[photographie de Doisneau.]
On connait et admire surtout Pablo Picasso pour son oeuvre de peintre, on ignore souvent qu'il a également été un poète et dramaturge de talent.
En 1935, Picasso sort ses crayons pour écrire "les centaines de poèmes qui dormaient", en français. Il en résulte des textes fuyants, vifs, où l'on sent que c'est un peintre qui écrit. Les couleurs fusent, on tombe dans de délicieuses logorrhées où les images s'emmêlent aux mots. Ses feuilles étaient d'ailleurs très brouillonnes, et l'on retrouve de-ci, de-là, des dessins égarés.
Six ans après avoir pris la plume, l'écrivain achève
Le désir attrapé par la queue. On est plongé dans une oeuvre totalement délurée, une pièce de théâtre où le gros pied, l'oignon, la tarte, sa cousine, le bout rond, l'angoisse grasse ou l'angoisse maigre s'affrontent en compagnie des deux toutous et du silence. Faire fi du caractère grotesque de ces échanges serait sans doute dommage, imaginer les scènes est un réel plaisir, quoique parfois bien compliqué ! Cette pièce a été lue par des gens comme Albert Camus, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Raymond Queneau, ou encore Picasso lui-même.
En 1947, il écrit
Les quatre petites filles, pièce de théâtre folâtre où les quatre filles en question s'amusent dans un jardin potager. Il est parfois difficile de suivre les ébats et jeux linguistiques des enfants, mais la plume de Picasso garde un ton égal à celui de ses poèmes ; on se laisse flotter le long du recit, emporter par ses mots. Et toujours ces effusions de couleurs...
J'ai découvert Picasso dans l'anthologie de l'humour noir d'André Breton, où celui-ci proposait deux de ses poèmes, sur lesquels j'ai flashé immédiatement. C'est Le désir attrapé par la queue qui m'a le plus plu dans ce que j'ai lu. Je me régalais à lire cela à haute voix, ces longues phrases d'où le sens s'échappe parfois, mais où le charme est toujours présent. Cela dit, je me suis un peu lassée des récits loufoques, cherchant des choses plus terre à terre. Je conserve cependant tout mon amour pour l'écrivain.
Il est certain que l'oeuvre écrite de Picasso n'est pas à proposer à n'importe qui. C'est plus une histoire de forme que de fond. Hostiles au surréalisme, s'abstenir, donc. Mais ceux qui recherchent une forme lisse devraient être ravis.