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| Max Frisch [Suisse] | |
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Auteur | Message |
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colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 9 Mai 2013 - 11:09 | |
| Esquisses pour un troisième journal (1991) Drôle d’idée de découvrir l’œuvre d’un auteur par le texte qui l’acheva. Commencées dans les années 1980 et achevées de force en 1991 par la mort de Max Frisch, les Esquisses pour un troisième journal n’étaient pas prêtes à être publiées car leur auteur n’en avait pas encore terminé la correction. Première nouvelle : depuis quand apporte-t-on des corrections à un journal ? Depuis que celui-ci est devenu exercice littéraire à part entière, égalisant en précision et en intentionnalité le roman, la nouvelle, le poème ou la pièce de théâtre. D’autres l’avaient déjà fait avant Max Frisch –je pense à Cesare Pavese et à son Métier de vivre- et la pratique suit le mouvement d’une tradition que Peter von Matt explique dans sa postface : « Par le terme de « Journal », Max Frisch désigne depuis les années 1940 une forme littéraire qui se distingue fondamentalement de ce que l’on entend généralement par là. Il s’agit d’une composition rigoureusement structurée, de textes de réflexion et de narration, dont les liens tissent un réseau de thèmes et de motifs récurrents. Un « Journal », au sens où l’entend cet auteur, n’est donc pas la somme des notes quotidiennes que l’on prend en plus de son travail d’écrivain, mais un résultat de la volonté artistique au sens le plus strict. »Ce n’est donc pas pour la spontanéité que l’on lira ces Esquisses pour un troisième journal. Relues et partiellement corrigées, les idées que Max Frisch annota tout au long de ses dernières années sont condensées et prennent la forme d’aphorismes au ton cinglant. Chaque nouvelle entrée est digne d’un micro-thriller mobilisant le strict minimum de personnages : Max Frisch lui-même, son ami Peter Noll condamné à mourir du cancer, son avant-dernière compagne Alice, sa cadette d’un demi-siècle, et la civilisation américaine. Max Frisch pourrait presque louvoyer de pair avec les aphorismes d’Emil Cioran pour la similitude de leur ironie ; tous deux portent sur le monde un même regard chargé d’absurdité. Pour mieux nous faire prendre conscience des ablations subies par les pages de ce journal, le dossier situé à la fin de cette édition nous en livre les originaux, plume en main. Le travail de concision de Max Frisch traduit la volonté d’en écrire le moins possible pour en suggérer le plus : « Un buisson jaune comme un feu d’artifice. Un magnolia en fleur. Mais sur les montagnes, de l’autre côté, la neige est toujours là. Le bleu, par-dessus, comme le bleu au-dessus de la Méditerranée. Les forêts ne sont pas encore vertes, mais gris-brun, comme le pelage d’un lièvre, on aimerait caresser un jour tout le coteau. (Hier de nouveau picolé.) »Certaines pages finissent par n’être composées plus que de quelques phrases aussi tranchantes qu’un slogan publicitaire – Max Frisch n’hésite pas à interpeller le subliminal de son lecteur. « THANATOS ET EROS En Amérique cela se dit : CASUAL SEX. »Par ailleurs, et on aura l’occasion de le remarquer très rapidement, Max Frisch est engagé ouvertement dans une bataille politique qu’il livre contre les Etats-Unis, et notamment contre l’hégémonie qu’elle tient à assurer face à un monde encore disloqué en deux blocs distincts. A travers le regard de Max Frisch, les Etats-Unis deviennent la figure symbolique de l’assurance stupide, de la confiance en soi prétentieuse et de la ruine de tout esprit d’ouverture aux autres et de réflexion. Ces passages d’une grande virulence et de portée internationale alternent et contrastent avec des brèves de vie anodines. C’est à ce moment-là qu’on se rappelle qu’elles ont pourtant été délibérément placées par Max Frisch et que, contrairement aux apparences, elles ne sont pas si dérisoires qu’elles n’y paraissent. L’écrivain y parle de ses appartements, de son projet de maison idéale, de ses sacs poubelles et de son ennui. La dualité d’un homme s’exprime à travers cette juxtaposition de considérations. Une face : l’acharnement à se battre contre un monde bâti de guingois ; l’autre face : la fatigue de se détruire pour sauver les dernières ruine d’un monde qui ne mérite en fait aucun sacrifice personnel. Il faut beaucoup d’autodérision pour reconnaître cette contradiction fondamentale et Max Frisch n’en manque pas. A cet égard, il nous rappelle encore une fois l’ironie d’Emil Cioran (cruelle et joyeuse) ou celle de Cesare Pavese (rageuse et désespérée). Tout combat semble perdu d’avance –et peut-être plus encore parce que ces b]Esquisses[/b] marquent l’entrée de l’écrivain dans la période de la vieillesse. L’absurdité vient se mêler à la révélation de la mascarade sociale ainsi que de l’ennui pour asséner une douche froide à la réalité. « Comment passer toute une soirée (THANKSGIVING) sans une discussion, sans même une tentative allant dans ce sens ? L’hôte, professeur de droit commercial, s’assoit au piano et joue, une fois la dinde consommée et le dessert savouré : des airs de comédies musicales que chacun connaît ici, et ceux qui ne sont pas trop vieux passent deux heures debout autour du piano à chanter à tue-tête. Il y a du vin, du whisky aussi, du feu dans la cheminée. A quoi bon une quelconque conservation ? Ce qu’il y a à dire entre humains a déjà été dit, le premier drink à la main. »Drôle d’idée donc, de découvrir l’œuvre d’un auteur par son dernier texte. Et pourtant, idée judicieuse, tombant à point nommé pour tous ceux désirant découvrir l’esprit véritable d’un homme –la fulgurance de la vision qui l’étreint lorsqu’il commence à sentir que son tour est bientôt venu de passer l’arme à gauche. Esquisses pour un troisième journal me semble être une excellente introduction à l’œuvre de Max Frisch dans le sens où, représentant l’évolution ultime du parcours d’un homme, elle donne l’impression de pouvoir mieux comprendre les étapes antérieures de son existence –que l’on ramènera symboliquement à chacun de ses autres textes. Là où je vois des ressemblances entre Emil Cioran et Max Frisch (dégoût des mots) : - Citation :
- « Un haut-le-cœur presque irrépressible devant la machine à écrire, tentatives d’écriture manuscrite, une fois aussi sur bande magnétique, mais rien n’y fait -
Faut-il que j’aie quelque chose à dire ? » Là où je vois des ressemblances entre Cesare Pavese et Max Frisch (démission) : - Citation :
- « Parmi les choses que j’aurais dû écrire, il y a ce dont j’ai fait cadeau dans un petit chapitre : une autobiographie financière. […] Ce serait beaucoup de travail. Ai-je simplement été trop paresseux ?
Dommage. » Mais aussi dans leur rapport à la solitude et leur manière de l'exprimer : - Max Frisch a écrit:
- « Je lave la vaisselle -
Est-ce que je suis dans la solitude ? Je sèche la vaisselle - Parfois j’aime bien être seul. » - Cesare Pavese a écrit:
- « De nouveau seul. Tu te fais un home d’un bureau, d’un ciné, de deux mâchoires serrées. »
- Spoiler:
Houellebecq, fidèle disciple ? - Citation :
- « Tu déjeuneras seul
D’un panini saumon Dans la rue Choiseul Et tu trouveras ça bon. »
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| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 9 Mai 2013 - 11:17 | |
| Le prochain : Homo faber ! Trop hâte de découvrir d'autres textes de cet auteur (vous m'avez appâtée). | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Jeu 9 Mai 2013 - 12:05 | |
| - colimasson a écrit:
- Le prochain : Homo faber ! Trop hâte de découvrir d'autres textes de cet auteur (vous m'avez appâtée).
je t'envie de le découvrir pour la première fois.. un de ces précieux livres que j'ai lu plus d'une fois.. j'espère qu'il va te plaire | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| | | | zazy Sage de la littérature
Messages : 2492 Inscription le : 19/03/2011 Age : 75 Localisation : bourgogne
| | | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Lun 27 Mai 2013 - 22:42 | |
| Je crois me souvenir que c'est Montauk qui était difficile à trouver (L'Homo Faber on le trouve à tous les coins de rue ou presque, en tous les cas en poche). Mais il est à la réserve centrale, si Frisch est l'auteur du mois, je le réserverai. zazy ? | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 10:31 | |
| J'ai bien envie d'explorer ce terrain en friche avec son Homo Faber. Je n'ai pas vu de commentaires réels sur Montauk à part qu'il est bien, difficile à trouver - Spoiler:
et pas pour Arabella
. Je suis preneur si quelqu'un veut bien se dévouer pour écrire un tout petit commentaire sur ce livre | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 15:52 | |
| je veux bien me dévouer même qu'il est difficile de redonner tous les aspects foisonnants de ce livre, texte assez court, mais avec tellement de choses à raconter... Frisch met bien "Erzählung" (récit) sur ce livre, mais on doit être conscient, il s'agit pour la plupart d'un texte autobiographique, et c'est un livre assez unique dans son oeuvre, cela ne ressemble à aucun autre de ses romans/textes fictifs... et certainement pas à ses écrits personnels comme son journal.. Il décrit dans Montauk le week-end qu'il passe là-bas (début des années 70), ce sont les derniers jours qu'il passe en Amérique avant de retourner en Europe, il a fait une tournée de promotion et va rentrer pour son anniversaire (63 ans)... il va être accompagné par une jeune femme (30 ans) et il va y avoir de l'amour, des réflexions sur l'âge, sur ses femmes du passé, l'approche pour raconter sa vie en tant qu'auteur, de la nature (impossible de ne pas tomber amoureux avec Montauk, en tout cas pour moi, tellement j'adore ce livre, tellement je voudrais un jour visiter ce petit patelin)... tiens, voilà une belle photo de la page allemande wikipedia pour ce livre: et pour ceux qui peuvent lire en allemand, voici le lien... il y a vraiment tant à dire sur ce livre je ne saurais pas dire si c'est une bonne 'entrée' dans son univers ou si c'est mieux de commencer avec d'autres livres, vue qu'il est assez à part... en tout cas, n'importe l'approche, je ne peux que souhaiter que tout lecteur passe un bon moment avec ce livre, c'en est vraiment un de ces rares livres qui font qu'on sait pourquoi lire est une telle passion... | |
| | | Maline Zen littéraire
Messages : 5239 Inscription le : 01/10/2009 Localisation : Entre la Spree et la Romandie
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 15:59 | |
| C'est très joliment et très bien dit, kenavo. Montauk peut évoquer tant de sentiments et provoquer de telles réflexions qu'à chaque relecture on a toujours l'impression de découvrir quelque chose de nouveau. | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 16:13 | |
| Merci Kena ! Le peu que tu laisses paraître est suffisamment évocateur pour avoir envie de se faire sa propre expérience de lecture .... Contrat rempli | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 17:59 | |
| - GrandGousierGuerin a écrit:
Je n'ai pas vu de commentaires réels sur Montauk à part qu'il est bien, difficile à trouver - Spoiler:
et pas pour Arabella Il est évident que c'est le genre d'accroche qui vise l'effet inverse de celui énoncé. Et donc qui provoque forcément l'envie de lecture. | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| | | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 19:55 | |
| Il y a plusieurs exemplaires dans les bibliothèques de Paris. Il faut juste que je réserve, et quelques jours après.... | |
| | | tom léo Sage de la littérature
Messages : 2698 Inscription le : 06/08/2008 Age : 61 Localisation : Bourgogne
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Sam 1 Juin 2013 - 21:32 | |
| Après des avis positifs sur Montauk, de mon coté un petit b-moll. Ma lecture date d'il y a longtemps, mais l'auteur me paraisait assez... nombriliste dans ce livre. Mais les ouvenirs peuvent tromper? Par contre beaucoup aimé le Homo Faber, et aussi l'adaptation au cinéma de Volker Schlöndorff et avec Sam Sheppard! | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Max Frisch [Suisse] Dim 2 Juin 2013 - 7:43 | |
| - tom léo a écrit:
- Après des avis positifs sur Montauk, de mon coté un petit b-moll. Ma lecture date d'il y a longtemps, mais l'auteur me paraisait assez... nombriliste dans ce livre.
tu n'étais pas censé être en route pour l'Espagne?? Mais oui, tu as raison de le mentionner, ce livre peut aussi donner cette impression en ce qui me concerne, j'étais tout d'abord touchée par sa volonté de se dévoiler, j'éprouve ses romans souvent très sobre, presque froid, en tout cas distancé... tandis qu'ici il ose ouvrir un peu la "boîte de Pandore" de son passé et c'est naturel qu'il va se trouver au centre de ses propres souvenirs... chez moi, cela a fonctionné pour m'intéresser plus au personnage qui se trouve derrière l'auteur | |
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