Laisse couler
Le titre du livre est celui de la dernière nouvelle, c’est aussi emprunté à une réplique dans le livre de F.Scott Fitzgerald « All the sad young men ».
La préface de Russel Banks situe l’auteure parmi les autres grands novellistes.
La première nouvelle « temps de guerre » se déroule au Canada (2ème guerre mondiale) , nous suivons l’adolescence de Steve anglophone et protestant et de Lily francophone et catholique . Steve est élevé par sa tante ses parents se trouvant dans une mission anglicane en Chine.
Il est intéressant de voir l’antagonisme existant entre ces deux communautés ; les mœurs de l’ époque.
« A l’époque les adultes voyaient les choses de cette manière ; simplement. Des catholiques avec des protestants : autour de nous le sol était jonché d’histoires de mauvais augure, des cailloux et des briques de la séparation. Pourquoi laisser les choses aller trop loin entre deux jeunes qui ne devaient pas rester ensemble ? »
« Elle était en combinaison, les cheveux couverts de mousse shampoing. (La rumeur voulait que les catholiques ne se lavent jamais) »
« Certains hommes se passaient de femmes. Les romans anglais en étaient remplis.
Voilà pour la fiction : dans le monde réel l’homosexualité était un délit passible d’un séjour en prison. »
La deuxième nouvelle se déroule dans le sud de la France ; nous retrouvons Steve et Lily mariés et plusieurs couples qui vont se faire et se défaire à l’occasion d’un concert.
« Lapwing et moi ressemblions à deux acteurs. Plan d’ouverture sur l’animation matinale d’une petite rue, joyeux pastiche de musique de cirque pour donner le ton, et le reste, on l’imagine, va se dérouler à la même cadence, avec la même nostalgie. En réalité il ne se passerait rien, sauf l’humiliation de deux hommes. Une humiliation blanche et sans éclat. »
La 3ème nouvelle se passe aussi dans le sud de la France, Steve a à présent la soixantaine et l’arrivée fortuite de la fille de Lily fait ressurgir les souvenirs.
Steve se remémore les entretiens avec sa tante : « Jusque là, ni le sexe, ni l’argent n’avaient eu de place dans sa conversation. Elle avait fait comme s’ils n’existaient pas. Je venais d’être intronisé, à titre de membre honoraire, dans une société très fermée , celle des femmes qui s’ arrêtent de parler quand un homme ou un enfant entrent dans la pièce. »
« Dans notre cabine au dessus de la mer, j’ai entendu un « il ne sait pas » de plus en plus imperceptible. Lily a dû entendre une voix mourante, à peine audible, chuchoter ; « laisse couler ». Plus intelligente qu’aucun homme ne le sera jamais, elle a coupé le son.
Suit une postface de l’auteure qui relate son envie d’écrire depuis l’enfance, son désir de la France et nous explique comment elle compose ses nouvelles. Les nouvelles dit elle ne sont pas à lire l’une après l’autre, il faut en lire une, passer à autre chose avant d’entamer la suite.
C’était une très bonne lecture, les personnages sont des plus réalistes ; son écriture : l’essentiel, le vrai, l’utile.