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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Lucile Hadzihalilovic Mer 28 Juil 2010 - 1:18
Lucille Hadzihalilovic
Biographie du site Filmdeculte.com:
Citation :
Fille du cinéma de genre, principalement américain et italien, ayant passé son enfance et son adolescence au Maroc, Lucile Hadzihalilovic débarque en France à 17 ans, des images et des envies plein la tête. Très vite viennent l’IDHEC, Nono, Noé, la fondation des Cinémas de la Zone… Dix ans que la discrète dame officie dans le sillage de son compagnon à la ville et à la caméra. Solo, pour La Première Mort de Nono en 1986, court conte fantasmatique dans la grisaille des barres HLM, ou duo conjugal en qualité de monteuse et/ou productrice pour Carne et Seul contre tous. Partageuse, complice, la dame boit également au même ruisseau que son Gaspar dans le cadre d’une commande de films traitant du VIH. Monsieur signe son sulfureux Sodomites, épate visuelle un rien vaine mais costaude; Madame rappelle que Good Boys Use Condoms et confirme les promesses de son épatant moyen métrage, tourné deux ans auparavant, au titre évocateur: La Bouche de Jean-Pierre.
Encore fermement sous l’emprise forte du réalisateur de Carne et Seul contre tous, Hadzihalilovic bataillait alors à forger son point de vue personnel, en opposant un traitement onirique à une sombre et naturaliste histoire d’ogre pédophile et de misère sociale. Conte monstrueux le cul entre deux chaises, tenté tantôt par la redite stylistique de Noé (violence typographique, CinemaScope, traitement extrémiste de la bande-son, prise de son directe et éclairages naturels), tantôt par l’envie d’élargissement par la fable (un "petit chaperon rouge" urbain, pour faire simple), le film fascine les initiés de la Zone et agace les autres, qui pointent une "formule" Noé mal appliquée. C’est pourtant une première reconnaissance qui attend Hadzihalilovic: grâce à son timing bâtard, son sujet fort et son traitement graphique sans concession, La Bouche de Jean-Pierre écume les festivals, de courts comme de longs. Sélection au festival de Cannes 96 dans le cadre d’Un certain regard, mais aussi à Avignon, Montréal, Toronto, Sarajevo, et même Sundance…
Et puis des prix: Très Spécial, SACD du Meilleur Scénario à Avignon, Mention du Jury à Clermont-Ferrand, Beaumarchais du Meilleur Scénario à Angers, ou encore aux Lutins du court métrage, face à quelques belles signatures telles Ramos ou Ozon. L’occasion rêvée pour voler de ses propres ailes: Hadzihalilovic bifurque, laisse Noé à son Irréversible (au passage, coïncidence ou non là n’est pas la question, son meilleur film), persiste et signe dans son exploration au Scope de l’effrayant imaginaire enfantin, et achève avec Innocence de se mettre la moitié de la critique à dos. On susurre qu’elle préparerait maintenant un film d’horreur. C’est ce que l’on appelle avoir de la suite dans les idées
Sorti en 2004 dans une indifférence quasi totale, Innocence est pourtant un film captivant et très intéressant esthétiquement. On pourrait dire que dans une démache finalement approchante (ils travaillent ensemble sur leurs films respectifs), Gaspar Noé explore la psyché sombre et violente du côté masculin et Lucille Hadzihalilovic l'envers féminin à travers ce conte initiatique qui décrit l'arrivée dans un cercueil d'une petite fille qui va devoir se soumettre aux rituels étranges d'une sorte d'école de danse où on prépare d'autres petites filles à passer une mystérieuse audition de passage dans un théâtre lynchien où l'on ne voit jamais les spectateurs. Pourquoi? Où sont-elles? Où vont-elles après? Que signifient ces rituels? Le film génère un climat un peu oppressant qui laisse entrevoir volontairement au premier degré la possibilité d'une organisation secrète aux motivations perverses. Mais évidemment tout cela est métaphorique et une très belle idée poétique de représentation du passage de l'enfance à la puberté avec son cortège d'angoisses et de découvertes des transformations du corps. Le tout accompagné comme une comptine obsédante par la très belle musique de Prokofiev extraite du "Lieutenant Kijé". On pourrait être chez Yoko Ogawa, chez Balthus ou Hans Bellmer. Ou encore dans les peintures de ce malade mental Henry Darger qui représentait des petites filles dans des situations scabreuses.
Le final est très beau et permet de boucler un cycle avant que le suivant ne recommence. A noter la présence de Marion Cotillard et Hélène de Fougerolles dans les rôles des initiatrices. Innocence est heureusement sorti en DVD et figure dans la liste des 10 meilleurs films de 2004 pour l'excellent site de cinéma "Tativille" (en anglais). Mais qu'attend Lucile pour refaire un film?!!
Orientale Agilité postale
Messages : 903 Inscription le : 13/09/2009 Age : 71 Localisation : Syldavie
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Dim 28 Nov 2010 - 9:11
J'ai vu "Innocence" de Hadzihalilovic hier soir tard a la tele et j'ose dire que ce film film m'a procure un grand plaisir esthetique. Un film intelligent dans sa construction, pleine de non dits. L’atmosphère du film est telle que le spectateur interprète lui même et à sa façon cette histoire, des jeunes filles élevées à l’abri du monde extérieur (arrivant dans des cercueils et dansants pour des spectateurs inconnus…). Ici rien n’est dit, tout est évoqué de façon à ce que le spectateur, avec ses aprioris, se pose lui-même les questions logiques que suscite l’éducation de ces jeunes innocentes danseuses
Citation :
Dès son ouverture, le film impose son mouvement fondamental, la plongée, et son élément majeur (comme note dominante), l'eau. Littéralement sortie des remous de la rivière qui coule dans le bois, la caméra nous entraîne aussitôt dans des couloirs souterrains obscurs, parcourus par les échos d'un murmure étouffé. Le trajet de Bianca est aussi une plongée : d'abord dans la forêt la nuit, le long d'un chemin éclairé par de mystérieux lampadaires, puis dans les passages secrets de la demeure centrale. Baignant dans un fantastique ambigü et lumineux comme ses jeunes interprètes, Innocence est un film d'ambiance, qui suscite plus de questions qu'il n'en résout.
A travers un univers visuel riche, devient au fur et à mesure un voyage dans l'âme des jeunes filles, un trip psychique, passant indifféremment de la sensation au sens. Au final, il s'agit d'un portrait mental des plus « réaliste » de l'adolescence, cette période de mutation physique et psychologique qui peut être terrorisante. Jalousie, curiosité et angoisse, les jeunes filles d'Innocence sont enfermées dans leur corps autant que dans le pensionnat, espérant une libération qui est en fait inexorable. Par petites touches impressionnistes, Innocence se révèle en fait le beau portrait d'un corps soudain étranger à lui-même, en pleine éclosion.
D'apres la nouvelle de Frank Wedekind Mine-Haha ou "DE L'ÉDUCATION CORPORELLE DES JEUNES FILLES"
Citation du livre:
Citation :
" Une nuit, Naema vint près de mon lit, releva la couverture et m'emporta toute nue. Dehors elle me coucha dans une caisse étroite exactement à ma mesure et ferma le couvercle. Puis je ne sais rien de plus que d'avoir vu tout à coup la lumière du jour briller à travers les trous de la caisse. La caisse fut alors redressée et ouverte. J'en sortis. " Dès lors, Hidalla, la narratrice, va recevoir au fil des années la même éducation que les autres petites filles et les adolescentes qui partagent son existence dans " le Parc " : gymnastique, baignades dans " l'eau riante ", apprentissage de la danse et de la musique sont aussi scrupuleusement décrits que les horaires en sont rigoureux. Les troubles et les émois qui accompagnent de loin en loin l'épanouissement des jeunes filles finissent par se fondre dans le temps cyclique de journées égales, heureuses dont l'aboutissement est représenté par le théâtre, et le terme, par la puberté. Celle-ci en effet est comme sanctionnée par la projection des jeunes filles dans la vie commune, barbare, où le monde des hommes jusqu'ici absent les attend. Ce ne sera qu'à la fin de sa vie, devenue vieille, qu'Hidalla éprouvera le besoin de raconter cette période heureuse et monotone de sa vie : " Lorsque aujourd'hui je repense à ces sept années, elles me paraissent absolument dénuées de toute dimension temporelle, comme un instant, presque comme le rêve d'une seule nuit (...). D'aucune des filles ne m'est restée en mémoire leur façon de parler. Je sais seulement encore comment elles marchaient. "
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Dim 28 Nov 2010 - 10:28
Orientale a écrit:
A travers un univers visuel riche, devient au fur et à mesure un voyage dans l'âme des jeunes filles, un trip psychique, passant indifféremment de la sensation au sens. Au final, il s'agit d'un portrait mental des plus « réaliste » de l'adolescence, cette période de mutation physique et psychologique qui peut être terrorisante. Jalousie, curiosité et angoisse, les jeunes filles d'Innocence sont enfermées dans leur corps autant que dans le pensionnat, espérant une libération qui est en fait inexorable. Par petites touches impressionnistes, Innocence se révèle en fait le beau portrait d'un corps soudain étranger à lui-même, en pleine éclosion.
Content que tu aies apprécié ce beau film étrange et inquiétant. Ses images marquent et restent en mémoire très longtemps. Les sous-terrains, le cercueil, la danse, le théâtre aux spectateurs invisibles, la fontaine finale... Le fameux théâtre m'a rappelé le club Silencio dans Mulholland Drive de David Lynch. Mais chez Lynch c'était un espace onirique rappelant à l'héroïne qu'elle était en train de rêver ("Tout n'est qu'illusion") alors que chez Lucile Hadzihalilovic c'est plutôt la représentation symbolique du trouble érotique et de la menace que cette éclosion fait surgir. Le désir y étant à la fois excitant et dangereux. J'aime aussi beaucoup la scène finale autour de la fontaine. Il mérite d'être (re)découvert! Il faut que je lise des textes de Frank Wedekind. C'est aussi lui qui a inspiré Alban Berg pour son opéra Lulu ("L'esprit de la Terre" et "La boite de Pandore").
Oeuvres de Wedekind:
Citation :
* Le Jeune Monde, 1890 * L'Éveil du printemps, tragédie enfantine, (Frühlings Erwachen), 1891 * L'Esprit de la terre (Erdgeist), 1895 * Le Chanteur de chambre (Kammersänger), 1897 * Le Marquis de Keith (Der Marquis von Keith), 1901 * La Boîte de Pandore, (Die Büchse der Pandora), 1902 * Le Roi Nicolo ou Ainsi va la vie (König Nicolo oder So ist das Leben), 1902 * Mine-Haha, 1903 * Feux d'artifice (Feuerwerk), 1906 * Sur l'érotisme (Über Erotik), 1906 * La Danse macabre (Totentanz), 1906 * Franziska, 1912. * Le château de Wetterstein, 1912.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Chouette! Elle revient avec Évolution ... Le 16 mars.
pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Mer 2 Mar 2016 - 16:25
Bien envie de le voir tiens.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Mer 16 Mar 2016 - 6:33
2 salles seulement en France (sur Paris) malgré une presse plutôt élogieuse. Ils exagèrent !
pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Mer 16 Mar 2016 - 15:56
Encore rien ici...
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Dim 20 Mar 2016 - 15:09
Evolution
Dans Innocence, la mort de l'enfance et l'entrée dans l'âge adulte des petites filles était symbolisées par l'ouverture d'un cercueil dont une enfant sortait pour intégrer une étrange école de danse destinée à éduquer les corps et les esprits...L'histoire s'inspirait de Wedekind sur la musique de Prokofiev.
Evolution peut se lire comme un écho masculin à ce précédent film tout en explorant d'autres thématiques plus abstraites et plus organiques encore. L'élément aquatique amniotique, les thèmes de la pénétration chirurgicale, de la maternité, de l'hybridation animal/être humain (l'évolution du titre renvoie autant à cette continuité des espèces qu'aux métamorphoses de la puberté), de la naissance, de l'oedipe mère/fils y sont abordés de façon plus sombre et dérangeante en même temps que poétique. Il y a quelque chose du Eraserhead de David Lynch lorsqu'il réalisait ce cauchemar existentiel mettant en scène les peurs primitives du sexe, de la paternité, du rapport au monde...
Sur cette île intemporelle cohabitent des petits garçons d'une dizaine d'années et des jeunes femmes mi-humaines mi-animales, comme la mélusine du conte ou les sirènes des légendes, qui entretiennent entre eux d'étranges rituels tournant autour d'une forme de désir de fusion et d'enfantement en même temps que d'émancipation.
On se sent dans le cauchemar de cet enfant qui observerait les transformations de son corps et ressentirait la nécessité de s'affranchir de la fusion maternelle. Il y a une scène de césarienne qui vient en écho à des séances de chirurgie suggérées où l'on semble vouloir faire sortir du corps de ces petits garçons des foetus que leurs mères auraient elles-mêmes enfantés. Ca peut sembler morbide dit comme ça mais cela prend sens à travers les fantasmes qu'un enfant peut éprouver devant l'étrangeté absolue de ces métamorphoses physiques et mentales de l'adolescence.
J'ai beaucoup aimé ce film qui est plastiquement très beau, porté par les accords étranges des ondes Martenot du concerto de Marcel Landowski , et qui ouvre des champs d'interprétation variés et jamais acquis. C'est mystérieux et finalement plus proche de la réalité psychique qu'un récit plus traditionnel et narratif.
Elle résume d'ailleurs très bien cette idée dans cette interview:
Filmdeculte a écrit:
"Dans un autre entretien tu as déclaré avoir le sentiment qu'en France, on avait peur de ce qui était métaphorique. Peux-tu m'en dire plus à ce sujet ?
On n'a pas une grande tradition du genre comme en Angleterre ou aux États-Unis. En France, bizarrement, on est dans le réalisme, et on n'a pas une telle tradition dans la littérature ou le cinéma. On a aussi un cinéma de genre très gore, ancré dans l'action, peut-être davantage orienté vers un public plus jeune. Mais peu de choses sur l'imaginaire, il y a une vraie incompréhension. Il y a une réticence, comme si c'était impur, comme s'il fallait rationaliser et qu'on avait peur de se lâcher un peu. On est beaucoup dans un cinéma de la parole, et du sujet au sens « grand sujet » : politique, social, sur le couple, la famille. Je ne sais pas si ce sont des plus grands sujets que la métamorphose du corps mais bon (rires). En tout cas c'est comme si le fantastique et l'imaginaire ne pouvaient pas être sérieux."
Une nouvelle réussite d'une cinéaste trop rare.
A noter que s'il y a 3 salles en France (dont 2 à Paris) pour programmer ce film, j'étais absolument seul dans l'amphithéâtre du Kino , le cinéclub de la Fac. C'est bien dommage.
Dernière édition par Marko le Dim 20 Mar 2016 - 16:39, édité 1 fois
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Dim 20 Mar 2016 - 15:47
je vais culpabiliser, la troisième salle c'est ici !
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Dim 20 Mar 2016 - 16:06
animal a écrit:
je vais culpabiliser, la troisième salle c'est ici !
Tente! Avec la crainte que tu n'accroches pas forcément à l'esthétique ultra-stylisée du film. Mais pourquoi pas...
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Lucile Hadzihalilovic Dim 20 Mar 2016 - 18:07
peut-être le weekend prochain ? on verra comment se déplie le weekend...