Miracle ! Je lis enfin cet auteur délectable !
Les deux du balcon (1985)
Dideret et D’Alambot sont sur un balcon. Que font-ils ? Rien. Ils observent le monde depuis leur trône balconesque et discutent, même si leurs conversations prennent souvent la tournure de crêpages de chignons scientifiques. En effet, comme nous pourrons le lire dans le chapitre « Dieu est hémiplégique » (ceci n’est pas une hérésie mais une vérité qui ne devrait même pas vexer ledit Dieu), sur l’échelle de l’évolution, la dissymétrie s’accentue ; en conséquent, ce Dideret et ce D’Alambot ne partagent absolument pas les mêmes aptitudes à la réflexion. Prenez d’Alambot : il suffit que son compère ouvre la bouche pour qu’il s’étonne :
- Ça y est… voilà que j’ai le melon qui bourgeonne…
- DEJA ?!
- Quoi, déjà ? Rien de plus normal. Ca va être la saison des amours, voilà tout…
- ENCORE ?!
- Quoi, encore ? Vous savez bien que tous les ans il y a un temps pour l’amour…
- TOUJOURS ?!
- Quoi, toujours ? Evidemment, l’amour toujours !! Mais qu’y connaissez-vous, à l’amour ?
- L’amour ? Euh ? Oui oui ! Si ! Si ! Je connais ! J’ai déjà lu des trucs là-dessus ! C’est pas ce truc qu’on fait avec des femmes ?
Heureusement, Dideret est un professeur patient et nous, lecteurs, sommes bien contents que Francis Masse nous ait placé cet idiot de d’Alambot pour exprimer nos propres questionnements. Parce qu’enfin bon, nous aussi nous avons du mal à comprendre pourquoi la course échevelée d’un rhino dans les rues métaphysiques qui sous-plombent le balcon des deux est annonciateur d’el Niño, ni pourquoi, en vieillissant, Mickey rajeunit. On aime d’autant plus ce Dideret qu’il nous donne l’impression d’être intelligent malgré notre air à ne rien y comprendre. C’est qu’il n’est pas comme ces professeurs gâteux qui se croient obligés de s’abaisser au niveau de leur élève pour leur faire comprendre les vérités les plus basiques. Pour expliquer à d’Alambot pourquoi ce sont deux tomates pourries qui s’échappent de son stand alors que sa cliente-girafe n’avait choisi de n’en acheter qu’une seule, il n’hésitera pas à invoquer la théorie de la non-séparabilité et de la corrélation spontanée de la physique quantique, excédant le seul stade des affaires commerciales pour taper en plein dans les amours quantiques de d’Alambot.
Parfois, l’expérimentation devient nécessaire. Dideret et d’Alembot ne décollent pas de leur balcon pour autant… Celui-ci se transforme en tapis volant bétonné et parcourt l’univers aux alentours du zéro absolu… Mers de cuillères touilleuses et océans superglaciaux en vue ! Francis Masse nous en met plein la vue ! Ses dessins sont fouillés et ne laissent aucun millimètre carré au hasard. Les couleurs dessinent des paysages surréalistes que ne renieraient pas un Dali (on pense souvent aux « Montres molles ») ou un Giorgio de Chirico (pour sa « Piazzia d’Italia »).
Nonsense et surréalisme : les
Deux du balcon sont complètement anachroniques et nous renvoient à l’époque de la Grèce Antique, lorsque les philosophes transmettaient encore leur savoir en pleine rue. Le discours s’est depuis lors enrichi des découvertes scientifiques récentes que divulgue Dideret avec une constance qu’aucune provocation de d’Alembot ne vient faire fléchir a priori. Pourtant, en quelques cases, bien que le discours soit resté cohérent en apparence, on se surprend à nager en plein délire. Bienvenue à l’école de la ‘Pataphysique !
Même si ces professeurs n’ont pas l’air franchement folichons, à stagner sur leur balcon, il serait dommage de se détourner d’eux pour si peu. D’une part, il est toujours possible de devenir plus mobile que peu mobile, et même si Dideret et d’Alambot usent peu leurs muscles pour retenir notre attention, le temps s’égrène avec eux à une allure folle. D’autre part –il ne faut pas l’oublier- on peut rapidement devenir « plus con que con » car il s’agit là « du seul domaine où l’on peut transgresser indéfiniment les lois fondamentales de la physique ». C’est à ce moment-là qu’interviennent Dideret et d’Alambot, qui nous préservent de ce sort funeste que pourraient bien connaître les destinées de tous ceux qui ne sont jamais passés sous leur balcon pour les écouter…
Au programme dans cet album :
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El Niño et le rhino -
Le ronfleur paradoxal (d’après les travaux de Jouvet) : « Dans son livre Le Paradoxe du sommeil, Jouvet propose la théorie spéculative selon laquelle la fonction du rêve serait une reprogrammation neurologique itérative pour préserver chez l'individu l'hérédité psychologique à la base de sa personnalité. Ses hypothèses concernant la fonction du rêve invalident, selon lui, celles de Freud ; elles sont en revanche similaires aux théories jungiennes sur la fonction des rêves » Wiki
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L’amour à deux temps, l’amour à quatre temps (d’après les travaux de Liebowitz sur la chimie de l’amour)
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Les locataires de la terre en loques (d’après la théorie de Huchon-Le Pichon)
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Le ouahouah de son papa (d’après l’expérience de U. Lüttge sur l’alimentation des plantes carnivores)
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Le miquépithèque (d’après K. Lorenz et Stephen Jay Gould) Un hommage biologique à Mickey Mouse : ICI
- Citation :
- Entre le Mickey du début des années 30 et le Mickey actuel, la taille de l’œil a augmenté régulièrement et est passée de 25 à 42% de la longueur de la tête. La longueur de la tête de 42,7 à 48% de la longueur du corps, et la distance nez-oreille antérieure de 71,7 à 95,6% de la distance nez-oreille postérieure. […] La tête a grossi par rapport au corps, les yeux par rapport à la tête, le front s’est bombé et agrandi par le transfert des oreilles vers l’arrière, le nez s’est retroussé, les jambes et les bras ont rétréci et se sont potelés… tous ces signes sont des caractéristiques juvéniles. Mickey en vieillissant a rajeuni !
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Quanticos contre classicos (d’après les expériences d’Alain Aspect) : test sur le paradoxe EPR d’intrication quantique.
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Le zéro arrosé (d’après les confidences de Jack Frost) : personnage folklorique symbole de l’hiver Wiki
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Dieu est hémiplégique (d’après les cohérences aventureuses de Roger Caillois)
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Les attracteurs étranges et l’effet papillon (d’après la théorie des attracteurs étranges de David Ruelle et F. Takens) Montre le caractère chaotique de la météorologie Wiki
Un autre enthousiaste avec la préface de Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien, Professeur émérite de l’université de Nice – Sophia Antipolis :
- Citation :
- Tout jeune déjà, j’étais fasciné par les illustrations de livres scientifiques du siècle dernier dénichés sur les rayons de la bibliothèque municipale. Dans ces gravures sombres où des messieurs en jaquette et chapeau manipulaient des appareils compliqués, las science apparaissait à la fois sérieuse et dérisoire –et je n’ai guère cessé depuis de vivre ce dilemme. Cette impression, je l’ai retrouvée d’emblée chez Masse. Ses bonshommes qui pérorent avec assurance sur les grands thèmes de la science contemporaine sont absurdes, les idées qu’ils agitent n’en sont pas moins fascinantes.