Sharunas Bartas

Merci Marko. Je sens que je ne résisterai pas.

Katerina Golubeva, compagne de Sharunas Bartas puis de Leos Carax, s'est suicidée en août 2011. "Peace to us in our dreams" m'est apparu comme une sorte de journal intime poétique ou de rêverie mentale du cinéaste se confrontant à ce deuil pour tenter une ouverture vers la vie. Il y a quelque chose d'à la fois solaire et limpide dans la présence de cette nature vibrante et magnétique mais aussi une sourde menace et une mélancolie tenace qui irriguent tout le film jusqu'à sa façon de sculpter les visages par l'ombre et la lumière (ce sont de vrais tableaux/paysages à contempler). Le plus émouvant étant la façon dont Sharunas Bartas observe avec émerveillement sa propre fille dont l'incroyable regard évoque si fortement sa mère disparue. Une façon de suggérer qu'elle survit peut-être à travers elle de la même façon qu'elle anime la nature environnante de sa présence à la fois animale et aérienne. En découle un récit élégiaque purement contemplatif dans un premier temps avec ses images somptueuses, son récit allusif et fragmentaire. Puis la seconde partie ouvre sur la parole et la quête impossible de sens, d'échange, de partage.







Irruption étonnante et presque logorrhéique du langage dans un cinéma habituellement contemplatif et mutique pour mieux en souligner l'insuffisance, la fragilité, l'impuissance à exprimer ou à comprendre nos émotions et leur signification. Ces échanges entre les différents personnages échouent à créer un véritable lien ou à les libérer de leur solitude fondamentale. Face à la violence d'un père (celui du jeune voisin), à la différence culturelle (d'une femme qui préfère les chants traditionnels lituaniens à la musique de Beethoven), à l'expérience du deuil... aucun mot ne peut véritablement éclairer ou libérer.



Même le discours du père (Sharunas Bartas), qui se veut le plus lucide et réaliste possible dans son désir de transmission et d'apaisement en direction de sa fille, ne peut parvenir à lever le trouble, la tristesse et la quête de sens qui se lit dans son regard. Et pourtant il y a une tendresse infinie dans ces mots et ces timides sourires si lumineux venant d'un homme si taiseux et austère de nature. Il veut lui montrer que le langage ne peut lui venir suffisamment en aide et que la vérité des choses échappe inévitablement, qu'on ne peut en avoir de compréhension que dans la limite étroite de notre nature si imparfaite. Qu'il n'y a aucune réponse à nos doutes et à notre désarroi. Mais peut-être que la nature et l'art, le cinéma en l'occurrence ici, la musique aussi, peuvent nous montrer une autre voie qui pourrait conduire à une ébauche de réconfort à défaut de compréhension. Et ce film finit par suggérer un début de chemin vers la vie malgré la douleur du deuil. Un chemin que traceraient les arts qui s'affranchissent du langage et de ses limites. Un acte de foi envers le cinéma probablement.

J'ai aussi une appréciation globalement positive de ce film, même si préfère quand Sharunas Bartas ne fait pas parler ses personnages, et surtout celui qu'il joue lui-même, et je ne suis pas vraiment convaincue par l'intrigue secondaire qui concerne les voisins. Mais quel façon de filmer, et traduire les émotions et sensations sur les visages.