Mikhaïl Cholokhov

Mikhaïl Cholokhov (1905-1984)

Né à Kroujiline près de Viochenskaïa, dans la région du Don. Il arrête très tôt sa scolarité à cause de la guerre civile, qu’il fait dans l’Armée Rouge. En 1922 il arrive à Moscou où il exerce divers petits métiers, tout en commençant à écrire et à publier dans des revues dès 1923, puis publie deux recueils de nouvelles, Les récits du Don et La steppe azurée, qui ont pour cadre sa région d’origine, dans laquelle il revient se réinstaller définitivement. En 1927 Cholokhov fait parvenir le premier tome du Don paisible à la revue Oktiabre, des coupures sont demandées, mais finalement l’œuvre peut être publiée en l’état en 1928. Les autres tomes suivront, le dernier et huitième sera publié en 1940. Cet ouvrage vaudra à Cholokhov le prix Nobel en 1964, malgré une polémique ; un certain nombre de voix s’élevant pour remettre en cause l’attribution de l’ouvrage, tout au moins les premières parties à Cholokhov. Arguments et contre-arguments se succèdent et le débat n’est toujours pas tranché à l’heure actuelle. En 1932 Cholokhov entre au parti communiste, mais malgré cela écrit une lettre de protestation à Staline en 1933 concernant les collectivisations forcées et les millions de morts qu’elles ont provoquées. En 1937, il proteste contre les arrestations massives qui ont lieu dans sa région, ce qui provoque l’ouverture d’une enquête par le NKVD, arrêtée par l’intervention de Staline. Suite à cela Cholakhov va devenir l’aparatchik modèle, membre du Soviet suprême, glorifiant le communisme et attaquant « L’occident pourri et impérialiste », approuvant l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Cette ligne communiste dure est un des éléments qui ont fait douter qu’il puisse être l’auteur du Don paisible. L’autre est la médiocrité de la suite de sa production, en particulier de son deuxième grand cycle romanesque, Terres défrichées

Le Don paisible

Immense œuvre épique, Le Don paisible est une grande fresque romanesque, consacrée aux Cosaques du Don entre 1912 et 1922. Nous les voyons vivre avant le déclanchement de la première guerre mondiale, dans leurs stanitsa traditionnelles, et aussi durant le service militaire qui pesait particulièrement sur ces paysans-guerriers. Puis, nous vivons avec eux la première guerre mondiale, dans les tranchées comme à l’arrière. Enfin l’arrivée de la Révolution d’Octobre, et les divisions qu’elle entraîne dans le pays cosaque, la guerre civile et ses déchirements, et enfin le triomphe du communisme. Au centre du récit se trouve Grigori Mélékhov, jeune Cosaque, qui vit une folle passion avec la femme du voisin de la famille, Aksinia, puis qui doit partir pour son premier service militaire, juste avant le début de la guerre. Puis qui oscille entre les deux camps, les Blancs et les Rouges, en voyant les défauts de chacun, et en essayant de lutter pour préserver les Cosaques et leur mode de vie traditionnel, ce qui se révèle impossible en fin de compte. Autour, une riche galerie de personnages, vivant leurs destins dans ces temps troublés, qui balaient sur leur passage les vies ou qui leur donnent une direction complètement différente.

Il est très difficile de résumer ce très long livre, complexe et ambigu. Le plus passionnant à mon avis est la description de la vie traditionnelle des Cosaques, vie dure, surtout pour les femmes, mais en même temps riche de traditions. Et cette culture en tant que telle va disparaître avec la Révolution, elle vit sans le savoir ses derniers moments et jette ses derniers feux. L’auteur sait la dépeindre dans toute se richesse, sans embellir ni dissimuler les aspects moins glorieux.

Les descriptions des absurdités et horreurs de la guerre, aussi bien que de la guerre civile sont aussi très fortes et denses. Et la situation des Cosaques, entre le marteau et l’enclume, entre les Blancs qui les méprisent et les Rouges qui ne les aiment pas et qui de toute façon veulent balayer les anciennes façons de vivre est admirablement rendue.

L'auteur dépeint aussi bien les aspects terribles du régime tsariste, l'injustice sociale, la misère, les répressions, les abus, que les horreurs présentes ou à venir du régime communiste. Même si à certains moments il donne plus raison aux Rouges qu'aux Blancs, cela ne l'empêche pas de montrer les excès, qui vont mener à la grande famine, aux déportations, aux assassinats en masse. Le statut du livre officiel qu'avait Le don paisible, paraît donc étonnant, mais d'après ce que j'ai lu Staline aimait beaucoup le livre, et cela permettait à peu près tout.

Un livre passionnant, même si j’y ai trouvé quelques longueurs, en particulier dans les scènes de stratégie militaire, qui parlent en général peu à mon imagination. Mais suivre le destin de tous ces personnages, dans un monde dans lequel la distinction entre le bien et le mal devient de plus en plus difficile à faire, a été un grand moment de lecture.

J'ai vu sur amazone 1400 pages. C'est bien ça? Ca me fait quand même un peu peur...

topocl a écrit:

J'ai vu sur amazone 1400 pages. C'est bien ça? Ca me fait quand même un peu peur...

Les 1400 pages y sont, avec les postfaces. Il vaut mieux avoir du temps pour cette lecture, que j'ai programmé pendant les vacances. Mais l'écriture (pas mal de dialogues) et l'aspect romanesque font que cela se lit très vite, on peut, si on a le temps avaler plusieurs centaines de pages par jour sans lassitude.

Merci beaucoup pour ces impressions, Arabella! Cela aide aussi à ne pas tomber déjà rapidemment dans des préjugés (oeuvre "conforme" etc). Jusqu'à maintenant j'avais un peu vite classé cette oeuvre selon le ouie-dire. Tu relatives et tu montres que le livre est quand même plus complexe, ambigu que ça.

Merci!

Moi aussi je craignais un livre trop marqué par l'idéologie et la propagande, et bien il n'en est rien, même s'il y a quelques personnages rouges qui ont des aspects positifs, alors que les Blancs ne le sont jamais vraiment, la machine communiste elle, est décrite sans complaisance. C'est pour cela que ce livre ait pu être non seulement un livre officiel, mais même tout simplement un livre autorisé paraît stupéfiant. Et c'est sans doute aussi pour cette raison que des gens comme Soljenitsyne ont contesté avec virulence que ce soit l'officiel du régime qu'est devenu Cholokhov qui l'ait écrit.

ça me donne bien envie de le lire Arabella, je vais me le prendre à la médiathèque

Le Don paisible fut une des lectures majeures de mes jeunes année Ce roman m'avait fortement impressionné et est resté gravé dans ma mémoire. Merci, Arabella, d'avoir su si bien en parler et en restituer la substantielle moelle.

Theo a écrit:

ça me donne bien envie de le lire Arabella, je vais me le prendre à la médiathèque

J'espère que tu ne sera pas déçue.

Maline a écrit:

Le Don paisible fut une des lectures majeures de mes jeunes année Ce roman m'avait fortement impressionné et est resté gravé dans ma mémoire.

Heureuse de voir qu'un autre Parfumé a lu et apprécié ce livre, qui semble un peu oublié maintenant, ce que je trouve dommage.

Le Don Paisible, je l'ai lu il y a vingt ans, je crois... Ca reste un très, très bon souvenir, un pavé passionnant et fascinant... Les gens pris dans le tourbillon de l'Histoire, les déchirements au sein d'une famille...
C'est tellement plus intéressant que Le docteur Jivago, pour rester dans les pavés russes...

eXPie a écrit:

C'est tellement plus intéressant que Le docteur Jivago, pour rester dans les pavés russes...

Nous sommes d'accord.

Un autre roman pendant la même époque, dans une région proche (Ukraine) est La garde blanche de Boulgakov, également passionnant, même si dans un esprit très différent.

Arabella a écrit:

Un autre roman pendant la même époque, dans une région proche (Ukraine) est La garde blanche de Boulgakov, également passionnant, même si dans un esprit très différent.

Oui, c'est vrai ! C'est un des rares livres de Boulgakov qui avait eu le droit d'être publié en URSS, alors que, dedans, il y a des "gentils blancs". Ca pouvait paraître étrange, mais Staline percevait le livre différemment, dans le sens que même quand des "blancs" sont les héros, ils finissent par être vaincus par les Rouges. La morale : rien ne peut arrêter les Rouges.

C'est avec des logiques un peu tordues comme celle-ci que certains livres pas spécialement pro-soviétiques ont pu être publiés...

Là aussi, j'ai lu que Staline aimait La garde blanche, et donc que ce ne soit pas idéologiquement correct devenait accessoire. Un livre peut finalement être interprété de différentes façons.

Ce qui terrible de constate c'est que ce type avait plutôt bon goût en littérature.

Arabella a écrit:

Là aussi, j'ai lu que Staline aimait La garde blanche, et donc que ce ne soit pas idéologiquement correct devenait accessoire. Un livre peut finalement être interprété de différentes façons.

Ce qui terrible de constate c'est que ce type avait plutôt bon goût en littérature.

on sait maintenant qu'il lisait beaucoup de poésie et qu'il pensait que c'était parce que les poètes étaient subversifs qu'il fallait précisément les enfermer ou les instrumenter pour la postérité (Robert Littell a écrit l'Hirondelle avant l'orage sur le sujet)

Theo a écrit:

Arabella a écrit:

Là aussi, j'ai lu que Staline aimait La garde blanche, et donc que ce ne soit pas idéologiquement correct devenait accessoire. Un livre peut finalement être interprété de différentes façons.

Ce qui terrible de constate c'est que ce type avait plutôt bon goût en littérature.

on sait maintenant qu'il lisait beaucoup de poésie et qu'il pensait que c'était parce que les poètes étaient subversifs qu'il fallait précisément les enfermer ou les instrumenter pour la postérité (Robert Littell a écrit l'Hirondelle avant l'orage sur le sujet)

Hé hé, ça me rappelle Mao qui se regardait des films occidentaux (ces films auraient eu une influence néfaste sur le peuple, trop faible); ou encore, dans une certaines mesure, la collection de disques d'Hitler, dont certains interprètes étaient juifs...