La Submersion du Japon (Nihon Chinbotsu, 1973, 254 pages, Editions Philippe Picquier, traduit Edition "adaptée et traduite" - quoi que cela veuille dire - par M. et Mme Shibata Masumi).
Disons-le tout de suite : il ne s'agit pas ici de grande littérature.
Le style est globalement très moyen ; certaines tournures sont un peu bizarres, mais il s'agit sans doute d'un problème de traduction (exemples : "Impossible de prendre le grand escalier ! Le plafond est écroulé. Une partie est ruinée !" (page 129) ; "Les habitants de Tokyo bouillaient littéralement chaque jour par cette chaleur qui dépassait 35°." (page 84). Bouillir littéralement, ça veut dire bouillir... vraiment. C'est donc parfaitement idiot en la circonstance).
Souvent, l'auteur en fait un peu trop :
- Citation :
- "Yamamoto resta bouche close un moment. Tous gardaient le silence, entièrement absorbés par la description animée de ce pêcheur pourtant lent à s'exprimer." (page 34).
... et comme toujours dans ce type de roman ou de film, on trouve des scientifiques géniaux, bien sûr regardés avec méfiance par leurs pairs :
- Citation :
- "[...] il habite près de chez moi. Je l'aime beaucoup. Il est franc, génial... Autrefois il y avait des scientifiques de cette qualité, mais aujourd'hui ils ont disparu. Les scientifiques ne sont plus que des salariés ou des fonctionnaires." (page 76).
Et, comme de juste, ce scientifique a raison là où les autres ont tort... Il voit les signes avant-coureurs de la catastrophe annoncée.
Le point fort de Komatsu Sayko n'est pas la subtilité : les personnages ne "sonnent" pas toujours très juste (le journaliste Tatsuno est franchement cliché), et certaines conversations sont vraiment artificielles. Cela rappelle les discussions à haut niveau dans les films japonais des années 60 où scientifiques et hommes politiques discutent du meilleur moyen d'empêcher les extraterrestres d'asseoir leur domination sur la Terre ou bien d'exterminer d'horribles champignons carnivores...
A plusieurs reprises, l'auteur insiste sur les cheveux de nos héros qui blanchissent, preuve indiscutable du travail extraordinaire qu'ils font :
- Citation :
- "Il y a une semaine, il semblait encore très jeune. A présent, il avait une tête de cancéreux". (page 188).
Le roman, dans sa première partie, n'est que moyennement passionnant.
Le lecteur sait très bien ce qu'il en est, le titre du roman est suffisamment explicite : le Japon est condamné à couler (c'est le titre en anglais : "Japan sinks") par un violent mouvement techtonique encore jamais observé. C'est une sorte de Chronique d'une mort annoncée, mais contrairement au roman de Gabriel Garcia Marquez, qui parvenait à garder du mystère quasiment jusqu'au bout, ici il n'y en a pas, et ce n'était pas le but. C'est un peu comme lire un roman qui traiterait de la conquête de la Lune par l'homme : on sait qu'il y arrive.
Par contre, là où l'auteur est bien meilleur, c'est quand la catastrophe arrive. Il ne lésine pas sur la quantité de victimes, le déchaînement des éléments ; il ne fait pas dans le super héros qui sauve sa chérie, et la fin, particulièrement sinistre, ressort bien.
Et c'est justement la fin qui est la meilleure, comme les dernières pages du Moby Dick de Melville - toutes proportions gardées, évidemment.
Entre-temps, Komatsu Sakyo a posé quelques questions intéressantes.
Que faire si le Japon était menacé de disparition ? Quel serait alors l'avenir du peuple Japonais ? "Vivre éparpillés dans le monde entier" (page 107) ? Ou tenter de se regrouper, mais où ? Quel pays voudrait accueillir tout ou partie des 130 millions d'habitants ? Ou bien les Japonais préféreraient-ils encore couler dignement avec le navire pour rester sur la terre des ancêtres ?
Et, plus que toutes ces questions heureusement (pour le moment du moins) théoriques, qu'est-ce qui définit un Japonais (mais on pourrait poser la même question pour un Français) ?
- Citation :
- "En dehors de cet archipel et de sa nature, de ces montagnes, de ces rivières, de ces forêts, de ces herbes... les Japonais n'existent pas. Ils sont unis à eux. Ils ne font qu'un seul corps avec tout cela. Si cette nature délicate et les îles sont détruites et disparaissent, les Japonais n'existent plus." (page 246).
Il ne s'agit donc pas d'un chef-d'oeuvre de la littérature, mais d'un livre pour se faire peur. Au passage, il permet de se poser des questions, qui peuvent changer notre manière de voir les choses : comment réagirait-on si pareille tragédie nous arrivait ? Nos voisins nous accueilleraient-ils, ou bien se contenteraient-il de compassion... de loin ?
La Submersion du Japon est un peu en littérature ce que
The Day after Tomorrow de Rolland Emmerich est au cinéma, mais en un peu mieux, quand même.
Le livre a été notamment adapté au cinéma en 2006, sous le titre Nihon chinbotsu (réalisation de Higuchi Shinji).
Il semble que, dans la foulée du tremblement de terre/tsunami du 11 mars 2011, ce film devrait sortir directement en DVD chez nous. On pourrait s'en dispenser, il n'est franchement pas terrible, et la fin est très mauvaise. Mieux vaut lire le livre.
L'affiche du film (c'est la version coréenne, je crois), quand même, pour donner envie :