- pia a écrit:
C’est merveilleux, Emouvant et singulier.
L'Accordeur de silences (Titre original :
Jesusalèm. Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Dans le cadre de la chaîne de lecture du mois, j’avais souhaité que l’on m’emmène « ailleurs » et mon vœu a été exaucé par Pia. Carrément ! Elle m’a suggéré de lire
L’accordeur de silences de
Mia Couto.
Après avoir été envoûtée immédiatement dès les premières lignes, je fus transportée au Mozambique par ce conte, plus angoissant que merveilleux. Mais d’une attraction irrésistible et très poétiquement narré.
Le sentiment que j’en garderai est celui qui est désigné au Portugal par le nom de
saudade. Ce mot d’ailleurs revient plus d’une fois dans le récit. Tristesse, mélancolie, nostalgie…
Silvestre est un père veuf, rendu fou par la mort de sa femme Dordalma (« douleur d’âme »), elle s’est suicidée. Une «
incurable absence », et des «
démons dévorent son sommeil.»
Il emmène ses deux fils, pour les protéger et tout oublier du passé, loin de la ville, loin de tout, dans une région du pays abandonnée, une ancienne réserve de chasse «
dépouillée d’humanité, de routes et d’empreintes animales ». Là, «
la guerre a tout vidé ». C’est «
un lieu sans nom, sans géographie, sans histoire ».
«Il n’y a pas d’église en pierre, pas de croix. C’était dans mon silence que mon père érigeait sa cathédrale. C’était là qu’il attendait le retour de Dieu». Mais c’est de pied ferme que Silvestre attend Dieu car «
Jésus redescendra du ciel pour se faire pardonner de tout le mal qu'il a fait subir aux hommes » !
Ce trou perdu, il l’a baptisé Jésusalem. «
Cette terre-là où Jésus devrait se décrucifier. Et point final. »
Dans ce lieu de misère, Silvestre tient sous sa coupe les deux enfants par la tyrannie et la violence ; moins de violence toutefois en direction de Mwanito, le cadet, enfant du silence qui lui apporte la paix. L’aîné, Ntunzi, qui se souvient de la ville et de sa mère, est plus rebelle, donc sévèrement corrigé.
Il y a aussi un oncle, le frère de Dordalma, rebaptisé « Aproximado » par son beau-frère («A peu près»). Il habite une cabane en lisière de la réserve, il veille et, avec son camion, va mystérieusement chercher l’approvisionnement nécessaire.
Au service du groupe, un ancien militaire, Zacaria Kalash, le corps encore incroyablement criblé de balles.
«
Mon vieux, Silvestre Vitalício, nous avait expliqué que c’en était fini du monde et que nous étions les derniers survivants. Après l’horizon ne figuraient plus que des territoires sans vie qu’il appelait vaguement “l’Autre-Côté”. »
Au-delà de la zone où ils se sont retranchés le père prétend que plus rien n’existe, cette zone serait donc un peu l’Arche, mais sans la bonté de Noé, et sans les animaux présents, hormis une ânesse, Jezibela, à laquelle Silvestre apporte tous ses soins … Les femmes, pour lui, sont «
toutes des putes »( sauf Jezibela!
)…Et dans ce monde exclusivement masculin, l’ânesse lui sert de compagne pour ses «
divagations sexuelles»…
Au loin des hérons passent, on entend des fauves rugir. Le fleuve voisin est terrifiant mais parfois aussi, bienfaisant…
Mwanito a onze ans, c’est lui le narrateur, c’est lui
l’accordeur de silences. Il observe, il écoute et apprend en cachette, malgré l’interdiction de son père, à lire et à écrire. En lettres toutes minuscules, il écrit leur histoire sur des cartes à jouer qu'il enterre dans le sol. Il imagine sa mère qu’il n’a pas connue lui rendant visite.
«
Je suis né pour me taire. Le silence est mon unique vocation. C'est mon père qui m'a expliqué : j'ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences. J'écris bien silences au pluriel. Oui, car il n'est pas de silence unique. Et chaque silence est une musique à l'état de gestation. »
Un jour l’arrivée d’une femme va bouleverser la vie dans ce camp retranché dont il est impossible de s’enfuir. Elle s’appelle Marta et elle est portugaise. L’oncle Aproximado prétend qu’elle vient photographier les hérons mais ces images ne sont pas la seule quête de Marta… Elle est sur les traces de son mari, Marcelo …Il s’était battu par ici lors de la guerre, puis il y est ensuite revenu…pour une femme africaine ? Depuis il a disparu…
Ce roman, rempli de peurs, de désirs, de souffrance, de solitude et de mystère retient notre attention jusqu’au bout. Mwanito découvre peu à peu la vérité du monde autour de lui, et des hommes tels qu’ils sont.
C’est un superbe récit, original, où la folie, l’absence et l’imagination ont une grande part. On est dans le merveilleux qui effraie, le réalisme magique nous emporte jusqu’à nous couper le souffle à certains moments.
Merci Pia pour cette recommandation de lecture !