Une journée particulière (1977)
Il s'agit de la rencontre, totalement improbable, de tout ce qui s'exclut, de ce qui ne peut pas se joindre, se rejoindre, se re-connaître et qui pourtant finit par se parler, se joindre et partager.
Une journée dédiée à la foule tonitruante qui se précipite pour accueillir Hitler rendant visite à Mussolini et à laquelle deux êtres échappent. L'une par trop plein de monde dans sa vie : un mari (peu aimant) et six enfants, l'autre par solitude, par rejet, parce qu'il s'agit d'un subversif, d'un antifasciste, pire d'un homosexuel.
De ses deux solitudes, du contraste permanent entre la présence de la foule, du bruit, de l'agitation, du mouvement populaire et de l'autre côté de la recherche du silence, de la mort et de l'amour, Scola invente un film d'une incroyable sensibilité et d'une infinie violence. Car ces deux solitudes ne peuvent que se heurter, ne peuvent pas se comprendre, ne peuvent pas s'entendre, jusqu'à ce que les barrières tombent, les non-dits, les infirmités, les différences soient dites et que le couple enfin, puisse donner et se donner. Insuffisance de la femme esseulée, quasiment illettrée, vouée corps et âme à cette famille qui la dévore et en face d'elle, l'homme de radio, le beau-parleur, en tout cas l'être qui connaît la valeur des mots et sait les utiliser, le lecteur, l'érudit, le dandy mais le rejeté.
De cette confrontation, sublimement filmée à travers le prisme d'un immeuble utilisé comme un troisième personnage (concomitant avec celui, monstrueux de la concierge, à la fois image morale et immorale), je sors totalement éblouie ; parce que cette confrontation se résout par une double transformation, laquelle semble remettre les choses à leur place : la femme faible deviendra séductrice de l'homme sensément fort, lequel apparaîtra enfin sous les traits qui lui conviennent ceux d'un homme séduit, sensible et perdu. A cette miraculeuse pirouette, Scola ajoute une infinité de nuances, d'algarades, de joutes oratoires qui vont de la prise de conscience politique à l'érudition en passant par le mensonge (ah les grains de café glissés sous le tapis et que Gabriel finit par croquer avant d'être emporté) et l'envie d'être : autre que ce que l'on est… un instant, un jour, une heure.
Et puis cette caméra qui semble elle aussi montrer la séparation des corps, filmant les nuques des comédiens, filmant les corps à travers le filtre d'une vitre ou l'écho d'un miroir, mettant en scène les deux corps dans la même pièce mais filmés de l'extérieur à travers deux portes les rejetant de chaque côté d'un mur ou bien les faisant se parler d'une pièce à l'autre, chacun les yeux fermés, penchés vers la cloison qui les sépare… Fascinant.
La sublime Sofia Loren et le non moins renversant Marcello Mastroianni (tous deux à contre-emploi) donnent à leurs personnages les insuffisances, les outrecuidances, les irisations nécessaires pour créer des êtres à la fois hors-norme et voisins de nous-mêmes, pour ne pas dire nous-mêmes… Terriblement subversifs, terriblement quotidiens et pourtant simplement uniques.
Superbe film. Vaste. Intense. Vibrant. Important.
Bon, j'ai encore une question à propos de Citavecchia, une île au large de Rome qui semble accueillir les subversifs. Mais je n'ai pas très bien compris s'il s'agissait d'un emprisonnement (a priori l'île abrite un ancien bagne mais qui n'était plus en fonctionnement dans les années 30), d'un exil sur cette île, où d'une destination de transit vers un autre lieu de déportation ??