Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Bo Carpelan [Finlande]

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eXPie
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MessageSujet: Bo Carpelan [Finlande]   Bo Carpelan [Finlande] EmptySam 19 Mar 2011 - 21:00

Bo CARPELAN
(Helsinki, 25/10/1926 - Esbo, 11/02/2011)
Bo Carpelan [Finlande] Carpel10
(photo de Teemu Rajala, 2008)


Finlandais, Bo Carpelan écrivait en suédois, qui est la langue maternelle de plus de 5 % des Finlandais (et de près de 93% des habitants de l'archipel d'Åland).
Il était surtout poète, mais il était également romancier (Axel, 1986, par exemple, parle de son grand-père, qui fut intime de Jean Sibelius), dramaturge, critique littéraire, traducteur...
Il a obtenu deux fois le Prix de Littérature de l’État finlandais, ce qui n'était jamais arrivé : pour un livre de poésies (Dans les pièces obscures, dans les claires, 1977) et pour un roman (Berg, 2005).

En 2007, il a reçu le Prix Européen de Littérature pour l'ensemble de son oeuvre.

"Durant la crise des années 30, la famille vit dans la gêne. Puis vient la guerre, qui frappe durement la Finlande. Tous ces souvenirs imprimeront profondément leur marque dans l’oeuvre à venir." (source : http://www.prixeuropeendelitterature.eu/html/ficheauteur.asp?id=2 ), notamment en 1969 dans son livre La Cour.
Il fait des études de littérature, de psychologie, d'histoire... et travaille dans une banque, dans une librairie, puis à la bibliothèque municipale d'Helsinki, jusqu'en 1980.


Dernière édition par eXPie le Sam 19 Mar 2011 - 21:25, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Bo Carpelan [Finlande]   Bo Carpelan [Finlande] EmptySam 19 Mar 2011 - 21:00

La Cour (Gården, 1969). Traduit du suédois par Pierre Grouix en 2000. Atelier La Feugraie. 89 pages.
"Au dire même de l'auteur, le cycle narratif La Cour (1969) éclaire le passé personnel, diversifie les registres de la voix. [...] L'enfance y est tout, brièveté labile séparant la naissance de la fin de l'innocence qu'est la montée de la folie mondiale, Bergman dirait « l'oeuf de serpent ». Une conférence de 1979 [...] en cerne l'atmosphère : « Les gens et les hommes deviennent aussi des sortes de chambres. Dans La Cour, les chambres sont habitées par des gens pauvres, défaits, muets. Ce que j'ai essayé de faire sentir, c'est le monde des années trente avec leurs petits jardins ouvriers, leurs baux à court terme, leurs puits, leurs bidons de lait, leurs trottinettes, leurs buanderies, leurs récepteurs TSF à cristaux, tout cela dans l'ombre grandissante d'une catastrophe à venir." (pages 8-9)

Ce cycle narratif commence ainsi :
Citation :
"La nappe marron pendait au bord de la table.
Je m'asseyais là invisible dans l'odeur de choux et de chaleur.

Le ciel était pendu à des crochets rouillés, les femmes de la cour de plus en plus petites.
Elles étaient les seules fleurs qu'avait l'été,
Portaient des seaux dans l'arrière-cour désoleillée.
[...]

Dans le puits de la cour, une eau à la clarté de source." (page 11)

Chaque page comporte un petit texte poétique, plus ou moins long, un fragment de l'enfance.
Par exemple, la page 13 :
Citation :
"Il avait coutume de dire : une largeur de main de silence en plus.
Il levait alors sa main pour qu'on l'inspecte. Elle avait navigué au large.
Je voyais qu'elle avait servi de voile
Et que le silence régnait sur la mer."

Histoire de voisins, parfois, comme à la page 23 :
Citation :
"Mère n'avait parlé d'elle qu'à de rares occasions.
Il y avait si peu à dire.
Elle vivait seule depuis que son mari et leur fils unique
s'étaient noyés une nuit de juillet non loin de Högholmen.
Elle nous saluait en silence ; en silence nous la saluions.
A Noël, elle était la seule à accrocher une couronne d'airelles à sa porte.
Le troisième dimanche de janvier elle y pendait encore
mais d'elle, aucune trace.
Mère eut un sombre pressentiment.
Ils la trouvèrent mais on ne me laissa pas regarder.
Tout, dit Père à Mère, était à sa place et propret,
comme si elle avait attendu une visite. "

Le plus souvent, le texte est court, parfois une description, on pense aux petits textes japonais :
Citation :
"Dans l'obscur de novembre, l'eau n'est plus de l'eau,
elle bouge froide et inerte comme une huile noire saupoudrée de débris de lumière.
L'été n'aura plus jamais lieu." (page 35).

Il y a de bien jolies phrases, comme, page 65 :
Citation :
"Si vous mettez une personne dans l'obscurité, vous la forcez à inventer les couleurs".

Citation :
"Le brouillard du crépuscule ceignait les arbres du parc.
Sur la plage entre les bateaux silencieux, les vieillards
se taisaient, même eux, l'un après l'autre.
On se sentait en sécurité, comme lorsque l'espoir a fui". (page 73)


Un vraiment très beau texte, parfois - et c'est un élément de sa beauté - énigmatique, tout comme le genre de ce livre, inclassable.

Finissons en musique, avec Winter was hard,mis en musique par le Finlandais Aulis Sallinen. Il s'agit en fait d'un fragment de La Cour :
Citation :
"Il n'y avait pas grand-chose à donner aux canards.
Mère retournait la boîte à pain la tête en bas. Les canards cancanaient et semblaient mécontents.
L'eau était noire et gelait vite fait.
L'hiver était dur, et même l'argent gelait à la banque.
Le samedi soir ne pouvait se fêter qu'un samedi sur deux." (page 43)

On peut écouter cette pièce, interprétée par Le Kronos Quartet :
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MessageSujet: Re: Bo Carpelan [Finlande]   Bo Carpelan [Finlande] EmptySam 25 Juin 2011 - 11:21

73 poèmes (73 dikter ; 1966). Traduit du suédois par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini en 1984. Obsidiane. 94 pages.
Une citation de Pasternak se trouve en début du recueil :
"L'énigme au-delà de la tombe peut-elle être résolue - je ne le sais pas.
La vie, comme le silence de l'automne est - précision".

Ce recueil a été écrit avant La Cour.
A cette époque, Bo Carpelan cherchait "une formule encore plus concentrée, encore plus dénudée, quitte à malmener parfois la syntaxe ou à laisser inopinément des mots en suspens, leur suite «logique» apparaissant en quelque sorte superflue. Dans cette voie, concrète et laconique, les 73 poèmes (1966) marquent un aboutissement", écrit Carl Gustaf Bjurström dans sa très intéressante postface, page 90).

Les poèmes sont donc souvent lapidaires, et rappellent fréquemment les haïku (il y a souvent une notation de saison).
Par exemple, le deuxième poème :

La montagne ;
la fleur qui fait
éclater la montagne
Berget;
blomman
sprängande berget

Parfois, le poème se rapproche d'une définition (poème 27) :
La mer,
sa mesure humaine :
la noyade.
Havet,
en mänsklig dimension:
drunknandets.
Ou encore (poème 41) :
L'arbre,
lumière
ramifiée
Trädet,
det förgrenade
ljuset

Evidemment, tous les poèmes ne sont pas aussi courts ; continuons donc avec les arbres (poème 43) :
Arbres en hiver,
fragiles, leur paix
vue sans voir
j'étais jeune.
Vinterträd,
sköra, deras stillhet
såg jag, såg ej
som ung.

Les arbres, et le temps qui passe (poème 44) :
Des corneilles
dans les arbres.
Ta vie t'appelle
d'une voie rauque
et ricanante.
Kråkor
i träden.
Ditt liv ropar,
hånfukllt,
med trasig röst.

La vie qui fuit, un des thèmes qui reviennent (poème 64) :
Comment la chambre
s'obscurcit-elle aussi vite,
le chemin est-il si court
où si longtemps je suis allé
voyant en moi mon père,
c'est ainsi qu'il était assis
et les jours s'enfoncent
bientôt disparus.
Hur mörknar rummet så fort,
är vägen så kort jag gick så länge
och såg min far i mig, så satt han
och dagarna sjunker, är borta.
(on notera que la traduction est sur 8 lignes, le texte originale sur 4 lignes).

Parfois, c'est mystérieux (poème 36) :
Avant que le matin n'ouvre les rives
les vagues s'arrêtent un instant
tout près de moi
Je me réveille :
elles roulent de nouveau
comme si j'avais rêvé
Innan morgonen öppnar stränderna
stannar ett ögonblick
vågorna tätt invid mig
Jag vaknar:
de strömma åter
som hade jag drömt

Il y a souvent une menace sourde, diffuse. Lisons ce poème-constatation (poème 49) :
Dans le noir
la lumière
fait peur
Skräck
för ljuset
i mörkret

Et finissons par l'avant-dernier poème du recueil (poème 72) :
Neige bleue,
le jour
s'éteint
Bläsnön,
dagens
skymning

Un très beau recueil.
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MessageSujet: Re: Bo Carpelan [Finlande]   Bo Carpelan [Finlande] EmptySam 25 Juin 2011 - 12:28

(Oh eXPie nous fait de jolis cadres)
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MessageSujet: Re: Bo Carpelan [Finlande]   Bo Carpelan [Finlande] EmptyDim 9 Oct 2011 - 22:01

Dans les pièces obscures, dans les claires (I de mörka rummen, i de ljusa ; 1976). Traduit du suédois par Pierre Grouix. Préface de Judith Chavanne.Atelier La Feugraie. 91 pages.
Prix de Littérature de l’État finlandais.

Deux extraits de la préface de Judith Chavanne :
Citation :
"La lecture de Dans les Pièces obscures, dans les claires, ce recueil de la maturité de Bo Carpelan, est elle aussi une traversée. Le lecteur découvre et mûrit une expérience - l'expérience humaine - à la faveur d'une écriture décantée. [...]
Car, où vivons-nous ? Aussi bien, où sommes-nous ? Sinon dans ces paysages, ces pièces ou ces autres chambres du souvenir et du rêve ? [...] Le temps se constitue d'une succession d'espaces et l'image qu'on s'en forme est elle-même spatiale.
« Tu es un enfant, tu vois
ta vie d'adulte
à travers les jumelles des années enfuies :
là sont les rues, la pièce
que tu abandonnas,
tout est inébranlable comme pierre,

pierre qui scintille » " (pages 7-8 )

Citation :
"Quelle que soit l'âpreté des destins évoqués par plusieurs poèmes qui rappellent l'univers et la tonalité de La Cour, ce présent recueil semble être une invite à s'alléger ; comme la vie pourtant, il est grave, mais toujours avec élégance et discrétion, sans solennité : il suffit de la profondeur de l'expérience et de la maturité de la méditation. [...]
Le poème est lui-même une élévation, prendrait-il racine en la mort ; [...] incidemment, en effet, au sein d'un paysage, le poète comprend que notre vie s'illumine et croît depuis la mort ; c'est la leçon, l'apaisement aussi que l'on reçoit de ces pages :
« Une chose d'importance monte de la terre
Puisqu'elle recèle des morts en si grand nombre.
Elle est si belle, la prairie, sa beauté si légère.
Une chose d'importance parmi les racines éclaire la cime. » " (pages 8-9)
Comparé à La Cour ou à 73 poèmes, dans ce recueil on voit la nature de façon plus calme, apaisée (en apparence seulement, peut-être, le "se sent observé" est-il menaçant ?) :

Citation :
"Une voile blanche luit à travers le soir, le coup de rame
effleure à peine l'eau, chaude comme ta peau.
Le nageur se repose sur la berge, les étoiles
se bercent près de lui.

Quelqu'un parle s'interrompt brusquement,
se sent observé, sort sur la véranda,
à la main une lampe à huile.

De la rive opposée viennent des voix, un accordéon
dans la douceur nocturne d'août.
Elle, la femme enceinte, erre lentement au long du sentier,
S'arrête et voit les couronnes denses des arbres
étreindre le ciel." (page 86).

Voici le poème où l'on retrouve le titre :

Citation :
"Te percevoir
est comme franchir un seuil
séparant une pièce obscure d'une claire,
l'obscurité mouillée et légère
comme des habits sur les mains.

Te toucher
est comme croître à travers la terre,
quasi emplie de courants et de parfums
le long de nos côtes,
où nous reposons
le temps d'une vie passée dans les pièces obscures,
dans les claires.

Les jours
passent, réclament plus de liberté,
plus de silence -
Nous vivons comme la graine,
cachée,
qui déploie en elle
sa couronne vers le ciel." (page 48)
Dans son texte Bilan poétique intermédiaire, Bo Carpelan écrit : "Il n'est pas possible d'obtenir de bonnes images bien nettes sans lumière, et sans chambre noire. Dans les chambres noires et les chambres claires se déroule notre vie qui change comme change la lumière. L'important, c'est que le photographe de l'âme et du paysage connaisse son métier."

Un dernier poème :

Citation :
"La lune brille
faible, inclinée.
Tu l'apportes
en moi,
puis l'éteins.
Tu es fraîche,
Entièrement fraîche
Et tu as le goût de sel." (page 82).


Un beau recueil, parfois moins immédiatement compréhensible (mais dont le sens s'éclaire généralement à la relecture, et puis la poésie n'est-elle pas faite pour être relue ?), plus contemplatif (la nature est plus présente) et un peu plus apaisé.
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MessageSujet: Re: Bo Carpelan [Finlande]   Bo Carpelan [Finlande] EmptyVen 12 Déc 2014 - 16:05

BO CARPELAN est  l' un des plus grands poètes du 20e siècle.

En France, ses poèmes n' ont été traduits que par quelques éditeurs. Comme Arfuyen, Greges,
L' Atelier de la Feugeraie, Galaade, R. de Surtis.

Grand coup de chapeau au traducteur Pierrre Grouix.



Restée seule, elle fit ses adieux au temps,
briqua lentement sa chambre qui donnait
sur un soleil d’arrière-cour puis s’étendit
lentement sur le lit. Le soleil entra par la fenêtre
et chauffa les pignons de son lit, ses pieds.
On aurait dit qu’elle avançait les yeux clos et savait
pourtant où menait le chemin et qui devait l’accueillir.

*

Au cours d’une vie, le silence peut être si vaste
qu’il franchit les frontières de la vie,
la menace, creuse comme une vrille
dans l’application au travail, sans mots.
Le silence simple entre ceux
qui se connaissent depuis longtemps
est suivi d’un autre silence, qu’on ne saurait
exprimer, qui rend purement et simplement
fou, égaré.

Extraits de Dehors, Ed Arfuyrn. Traduction de Pierre Grouix
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