Comment devient-on un écrivain aussi célèbre que Gide (qui ne connait pas le nom de Gide) sans avoir dans son escarcèle un 'chef d'oeuvre' (j'entends par là un livre aussi connu que Madame Bovary ou Un amour de Swann par exemple) ?
je me posais cette question et je me suis donc plongée dans la lecture de André Gide, le messager de Pierre Lepape (bio publiée en 1997).
Durant cette lecture, j'ai appris deux trois choses et je serai heureuse de vous les faire partager. Et surtout à quel point Gide était un homme de contraste.
On sait que Gide est l'écrivain de la sincérité, tel un Montaigne né en 1870, il écrit sa vie à travers un journal dans lequel il s'observe avec la précision obstinée d'un entomologiste. Mais comment être honnête et sincère quand on vit dans le milieu bourgeois d'une famille protestante et que l'on se sent différent ? Attiré par les garçons, Gide se tourne vers Dieu pour mettre une barrière entre son désir et sa réalisation. Et puis, à la mort de sa mère-rempart, il épousera sa cousine dont il espère un nouveau garde fou. La religion est la pierre angulaire de sa construction, le mur contre lequel il va se heurter jusqu'à le détruire.
Gide est l'homme des extrêmes, il n'aime rien tant que frotter sa pensée à celle de ceux qui ne pensent pas comme lui. Issu d'un milieu protestant, la plupart de ses amis sont de fervents catholiques (on peut citer entre autre Claudel, Francis Jammes ou Mauriac), se disant avant tout chrétien Gide renonce à choisir entre protestant et catholique, ce qui ne se fait pas dans la France de la fin du XIXème siècle.
Incompris, publiant à compte d'auteur et à coup de 300 exemplaires, ses premiers écrits, Gide reste un auteur confidentiel.
Proche de Maurice Barrès (fervent nationaliste, il est le fer de lance oublié d'une génération qui s'apprête à devoir à nouveau combattre l'Allemagne), Gide se range sous la bannière de Zola et signe la pétition en faveur de Dreyfus, ce qui va à l'encontre de sa position sociale.
Découvrant les plaisirs de la chair avec de jeunes arabes en Afrique du Nord, Gide emmène sa toute jeune épouse en voyage en Algérie d'où il reviendra avec Ahmed, jeune homme qu'il voudra éduquer à la mode antique des grecs. Celle dont on retrouve les échos dans Les Nourritures terrestres.
Préférant les hommes aux femmes et alors qu'il est toujours marié avec Madeleine (sans jamais que le mariage soit consommé), il décide d'avoir un enfant avec Elisabeth van Rysselberghe, la fille de sa meilleure amie (surnommée la petite dame, celle-ci laissera un journal sur Gide). Mieux que cela, préfigurant les tentatives de libération des moeurs futures, Gide achète le Vanneau un appartement dans lequel, Madeleine (son épouse) a sa chambre ainsi que Marc Allégret (son amant) et qui jouxte l'appartement dans lequel vivent Maria (la petite dame), Elisabeth et la fille de Gide. Moderne en diable...
En diable ? c'est parfois par ce nom que sera distingué Gide dans ses agissements à la NRF. C'est d'ailleurs, sans aucun doute, grâce à cette revue créée par ses soins, que Gide obtient une telle audience auprès de ses contemporains. Gide fait le lien entre l'ancienne école (celle de la poésie et de la fin de siècle) et celle des avants-gardes révolutionnaires (dada, surréalisme, naissance du roman contemporain...).
Après guerre justement, Gide prend tout le monde de vitesse en devenant communiste. Lui qui n'a jamais voulu appartenir à aucun parti, lui qui s'est toujours défié des dogmes, qui n'a jamais voulu plié sa pensée à un quelconque mot d'ordre, adhère au parti communiste et devient militant de la révolution socialiste. Lui le bourgeois, lui qui n'a jamais eu besoin de trvailler de sa vie, qui a passé son temps entre des voyages en Suisse, à Londres ou en Afrique, devient le défenseur des classes opprimées. Cela pourrait être drôle, si on ne sentait chez Gide la volonté de réaliser par le communisme le rêve son idéal religieux. Et donc son utopie.
Voilà, une partie de ce que j'ai retenu de cette biographie très classique, très bien écrite et qui ne tombe jamais dans la ferveur aveugle du disciple ou de l'idolâtre.