Jean Genet

Je vais bientôt assister à une représentation de la pièce de Genet intitulée "les nègres"
Je viens d'en finir une première lecture...
Quelqu'un pourrait il me parler de cette pièce?

Première impression: il me faudra y revenir de nombreuses fois afin de saisir les multiples significations de ce texte.
Pas facile mais fascinant.

C'est une pièce très intéressante, où l'on trouve, à un degré de complexité particulier, l'idée chère à Genet de "polarisation", où chacun (ici le noir et le blanc, ailleurs l'algérien et le français, etc.) se définit par contraste avec l'autre, en l'occurrence dans une représentation quasi rituelle censée reproduire un événement élevé au rang de "mythe fondateur" (de l'identité noire/nègre : un meurtre originel). Et toujours chez Genet le goût du grotesque, une déconstruction du théâtre réaliste, la désacralisation (mais la conservation !) des grands et beaux mythes occidentaux, le renversement de l'échelle des valeurs qui place en son sommet le criminel condamné à mort, etc.
Comme toujours, Genet, c'est perturbant. Je n'ai plus trop la pièce en tête, mais voilà en deux mots ce qui m'en revient.

Mettre en scène du Genet, ça ne doit pas être une mince affaire... Tu nous en diras des nouvelles, unmotbleu ?

Je n'y manquerais pas Sullien.
Merci pour tes éclaircissements.
C'est Wilson qui met en scène.

J'ai un peu "potassé" cet après midi et j'ai lu ce que Genêt lui même a écrit de sa pièce.
J'ai découvert que Raymond Rouleau lui a demandé d'écrire une pièce pour une troupe composée uniquement de noirs qu'il comptait mettre au point.
Il ne pose pas de question sur les motivations de ce dernier, il accepte la proposition mais il écrit:
"Oui, me dis-je, les noirs joueront. Mais ils organiseront un spectacle qui sera un camouflet pour les spectateurs."
et plus loin: "Cette pièce a été écrite non pour les Noirs mais contre les Blancs"
Précisons qu'elle a été éditée en 1958 et en 1960, Genêt en ayant fait plusieurs moutures.
J'ai trouvé fort intéressant ce qu'il donne comme son point de départ à l'inspiration:
"Le point de départ, le déclic me fut donné par une boîte à musique où les automates étaient quatre Nègres en livrée s'inclinant sur une petite princesse de porcelaine blanche.
Ce charmant bibelot est du XVIIIème siècle. A notre époque, sans ironie, en imaginerait on une réplique: quatre valets blancs saluant une princesse noire? Rien n'a changé."

Je crois me souvenir que Genet souhaitait voir sa pièce jouée par des blancs maquillés, non ?

J'ai cru comprendre qu'il a fait jouer à la troupe des Griots composée de comédiens noirs qui portaient des masques blancs.

J'ai dû confondre...

Je suis revenue de ma sortie au théâtre, époustouflée.
La mise en scène et l'esthétique de Bob Wilson m'ont convaincue totalement.
Le jeu des contrastes entre noir+blanc et couleur+lumière est une clef pour comprendre la pièce.
L'espace scénique est divisé en deux "étages".
En haut siège la cour des blancs interprétée par des noirs vêtus de noir et masqués de blanc. Le tribunal juge un meurtre commis (ou pas?) sur une femme blanche.
En bas se joue un simulacre de tragédie clownesque interprétée par des comédiens noirs habillés de lumière et de couleurs rutilantes et qui se comportent comme "on" attend qu'ils le fassent.
Les paradoxes, les simulacres et les faux semblants sont magnifiquement rendus et honorent le texte de Genêt.
Mise en scène délirante , drôle et dramatique à la fois.
La pièce nous rappelle à travers l'outrance et la caricature que le racisme n'est pas mort.

Merci pour ce commentaire 'à chaud' unmotbleu ! Cela donne terriblement envie de plonger dans l'univers de Genet (j'ai Notre-Dame des Fleurs en attente) et de revenir vers Bob Wilson (dont j'ai vu l'une des adaptations de Beckett, époustoufflante).. En espérant te revoir plus longuement prochainement !

Coucou Shanidar.

Je ne saurais te parler beaucoup de Jean Genêt dont je ne connais que 2 pièces:" Les bonnes" et "les nègres".
Je pense continuer à le découvrir car je suis fascinée par cet auteur étrange.
Merci pour ton intervention.
A bientôt.

unmotbleu a écrit:

Coucou Shanidar.

Je ne saurais te parler beaucoup de Jean Genêt dont je ne connais que 2 pièces:" Les bonnes" et "les nègres".
Je pense continuer à le découvrir car je suis fascinée par cet auteur étrange.
Merci pour ton intervention.
A bientôt.

Je te conseille ses Paravents. Pour moi, le chef-d'oeuvre théâtral de l'auteur... Pour moi !

Vous pouvez jeter un oeil du côté du Funambule, c'est mon texte de Genet préféré.

coline a écrit:

.Le funambule [/b].

En 1955, Jean Genet rencontre un jeune acrobate Abdallah Bentaga. Il va vivre avec lui une belle et tragique  histoire d’amour.

Il écrit alors beaucoup pour le théâtre (Le Balcon, Les Nègres, Les Paravents...)
Puis Trois essais majeurs : L’Atelier d’Alberto Giacometti, Le Secret de Rembrandt et Le Funambule.

Le funambule est écrit pour Abdallah, c’est un long poème d’amour qui parle du cirque, du théâtre, de la danse, de l’artiste dans le monde, de la solitude,  de l’acteur, entre l'ombre et la  lumière, l'apparence et la réalité.

"Le funambule" s’est suicidé en 1964 ; il avait 28 ans.
Jean Genet se sentira à jamais responsable et inconsolable  .

Le chorégraphe Angelin Preljocaj dit et danse le texte de Jean Genet.

(voir page 1 de ce fil commentaires et citations)

"Paravents" et "Funambule". Je prends note.
Merci Shanidar et Coline.

Un éloge du cirque...

Citation :

Le public – qui te permet d’exister, sans lui tu n’aurais jamais cette solitude dont je t’ai parlé – le public est la bête que finalement tu viens poignarder. Ta perfection avec ton audace vont, pour le temps que tu apparais, l’anéantir.

Impolitesse du public : durant tes plus périlleux mouvements, il fermera les yeux. Il ferme les yeux quand pour l’éblouir tu frôles la mort.

Cela m’amène à dire qu’il faut aimer le cirque et mépriser le monde. Une énorme bête, remontée des époques diluviennes, se pose pesamment sur les villes : on entre, et le monstre était plein de merveilles mécaniques et cruelles : des écuyères, des augustes, des lions et leur dompteur, un prestidigitateur, un jongleur, des trapézistes allemands, un cheval qui parle et qui compte, et toi.

Vous êtes les résidus d’un âge fabuleux. Vous revenez de très loin. Vos ancêtres mangeaient du verre pilé, du feu, ils charmaient des serpents, des colombes, ils jonglaient avec des œufs, ils faisaient converser un concile de chevaux.

Vous n’êtes pas prêts pour notre monde et sa logique. Il vous faut donc accepter cette misère : vivre la nuit de l’illusion de vos tours mortels. Le jour vous restez craintifs à la porte du cirque – n’osant entrer dans notre vie – trop fermement retenus par les pouvoirs du cirque qui sont les pouvoirs de la mort. Ne quittez jamais ce ventre énorme de toile.

Dehors, c’est le bruit discordant, c’est le désordre ; dedans, c’est la certitude généalogique qui vient des millénaires, la sécurité de se savoir lié dans une sorte d’usine où se forgent les jeux précis qui servent l’exposition solennelle de vous-mêmes, qui préparent la Fête. Vous ne vivez que pour la Fête. Non pour celle que s’accordent en payant les pères et les mères de famille. Je parle de votre illustration pour quelques minutes. Obscurément, dans les flancs du monstre, vous avez compris que chacun de nous doit tendre à cela : tâcher d’apparaître à soi-même dans son apothéose. C’est en toi-même enfin que durant quelques minutes le spectacle te change. Ton bref tombeau nous illumine. A la fois tu y es enfermé et ton image ne cesse de s’en échapper. La merveille serait que vous ayez le pouvoir de vous fixer là, à la fois sur la piste et au ciel, sous forme de constellation. Ce privilège est réservé à peu de héros.

Genet, Le funambule