Julien Gracq

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J'attire votre attention sur cet ouvrage consacré à Julien Gracq.
Un document facile à lire, riche et passionnant.

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« Orfèvre d’une langue dont les mots nous caressent comme l’archet, un violon. » (Jack Ralite)

Didier Sandre lit en cet instant "Un beau ténébreux" sur France Culture!...
Merci monilet

Le rivage des Syrtes


Cette citation de Breton représente une partie de ce que Gracq a voulu faire comprendre dans Le rivage des Syrtes:

« Au-delà de ce qui arrive ou n'arrive pas, l'attente est magnifique. »



Une phrase prise dans le roman me semble en dire toute l’atmosphère :


"Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger."


A la suite d’un chagrin d’amour, Aldo, un jeune aristocrate de la principauté imaginaire d’Orsenna demande une affectation lointaine. Il se retrouve dans la province côtière des Syrtes. Sa mission va consister à surveiller le rivage. De l’autre côté de la mer se trouve le Farghestan avec lequel Orsenna est en guerre froide depuis trois siècles.


« Sa vie de garnison se déroule lentement, dans une atmosphère pesante, entre de longues promenades et d'interminables soirées dans la ville voisine, villégiature à la mode ».



Que faire sinon passer ses journées à rêver ou à monter à cheval ? A regarder le rivage…L’ennui se fait sentir et Aldo est bien seul, malgré la présence proche de sa charmante maîtresse, la princesse Vanessa Aldobrandi, en son palais voisin de Maremma.

Au cours d'une sortie en mer, Aldo va s'approcher trop près des côtes du Farghestan…



Je me suis demandée si l’on avait encore aujourd’hui le temps de lire des romans comme celui-là où tout n’est qu’attente…

J’ai pensé « lecture élitiste » tout de même…Le meilleur de la littérature…Chef d’œuvre…

Comme je peux être assez contemplative, amoureuse des mots , j’ai réellement savouré ce texte précieux.

J’en ai rêvé les paysages, j’ai cédé à la poésie et au mystère de leur évocation.

J’ai admiré cette langue merveilleuse, presque trop merveilleuse pour pouvoir l’apprécier sur de longues minutes de lecture en continu …J’ai dû faire des pauses…Beaucoup…Je me les suis imposées pour ne rien manquer…Comme on se fatiguerait à voir trop de chefs d’oeuvre en une seule fois dans un musée…à absorber trop de mets délicieux en un seul repas…

Le rivage des Syrtes

"Ce que j’ai cherché à faire, entre autres choses, dans Le Rivage cles Syrtes, plutôt qu’à raconter une histoire intemporelle, c’est à libérer par distillation un élément volatil "l’esprit-de-l’Histoire", au sens où on parle d’esprit-devin, et à le raffiner suffisamment pour qu’il pût s’enflammer au contact de l’imagination. Il y a dans l’Histoire un sortilège embusqué, un élément qui, quoique mêlé à une masse considérable d’excipient inerte, a la vertu de griser. […] Quand l’Histoire bande ses ressorts, comme elle fit, pratiquement sans un moment de répit, de 1929 à 1939, elle dispose sur l’ouïe intérieure de la même agressivité monitrice qu’a sur l’oreille, au bord de la mer, la marée montante dont je distingue si bien la nuit à Sion, du fond de mon lit, et en l’absence de toute notion d’heure, la rumeur spécifique d’alarme, pareille au léger bourdonnement de la fièvre qui s’installe. L’anglais dit qu’elle est alors on the move. C’est cette remise en route de l’Histoire, aussi imperceptible, aussi saisissante dans ses commencements que le premier tressaillement d’une coque qui glisse à la mer, qui m’occupait l’esprit quand j’ai projeté le livre. J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’ il est par une longue torpeur imperçue."

(Julien Gracq)

Le rivage des Syrtes est le troisième roman de Julien Gracq, le plus célèbre.
Primé au Goncourt en 1951, Julien Gracq refusera le prix, souhaitant se tenir à l'écart des milieux littéraires.
Il avait déjà dénoncé, dans son pamphlet La littérature à l’estomac (1949), les compromissions commerciales du monde littéraire de cette époque.
Il fera ensuite le choix de s’abstenir de toute intervention directe sur la scène littéraire.
Ce troisième roman, Le rivage des Syrtes, deviendra un des classiques les plus analysés.

En parallèle de Mrs Dalloway, je lis Le déjeuner des bords de Loire, de Philippe le Guillou,qui raconte l'une de ses rencontres avec Julien Gracq , en 2002. Il l'a rencontré 3 fois,je crois.
Le style est magnifique,très agréable à lire, et le récit est très émouvant...
Un très, très joli livre.

Il faut vraiment que je lise ce Rivage des Syrtes dont on parle avec révérence, ce qui me permettra de dire si Julien Gracq rentre ou non dans mon panthéon personnel. Je n'ai lu que Le Château d'Argol, il y a bien longtemps....avec, je dois le dire, une impression de grande pesanteur lorsque je consulte mes notes de l'époque. Je n'avais donc plus tenté l'expérience 'Julien Gracq', mais comme j'ai l'impression confuse de passer à côté de quelque chose....

coline a écrit:

tout n’est qu’attente...

J’ai admiré cette langue merveilleuse, presque trop merveilleuse pour pouvoir l’apprécier sur de longues minutes de lecture en continu …J’ai dû faire des pauses…Beaucoup…Je me les suis imposées pour ne rien manquer…Comme on se fatiguerait à voir trop de chefs d’oeuvre en une seule fois dans un musée…à absorber trop de mets délicieux en un seul repas…

Est-ce que la "pesanteur" dont tu parles Domreader pouvait être de cet ordre-là?...Est-ce que cette partie de mon commentaire du Rivage des Syrtes pouvait s'appliquer aussi au Château d'Argol?

La littérature à l'estomac

J'ai reçu hier ce pamphlet que j'avais commandé. Ecrit en 1950, je le trouve d'une actualité incroyable.

Passage:

"Chaque nouveau (écrivain) a l'air de sortir d'une forcerie: il se dope, il se travaille, il se fouaille les côtes: il veut être à la hauteur de ce qu'on attend de lui, à la hauteur de son époque. Le critique, lui, n'en veut pas démordre: coûte que coûte il découvrira, c'est sa mission- ce n'est pas une époque comme les autres- chaque semaine, il lui faut quelque chose à jeter dans l'arène à son de trompe: un philosophe tahitien, un graffiti de bagnard -Rimbaud redivivus; on dirait parfois, au milieu de notre fiesta rituelle et colorée qu'est devenue notre "vie littéraire", un trompette affolé qui sonnerait tout par peur d'en passer: la sortie du taureau de course et celle du cheval du picador. aussi voit-on trop souvent en effet la "sortie" d'un écrivain nouveau nous donner le spectacle pénible d'une rosse efflanquée essayant de soulever lugubrement sa croupe au milieu d'une pétarade théâtrale de fouets de cirque -rien à faire; un tour de piste suffit, il sent l'écurie comme pas un, il court maintenant à sa mangeoire; il n'est plus bon qu'à radioter, à fourrer dans un jury littéraire où à son tour il couvera l'an prochain quelque nouveau "poulain" aux jambes molles et aux dents longues."

Je ne sais plus Coline, cela fait trop longtemps que je l'ai lu, et mes notes étaient plutôt succintes. Peut-être aussi, que le moment pour lire cet auteur n'était pas favorable.
De toutes les façons je m'étais promis de lire Le Rivage des Syrtes d'autant plus qu'un collègue venait lui aussi de m'en parler, ton post m'a confirmé qu'il fallait que je le fasse avec des yeux neufs. Alors, dès que je mets la main dessus...A plus.

Au fait de qui est ce pamphlet ? Intéressante cette analyse du monde littéraire.

domreader a écrit:

Au fait de qui est ce pamphlet ? Intéressante cette analyse du monde littéraire.

De Gracq, justement

Fantaisie héroïque a écrit:

domreader a écrit:

Au fait de qui est ce pamphlet ? Intéressante cette analyse du monde littéraire.

De Gracq, justement

Autre extrait:

"Chaque écrivain, chaque livre un peu voyant, par sa seule apparition remet en route un perpétuel référendum. Les autres, dans le fouillis de ce qui s'imprime, cherchent à tâtons une nourriture faite à leur estomac; le public français sait, lui, que sa destination de naissance est d'élire des Présidents de la République des Lettres. De là cette cuisine parlementaire, ces jalousies, ces intrigues de sérail, ces manoeuvres de couloirs, ces débauches de clientèle, ces débinages journalistiques, ces scrutins à double fond, plus machiavéliques que ceux de la République Sérénissime, ce cursus honorum plein de pièges et de détours, qui rendent la vie littéraire française si bassement excitante. Car l'écrivain français se donne à lui-même l'impression d'exister bien moins dans la mesure où on le lit que dans la mesure "où on en parle". Il faut sans cesse relancer la presse prompte à s'endormir (et moins la critique encore que les échos, qui sont la récompense suprême) il faut tenir les langues en haleine. Un anxieux, un essoufflé "Je suis là!...j'y suis - j'y suis toujours!" est parfois ce qui s'exprime de plus pathétique, pour l'oeil imprévenu, au travers des pages de tel romancier en renom, auxquelles on se prend distraitement à souhaiter tout à coup que la poussière soit légère: ce n'est rien toutefois, ou du moins ce n'est pas forcément qu'il n'ait plus rien à nous dire; mais c'est son livre annuel: il s'agit à nouveau de donner le branle, d'empêcher qu'il y ait prescription[...] rien n'égale pour lui la sensation qu'il est une de ces "valeurs pilotes" dont les hauts et les bas enfièvrent le marché - et à cette sensation exigeante- et ruineuse - d'être porté à la crête de la vague, on connait des carrières qui ont tout sacrifié."

(rappel: ce pamphlet de Julien Gracq, La Littérature à l'estomac, fut écrit en 1950)

J'ai enfin fait connaissance avec ce fameux château d'Argol .
L'écriture de Gracq est réellement magnifique, elle fait souvent penser à Proust, notamment grâce aux phrases tortueuses, lentes, époustouflantes .
Ainsi donc, Albert a acheté la propriété d'Argol, un très grand château (totalement lugubre, à vrai dire) entouré par une nature plutôt hostile (là, on est vraiment dans le cadre romantique le plus classique, d'ailleurs je comprends mieux l'article du magazine littéraire lié à ce livre).
Les descriptions du paysage sont sompteuses, je ne résiste pas au plaisir d'en retranscrire une :

Merveilleuse était la forêt sous sont étincellement d'argent, dans son immobile et dormante douceur. La rivière semblait briller toute proche sous le réseau lumineux de ses brumes. Oui, calme était Argol sous ses astres, au fond des réseaux de sa brume, et tout fermé sur lui-même dans les espaces nageants de son air translucide et enchanté.

Tout au long du roman, on ressent une atmosphère pesante, on sent quel quelque chose va se produire, que tout cela ne peut finir que tragiquement. Albert va en effet recevoir deux "amis" chez lui, Herminien et Heide, une jeune fille. Mais visiblement, une relation plutôt trouble unie Albert à Herminien...et l'on n'en saura pas davantage à la fin du roman.
J'ai beaucoup aimé la façon dont l'adolescence était perçue dans ce livre, une période finalement assez obscure, où tout est permis (la scène de la baignade est, à ce sujet, sublime) et où l'être humain a le plus le droit d'être en contradiction avec lui-même.

On ressort de la lecture en ayant limpression d'avoir traversé un rêve, car tout dans ce livre n'est pas clairement compréhensible, il y a beaucoup de zones d'ombre et de silences. Et j'aime :), le charme opère formidablement bien.

Mon prochain Gracq sera sans doute Le rivage des Syrtes, étant donné tout le bien qu'en a dit coline

Fantaisie héroïque a écrit:

Mon prochain Gracq sera sans doute Le rivage des Syrtes, étant donné tout le bien qu'en a dit coline

Mon prochain Gracq sera sans doute Au château d'Argol, étant donné tout le bien qu'en dit Fantaisie Héroïque!

Je vais très certainement finir aujourd'hui le Rivage des Syrtes, et ma première envie et d'aller dans une librairie pour acheter le reste de ces livres.

Le style est vraiment superbe, on se laisse bercer par cette histoire ambigu d'empire déchu, déclinant.
La prose est magnifique, je m'y perdrais des heures.

J'avais tardé à trouver ce roman, ça faisait presque 2ans que je faisais le tour de mes librairies pour le trouver, et il a fallut qu'une charmante libraire m'indique un étage pour que je le trouve. Aux vues de la lecture qui en a suivit et des événements, je recommence mille fois.