

coline a écrit:
Mais je ne veux surtout pas le relire !...
d'autant plus dommage que cet avis est partagé avec la plupart des lecteurs..
et probablement aussi critiques, en tout cas le livre n'a pratiquement pas eu de résonnance lors de sa sortie.. ce qui ne va pas améliorer les chances de Pascal Mercier d'être traduit au futur... Wink
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyLun 24 Aoû 2009 - 19:06

kenavo a écrit:
le livre n'a pratiquement pas eu de résonnance lors de sa sortie.. ce qui ne va pas améliorer les chances de Pascal Mercier d'être traduit au futur... Wink

Tu dis qu'il est bien meilleur, alors dommage que la maison d'édition n'ait pas fait le choix du Mutisme de Perlmann (Perlmann's Schweigen)...
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyLun 24 Aoû 2009 - 19:32

coline a écrit:
Tu dis qu'il est bien meilleur, alors dommage que la maison d'édition n'ait pas fait le choix du Mutisme de Perlmann (Perlmann's Schweigen)...
je ne sais pas comment une maison d'édition fait les choix pour traduire un auteur - mais après le succès de son 3e livre, j'ai pensé qu'il aurait été plus logique de commencer par son premier.. et peut être aussi s'informer sur le marché dont il vient - et en Allemagne Le mutisme de Perlmann est LE grand livre de Mercier - pour quelques lecteurs encore mieux que Train de nuit pour Lisbonne
mais, on doit accepter leur choix.. et espérer qu'ils vont trouver les moyens de laisser faire la traduction Very Happy
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyLun 7 Sep 2009 - 15:53

Train de Nuit pour Lisbonne (Nachtzug nach Lisabonne, 2004). 491 pages.. Maren Sell Editeurs, Diffusion Seuil. Traduit de l'allemand par Nicole Casanova en 2006.

En exergue du roman, on peut lire "Nuestras vidas son los rios que van a dar en la mar, qu'es el morir. Jorge Manrique".

Allons bon, se dit le lecteur, qui ne voit pas de traduction et qui ne connait pas forcément l'espagnol. Voilà un livre qui commence comme un Umberto Eco. Heureusement, Internet permet de savoir que Jorge Manrique a vécu de 1440 à 1479, et qu'il est connu pour ses Coplas por la muerte de su padre (Sur la mort de son père, 1476). "Nos vies sont comme les fleuves qui débouchent sur la mer, à savoir la mort" (le texte continue par : les grands seigneurs y vont tout droit et s'y consument ; les fleuves principaux, les fleuves moyens et les plus petits, arrivés là, tous sont égaux, ceux qui font un travail manuel aussi bien que les riches". (Lettres européennes, A.Benoît et G.Fontaine, 1992, pages 238-239).

Après, le lecteur peut lire deux autres citations, une de Montaigne ("Nous sommes tous de lopins et d'une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque momant, faict son jeu. Et se trouve autant de différence de nous à nous mesmes, que de nous à autruy"), l'autre de Pessoa, ce coup-ci traduite - le lecteur doit apparemment connaître l'espagnol, mais pas le portugais. Les deux citations parlent de l'aspect composite, multiple, d'une personnalité.

Le héros du roman s'appelle Raimund Gregorius. Il vit à Berne, a cinquante sept ans et est professeur de langues anciennes : latin, grec, hébreu...
Gregorius prend comme d'habitude
Citation :
"le pont de Kirchenfeld qui mène du centre de la ville au lycée. Ainsi faisait-il chaque matin et l'année scolaire, et immuablement à huit heures moins le quart. [...] c'est alors qu'il aperçut la femme au milieu du pont. Accoudée au parapet, elle lisait sous les torrents d'eau ce qui semblait être une lettre. Elle était obligée de la tenir à deux mains. Quand Gregorius s'approcha, elle froissa soudain le papier, le pétrit en une boule qu'elle jeta d'un geste violent dans le vide. [...] À présent, la femme s'appuyait sur le parapet, les bras tendus, et ses talons glissaient hors des souliers. Elle va sauter. Gregorius abandonna le parapluie à un coup de vent qui l'emporta par-dessus le parapet, il jeta par terre sa serviette pleine de cahiers d'élèves et lança à voix haute une série de jurons qui n'appartenaient pas à son vocabulaire habituel. La serviette s'ouvrit et les cahiers glissèrent sur l'asphalte mouillé. La femme se retourna. Pendant quelques instants, elle contempla sans bouger les cahiers qui noircissaient dans l'eau. Puis elle tira un stylo feutre de la poche de son manteau, fit deux pas, se pencha vers Gregorius et lui écrivit une série de chiffres sur le front.
«Excusez-moi, dit-elle en français, le souffle court et avec un accent étranger, mais il ne faut pas que j'oublie ce numéro de téléphone et je n'ai pas de papier sur moi ». " (page 13-14)
La femme se rend vite compte qu'elle aurait pu l'écrire sur ses mains...

Le quotidien de Gregorius, réglé comme une horloge suisse, va non pas se détraquer, mais en quelque sorte bifurquer. La femme portugaise, son accent, le numéro de téléphone, le retard à l'école, vont faire prendre conscience au professeur qu'il y a autre chose à vivre.
A la rechercher d'une méthode de portugais, dans une librairie espagnole, il tombe sur un livre d'un certain Amadeu Inacio de Almeida Prado, Um ourives das palavras, Lisboa 1975. Le titre veut dire "Un orfèvre des mots". Le libraire lui en traduit un passage :
Citation :
"Sur mille expériences que nous saisons, nous en traduisons tout au plus une par des mots, et même celle-là, simplement par hasard et sans le soin qu'elle mériterait. Parmi toutes les expériences muettes sont cachées celles qui donnent secrètement à notre vie sa forme, sa couleur et sa mélodie. Si ensuite, en archéologues de l'âme, nous nous tournons vers ces trésors, nous découvrons à quel point ils sont déconcertants. L'objet de l'observation refuse de s'immobiliser, les mots glissent le long du vécu et à la fin il ne reste sur le papier que des contradictions. Longtemps, j'ai cru que c'était un manque qu'il fallait pallier. Aujourd'hui, je pense qu'il en va autrement : que la reconnaissance du désarroi est la voie royale qui mène à la compréhension de ces expériences familières et pourtant énigmatiques. Cela paraît étrange et même bizarre, je sais. Mais depuis que je l'ai compris, j'ai le sentiment d'être pour la première fois vraiment éveillé et en vie.[...] " (pages 28-29)
Le livre de Almeida Prado est composé de notes, de réflexions, comme "S'il est vrai que nous ne pouvons vivre qu'une petite partie de ce qui est en nous - qu'advient-il du reste ?" (page 29).

Gregorius, qui ne fait jamais de faute de latin, de grec ou d'hébreu, dont le savoir est encyclopédique et dont chaque action est toujours tellement prévisible, va tout laisser en plan et aller au Portugal, à la recherche de ce Prado.
Il "allait pour la première fois prendre sa vie en main." (page 24). Lui ne voyageait quasiment jamais, il restait professeur, alors que certain de ses élèves, dans le même temps, vivaient, allaient à l'étranger, changeaient.
Son quotidien, Gregorius le rompt donc volontairement, contrairement à un autre professeur, celui de Enfin le silence, de Karl-Heinz Ott.

Le roman raconte l'enquête de Gregorius au Portugal à la recherche du passé de Almeida Prado et, en parallèle, sa lecture du livre, dont les thèmes principaux sont les mots, incapables d'exprimer vraiment la réalité, l'homme, incapable de se connaître vraiment lui-même, et incapable de comprendre vraiment les autres, et Dieu, l'immortalité ("Qui voudrait sérieusement être immortel ? Qui voudrait vivre de toute éternité ?" page 199), et la dictature, le devoir...

Il y a de nombreux passages vraiment très bons et originaux, par exemple une apologie de la désillusion, page 260 :
Citation :
"La désillusion passe pour un mal. Préjugé irréfléchi. Par quel moyen, sinon grâce à la désillusion, découvririons-nous ce que nous avons attendu et espéré ? Et en quoi, sinon dans cette découverte, résiderait la connaissance de soi ? Comment quelqu'un désillusion ?" (concernant la dernière phrase, sans doute manque-t-il un mot...)

Et puis tout un tas de réflexions sur différents sujets : "Le kitsch est la plus sournoise de toutes les prisons, avait noté Prado. Les barreaux des grilles sont revêtus de l'or des sentiments simplifiés, irréels, si bien qu'on les prend pour les colonnes d'un palais. "(page 277).

Mais il y a d'autres passages un peu longs, qui auraient pu être raccourcis, des redites.
C'est d'ailleurs ce qu'a dû penser le correcteur, au vu du nombre de fautes qu'il a laissées : "dans doute" (page 173, pour "sans doute"), la voix était "différence" (page 206, "différente"), "pas cru pas nos yeux" (page 207), "In entendit" (page 295), "N'est-ce pas finalement aussi pour cette raison [que] je suis devenu..." (page 300), "il décrivais" (page 407), "les cheveux toux" (page 445), "Là nuit où ..." (page 476).

Mais peut-être la longueur, la répétition, ont-elle un rôle à jouer dans cette histoire de mémoire, ce voile levé progressivement sur la vie de Prado ?

On peut aussi reprocher au roman d'être trop construit. Par exemple, page 209, lorsque quelqu'un rapporte à Gregorius les propos tenus à un moment par Prado, il dit : "Cela lui rappelait l'indiscrétion de Dieu"... et le lecteur comprend bien, parce qu'il a lu ce qu'il fallait dix pages auparavant (Dieu, omniprésent, ne nous accorde pas de liberté). De même, page 374, on parle de "Solitude par mise au ban", et hop, huit pages plus loin (page 382), on peut lire : "Solitude par obligation de se taire, cela aussi existe."
On sent un peu trop qu'on nous donne les éléments au compte-goutte, ce qu'il faut quand il faut.

De plus, le lecteur sent qu'il lit un texte littéraire. Comment le savoir ? C'est très simple : même les Portugais qui parlent français utilisent des imparfaits du subjonctif, comme ça, dans la conversation. "Je n'ai connu personne qui fût capable comme lui de se perdre aussi frénétiquement dans ses rêveries, dit Eça. Et qui détestât à ce point d'être déçu." (page 261).
Ouah ! On l'aura compris, on n'est pas dans le néo-réalisme. Tout est littéraire, cérébral.
A propos de cérébral, on notera aussi le nombre de bons joueurs d'échecs, sans doute très au-dessus de la moyenne de la population... On n'y croit que très moyennement.


Bref : un roman bien écrit, vraiment intéressant, avec des ambitions philosophiques sur la connaissance de l'Autre, de soi-même, du monde, de la destinée, largement au-dessus de la moyenne... mais un peu long, et parfois artificiel. La forme du roman semble parfois n'être qu'un véhicule pour délivrer les pensées de l'auteur, à petites doses, de manière digeste.
Et l'on peut s'interroger sur le titre, qui pourrait laisser croire que le gros du livre se passe dans un train (comme Train de nuit avec suspects, de Yoko Tawada). Mais non. C'est qu'il doit y avoir du symbole dans le titre, très certainement.
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyLun 7 Sep 2009 - 23:43

eXPie a écrit:
Train de Nuit pour Lisbonne (Nachtzug nach Lisabonne, 2004). 491 pages.. Maren Sell Editeurs, Diffusion Seuil. Traduit de l'allemand par Nicole Casanova en 2006.

La forme du roman semble parfois n'être qu'un véhicule pour délivrer les pensées de l'auteur, à petites doses, de manière digeste.

C'est un régal de lire tes commentaires eXPIe...

Le roman, véhicule pour délivrer les pensées de l'auteur...certainement...Et n'oublions pas que Pascal Mercier est un philosophe...

Pour ce qui est de la symbolique du titre, je t'avoue n'avoir pensé qu'au premier degré, à ce train qu'il prend un soir pour tout quitter et se rendre à Lisbonne...parce que la portugaise sur le pont...parce que le livre de Prado dans la librairie...

Si j'avais le temps, je le relirais pour voir s'il me plairait autant aujourd'hui...
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MessageSujet: Re: Pascal Mercier [Suisse]   mercier - Pascal Mercier [Suisse] - Page 8 EmptyMar 8 Sep 2009 - 7:30

coline a écrit:
Si j'avais le temps, je le relirais pour voir s'il me plairait autant aujourd'hui...
Je pense que oui... Il me semble que ce n'est pas un livre qui se contente de surfer sur l'air du temps.
Par contre, j'ai cru lire sur le fil que l'Accordeur de piano était moins bien, mais il l'a écrit avant, alors c'est excusable !

La couverture en version poche est vraiment meilleure que celle du grand format, mais c'est cette dernière qui est la couverture "originale" en Allemand, ai-je vu sur wikipedia, ici. Etonnant, non ?
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