BRAVE NEW WORLD (Le Meilleur des Mondes) _1931Ce qui me sidère à propos de B.N.W., c’est sa date d’écriture : 1931.
Le Meilleur des mondes est une anti-utopie. Ses conditions sont les suivantes :
- Un seul Etat mondial gouverne le monde. Il est issu d’une guerre de neuf ans. La nouvelle ère s’appelle « Notre Ford » (référence au Fordisme et à l’industrialisation de masse). L’histoire de ce qui s’est passé avant n’est pas important, est considéré comme archaïque.
- Les êtres humains sont créés artificiellement en laboratoire, à la chaîne comme des produits. Les femmes ne tombent plus enceintes. Le sexe n’a plus qu’une fonction distractive.
- La société est séparée en castes : les Alpha (dirigeants), Beta, Delta puis les Epsilon (ouvriers). La caste à laquelle appartient l’individu est déterminée technologiquement avant sa naissance.
- La technique utilisée est de soumettre l’embryon à des conditions anormales.
- Personne ne remet en cause son appartenance à sa caste ; les Epsilon sont heureux de réaliser des tâches manuelles. Il n’y a donc pas de lutte des classes.
- On observe un conditionnement qui se poursuit après la naissance : les bébés sont conditionnés pour aimer consommer et détester les activités individuelles (comme penser ou lire). Voici les étapes :
1. Les bébés sont posés à terre dans une pièce à un bout. À l’autre bout de la pièce se trouvent des livres,
2. Les bébés se dirigent vers les livres et les prennent par curiosité,
3. Une décharge électrique leur est envoyée à ce moment-là,
4. Les bébés sont replacés face aux livres pour vérifier que la peur est bien ancrée, gravée : ils ne s’approchent plus des livres.
- L’art, la science (la recherche), la religion et la famille ne sont pas de mise. Seule l’économie continue de fonctionner, équilibrée par le conditionnement à la consommation.
- Une drogue (nommée le « Soma ») est distribuée gratuitement par le gouvernement mondial pour soulager les possibles problèmes de dépression et les mauvais souvenirs. (Et à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai bien l’impression que la cigarette électronique remplit ce rôle.)
- En marge, à l’écart, existent des individus qui vivent autrement, dans une « Réserve » : considérés comme sauvages, venant au monde naturellement.
* * *
· Au niveau du déterminisme social et biologique, on observe que la question de savoir si les choses sont innées et / ou acquises ne les embarrasse plus, ils ont réglé le problème comme suit : le conditionnement s’effectue aussi bien avant qu’après la naissance des individus.
· Ce que tout totalitarisme n’a su imposer durablement, cette expérience théorique romancée montre un schéma qui assoit durablement un modèle de hiérarchie ; hiérarchie qui se présente comme solide puisque non contestée.
· Du point de vue social, cette société est analogue à celle d’une fourmilière : fonctionnant avec des castes immuables (guerrières, ouvrières, etc.) déterminées par une mère pondeuse.
· Cette peinture de la société est un cauchemar pour toute société mettant en avant l’égalité et la liberté des individus. Plus l’égalité entre individus sera prônée, plus cette fiction sera considérée comme une anti-utopie. Plus l’on va considérer comme bénéfique le nivellement des individus, moins cette fiction sera considérée comme une anti-utopie.
· Dans une société où les individus sont très différents les uns des autres, toute tentative d’unifier, de structurer de façon durable est perçue comme totalitaire. Constat amer : plus nous voudrons atteindre à l’utopie, plus nous tendrons vers l’anti-utopie.
Brave New World est une Anti-utopie (et non une dystopie) :
- G. Klein a écrit:
- « D'abord, distinguons entre dystopie et anti-utopie. Une anti-utopie est la dénonciation d'une prétention utopique, ainsi dans le Nous Autres d'Eugène Zamiatine, Le Meilleur des Mondes précisément d'Huxley, le 1984 de Georges Orwell et le trop méconnu Limbo de Bernard Wolfe qui renouvelle entièrement cette problématique.
Une dystopie est un avenir qui a mal tourné: ainsi dans le Tous à Zanzibar de John Brunner et plus généralement dans tous ses romans prospectifs. […]
De quelle utopie Huxley prend-t-il le contre-pied? Là, les choses se compliquent un peu car Huxley mêle dans la même intention Marx et Ford, le communisme et le fordisme, c'est à dire le bonheur des masses par l'électricité, l'industrialisation et la rationalisation forcenée de la société. En fait, il s'en prend à une utopie scientiste partagée par les deux courants apparemment opposés. Ne pas oublier que le terme "ingénieurs des âmes" a été forgé sous Staline et repris d'une manière ou d'une autre par B.F. Skinner, inventeur d'une autre utopie, Walden two. qui est tellement effrayante qu'elle pourrait passer pour une anti-utopie. On en trouve un écho dans Orange mécanique, le livre et le film »
Source : _Gérard Klein – Forum Internet Le Cafard Cosmique.
On ne peut pas séparer l’œuvre de son contexte ; c’est la raison pour laquelle, même si un jour ce monde devient une réalité, Brave New World ne pourra pas être considéré comme une dystopie, mais comme une anti-utopie, parce qu’écrit en réaction à une utopie.
(Il est capital de lire l’essai du même auteur Brave New World Revisited (Retour au meilleur des mondes) qui explique les tenants et aboutissants de sa vision. Intéressante à lire aussi sa conférence de 1962 à Berkeley.
ÎLE _1662Le miroir inversé de Brave New World est
Île, société utopique, ayant réglé nombre de scories qui entrave les sociétés humaines.
Sur l’Île de Pala, Dieu est remplacé par l’Hypnotisme, le Panthéisme et l’Amour Libre (page 94).
Cette société s’imprègne des avantages des systèmes de valeur occidentaux et orientaux.
Elle écarte les inconvénients suivants :
- Surconsommation
- Absence de contrôle des naissances
- Absence d’effort physique
- Croyance (mais pas foi)
- Libéralisme (pas de port, donc commerce réduit)
- Les 3 piliers de la prospérité occidentale : l’armement, l’endettement universel et la routine « Si la guerre, le gaspillage et les prêteurs étaient abolis, vous vous écrouleriez. » page 238.
- Les dictateurs
Voici les les éléments pour palier aux mauvaises dérives :
- La famille éclatée : les enfants appartiennent à une vingtaine de foyers familiaux (C.A.M. : Club d’Adoption Mutuelle), et peuvent quitter chaque foyer quand bon lui semble pour un autre,
- Inculquer de ne pas accorder trop d’importance aux mots, afin de ne pas favoriser les discours manipulateurs des dictateurs,
- Exercices physiques (bûcherons),
- Tantrisme,
- Repérer les potentiels dictateurs, et appliquer des solutions biochimiques,
- Insémination artificielle (pour limiter les risques ; avec des gènes de personnes en bonne santé), c’est-à-dire eugénique,
- Utilisation du conditionnement de Pavlov, non pour des buts stupides (consommation futile) mais afin de sensibiliser l’être à la nature,
- Enseignement d’une conscience écologique, d’une relation à la nature et mise en relation avec cette nature.