Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 George Steiner [Philosophie]

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colimasson
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MessageSujet: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyDim 2 Oct 2011 - 16:38

Les nombreux essais de George Steiner justifient à mon avis sa place dans cette partie du forum consacrée à la littérature non romanesque, bien que son oeuvre comprenne un (et un seul) roman : Le transport d'A.H. (mais on le considèrera comme une exception, pas vrai ?)

George Steiner (1929)

George Steiner [Philosophie] 11834_10

Portrait à lire en intégralité sur Evene :

Citation :
Eternel émigré, collectionneur de passeports, issu de l'Europe perdue de Büchner, de Goethe et de Freud, tombé précocement dans le mythe de Babel, George Steiner est un amateur de paradoxes et doué d'un sens aigu de la mise en scène. Devant ses élèves, il offre le spectacle jubilatoire de l'homme tout à la joie de s'adonner à la "tristesse de pensée" et, dans la solitude, traque le paradoxe qui a conduit une civilisation cultivée à sombrer dans la barbarie. De 'Langage et silence' au 'Sens du sens' en passant par 'Grammaires de la création', cet orateur né se fait tour à tour philosophe, essayiste, romancier, métaphysicien, critique, journaliste, voire musicologue. Dans son dernier essai, il suggère ses regrets d'avoir été plus un intellectuel qu'un citoyen, et sa crainte de voir disparaître l'érudition avec lui.

Citation :
Dans un souci de transmission touchant au sacerdoce, Steiner veut que l'étudiant sente qu'il est un peu fou, qu'il est possédé par ce qu'il enseigne. C'est ce moment miraculeux où le dialogue commence à s'établir avec une passion que Steiner désigne comme l'éveil d'un talent : la maïeutique dans toute sa splendeur.

Citation :
Comme si le Livre lui avait prédit qu'il serait l'ultime secours au coeur de ce siècle témoin d'une débauche de bestialité, des camps de la mort et des champs de tuerie, du recours systématique à la torture et aux prises d'otages par des régimes politiques, Steiner apprend par coeur Homère et Shakespeare, et sait dès lors que même en éternel exil ou au fond d'un cachot il ne sera jamais seul.
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyDim 2 Oct 2011 - 16:44

Et si j'ai créé ce fil sur Steiner, c'est pour vous parler de cet essai dans lequel j'ai trouvé de nombreuses réflexions intéressantes...

Dans le château de Barbe-Bleue, Notes pour une redéfinition de la culture (1986)

George Steiner [Philosophie] Couv_r10 George Steiner [Philosophie] Couv_v10

Cet essai de George Steiner, publié en 1986, part d’une interrogation intéressante : comment peut-on expliquer le déchaînement des atrocités et des crimes vécus au siècle dernier alors même que la Culture, censée promouvoir des idées d’esthétique, de grandeur et de progrès, était plus accessible que jamais ? Ou, comme se demande Steiner : comment est-il possible que Buchenwald ne soit situé qu’à quelques kilomètres de Weimar ?

A partir de cette interrogation, Steiner nous fait profiter d’une réflexion très intéressante sur les idéaux qui ont façonné la Culture depuis le 18e siècle, afin de nous aider à comprendre son évolution et afin d’élucider les raisons mystérieuses qui l’ont empêché de se faire le remède, entre autres, des deux grandes guerres mondiales.
Si la Culture n’a pas réussi à nous préserver de ces maux, peut-on légitimement se demander si elle n’est pas, au contraire, à l’initiative des atrocités commises au cours du 20e siècle ? Existe-t-il des choses que les hommes ne sont pas encore prêts à savoir ? La métaphore du château de Barbe Bleue est très bien choisie… Nous ouvrons les portes de la connaissance, les unes après les autres, sans nous demander s’il est bon ou non de les ouvrir, assoiffés que nous sommes d’en apprendre sans cesse davantage, et nous précipitant déjà pour ouvrir la porte suivante sitôt que nous en avons franchi une.
D’un point de vue personnel, cette idée me plaît beaucoup. On peut me taxer de réactionnisme, mais l’emballement des connaissances scientifiques me semble être à l’encontre d’un progrès scientifique raisonnable, qui avance par paliers, qui s’assure que chaque étape est digne d’être validée avant de passer à la suivante. La profusion et l’abondance des œuvres artistiques est aussi un phénomène que je juge négatif, non pas qu’il me fasse peur, ou que je trouve regrettable que la culture soit ainsi offerte à tous, mais parce qu’à force de saturation, il pousse au dégoût de la Culture.

Dans la première partie de son livre, Steiner décrit une période de grand ennui qui, selon lui, aurait modelé une Culture de l’impatience, du désœuvrement, marquée par une envie de retrouver la violence et l’impétuosité des grandes guerres napoléoniennes. « Plutôt la barbarie que l’ennui », comme le disait notre bon vieux Théophile Gautier. Et là où les bons sentiments semblent pâles et ternes, les esprits s’échauffent à l’idée d’un lendemain plus tumultueux.


« Après Napoléon, que restait-il à faire ? Comment des poitrines promises à l’atmosphère grisante de la révolution et de l’épopée impériale auraient-elles pu respirer sous le ciel plombé de l’ordre bourgeois ? Comment un jeune homme pouvait-il à la fois écouter les récits que son père lui faisait de la Terreur et d’Austerlitz et descendre à cheval le boulevard paisible conduisant à son bureau ? Le passé plantait ses dents aigües dans la pulpe grisâtre du présent ; il provoquait, il semait des rêves insensés. »


De là, Steiner explique la sorte de « dégénérescence » qu’aurait connue la Culture, se faisant la porte-parole d’idéaux plus sombres et meurtriers que ceux des périodes précédentes. Vison un peu manichéenne sans doute, mais je ne me hasarderai pas à tenter de faire une comparaison minutieuse des œuvres parues au cours de ces deux périodes mises en opposition.
Et Steiner de regretter ces vers de Carducci :


Salut, ô genre humain accablé !
Tout passe et rien ne meurt.
Nous avons trop souffert et trop haï. Aimez :
Le monde est beau et l’avenir est saint.



Plus loin, dans une deuxième partie de son livre, Steiner s’interroge sur le rôle des humanités. Quel avenir pour les cultures dites « classiques » dans un monde qui a perdu ses repères et qui se voit chamboulé par l’arrivée de contre-cultures qui ne se définissent que par leur opposition à ce classicisme ? L’effondrement d’un socle de connaissances de bases semble, pour Steiner, avoir accéléré la chute de l’humanité dans un monde plus instable. La culture des humanités a perdu de la vitesse devant l’émergence d’une culture scientifique de plus en plus élaborée. La scission entre les deux mondes se fait de plus en plus forte, et Steiner la regrette :


« Il est absurde de parler de la Renaissance sans connaître sa cosmologie et les rêves mathématiques qui présidaient alors à l’élaboration des théories de l’art et de la musique. Etudier la littérature et la philosophie des dix-septième et dix-huitième siècles sans tenir compte de l’essor de la physique, de l’astronomie et de l’analyse mathématique à cette époque, c’est se cantonner dans une lecture superficielle. Un panorama du néo-classicisme qui omet Linné est vide. Que peut-on dire de sérieux de l’historicisme romantique, de la temporalité après Hegel, si on laisse de côté Buffon, Cuvier, Lamarck ? Les humanités ne se sont pas seulement montrées arrogantes en claironnant leur position privilégiée. Elles ont également fait preuve de sottise. »

George Steiner [Philosophie] John_m10
La chute de Babylone, John Martin

Steiner semble vouloir nous apprendre à nous détacher d’une Culture classique, qui a fait son temps et qui nous renvoie seulement à un passé que nous devrions cesser de considérer comme appartenant au présent, pour mieux nous enrichir des nouvelles cultures et les considérer à leur juste valeur. Grand amateur de musique, Steiner ne tarit pas d’éloge à l’égard du développement de la technologie qui permet de la rendre accessible au plus grand nombre :


« Il n’est plus de mode d’amasser ses sentiments à l’abri du silence. La musique enregistrée s’accorde parfaitement à ces aspirations. Assis côte à côte, l’attention flottante, nous sommes emportés par le son, individuellement et collectivement. Voilà le paradoxe libérateur. A la différence du livre, le morceau de musique se révèle d’emblée propriété commune. Nous le vivons simultanément sur le plan personnel et social. Le plaisir de l’un ne lèse pas les autres. Nous nous rapprochons tout en affermissant notre identité. »


Steiner nous offre également la possibilité de considérer la Culture scientifique sous un regard neuf, essayant de nous apprendre à déceler le potentiel imaginaire qui se tient en elle :


« Aux racines de la métaphore, du mythe, du rire, là où les arts et les constructions délabrées des systèmes philosophiques nous font défaut, la science reste active. Qu’on aborde à ses régions les plus obscures, et se font jour une suprême élégance, un bouillonnement et une gaieté de l’esprit. Pensez au théorème de Banach-Tarski, selon lequel on peut diviser le Soleil et un pois en un nombre fini de parties discrètes, de manière qu’elles se correspondent deux à deux. La conséquence inéluctable est qu’on peut glisser le soleil dans la poche de son gilet et que les parties qui composent le pois peuvent remplir l’univers, sans un vide ni à l’intérieur du pois ni dans l’univers. Quel délire surréaliste engendre une merveille plus explicite ? »


Malgré toutes ces approches novatrices de la Culture, malgré le regard avisé de Steiner sur les limites que le savoir ne devrait jamais franchir, cet essai me laisse dubitative…
Evidemment, on pourrait reprocher à Steiner de n’aborder que la question de la Culture occidentale. Une allusion rapide est faite aux autres Cultures, mais elle se résume à ce passage :


« C’est sur notre culture tout entière que se concentre la tension, car, comme nous le rappellent les anthropologues, nombre de sociétés primitives ont préféré l’immobilisme ou la circularité du mythe au mouvement en avant, se sont perpétuées autour de vérités immuables. »

Mais je ne pense pas que ce soit le problème principal de cet ouvrage. Il fallait bien se limiter à l’étude d’une Culture pour ne pas se perdre dans de multiples théories…
Je reproche à cet essai une forme de démagogie du progrès, qui veut se tourner vers les nouvelles techniques avec l’espoir miraculeux d’abandonner tous les démons du passé.
Steiner est flou sur la conclusion qu’il veut apposer à cette réflexion. Sur un ton plutôt fataliste, il évoque la nécessité des hommes à en apprendre sans cesse davantage, se demandant toutefois quels bénéfices l’humanité pourrait retirer de l’ouverture de la dernière porte du château de Barbe-Bleue. Donnant l’impression de vouloir limiter la casse, il propose alors d’unir les Cultures classique et scientifique dans un élan commun vers le progrès modéré.
Belle conclusion, que d’autres avaient déjà tirée avant Steiner. Fallait-il employer une arme de la Culture pour démontrer que celle-ci doit être régulée afin que l’on en tire le meilleur parti ? Ce paradoxe presque schizophrène m’empêche de considérer cet essai avec tout le sérieux qu’il le mériterait peut-être… Mais parce qu’il est rempli de réflexions intéressantes sur le sens que l’on veut donner à la Culture et sur l’orientation qu’on veut lui faire prendre, il mérite d’être lu.
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyDim 2 Oct 2011 - 17:01

Je te remercie Colimasson pour ce résumé sur ce livre de STEINER.
Je n´ai jamais rien lu de lui, mais chaque fois qu´au fil de mes lectures sur journaux, magazines, je tombe sur un article sur STEINER, je trouve cet homme extrèmement interessant dans le cheminement de sa pensée.
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyDim 2 Oct 2011 - 22:00

Contente que le fil t'en apprenne un peu plus alors ! Very Happy

Je suis en possession de son unique roman : Le transport d'A.H..

Le résumé est très intriguant...

Citation :
Ce court récit, qui fut d’abord anonyme, met en scène l’un des plus grands « tabous » de notre époque. Hitler avait-il atteint un degré de folie où il se considérait lui-même comme juif ? Que feraient les puissances si Hitler était retrouvé vivant et si ce vieillard décrépit faisait entendre à nouveau la magie noire de sa voix ? Sous la forme d’un enlèvement aventureux, un procès historique envoûtant, explosif, incroyablement intelligent.
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyMar 4 Oct 2011 - 21:45

Toujours dans Le château de Barbe Bleue, Steiner fait référence, entre autres, à Flaubert, à Sade et à Hogarth (que je ne connais pas) pour évoquer sa théorie d'un éloignement de la Culture des valeurs humanistes qui étaient en vogue au cours de la Renaissance.

Concernant Flaubert, on peut lire :

« Tous ces courants d’insatisfaction, de libération illusoire, d’ironique défaite, s’inscrivent avec une précision sans égale dans les romans et la vie privée de Flaubert. Le personnage d’Emma Bovary incarne, avec une cruelle trivialité, la fougue de rêves et de désirs contrariés par un monde où ils n’ont pas de place. L’Education Sentimentale prend exactement à rebours le Bildungsroman, l’éducation y tourne le dos à la vie du cœur et sombre dans la torpeur bourgeoise. Bouvard et Pécuchet est un long gémissement écœuré, nauséeux, devant l’empire inébranlable de la petite-bourgeoisie. Et puis il y a Salammbô. Ecrit presque exactement au milieu du siècle, ce récit frénétique et glacial que colorent le goût du sang, la barbarie de la guerre et la souffrance des débauches, nous mène droit au problème. Le sadisme du livre, sa passion à peine contenue de la sauvagerie, reflètent les dispositions d’esprit de Flaubert. Depuis l’adolescence, il n’avait éprouvé que « des convoitises insatiables » et « un ennui atroce ». »

Et concernant Sade et Hogarth :

« C’est chez Sade, et aussi chez Hogarth par certains détails, que le corps humain, pour la première fois, est soumis méthodiquement aux opérations de l’industrie. Les tortures, les postures grotesques imposées aux victimes de Justine et des Cent Vingt Journées établissent, avec une logique consommée, un modèle des rapports humains fondé sur la chaîne de montage et le travail aux pièces. Chaque membre, chaque nerf est déchiré ou tordu avec la frénésie impartiale et glacée du piston, du marteau pneumatique et de la foreuse. Le corps n’est plus qu’un assemblage de parties, toutes remplaçables par des « pièces détachées ». La multiplicité, la simultanéité des outrages sexuels offrent une image minutieuse de la division du travail à l’intérieur de l’usine. Les suggestions de Sade lui-même (ses châteaux de plaisir seraient en fait des laboratoires ; toutes les formes de tourment et d’humiliation découleraient nécessairement d’une conception de la chair comme matériau brut) sont significatives. »


Je ne sais pas si le rapprochement entre les méthodes de torture imaginées par Sade et l'industrialisation du travail est tout à fait pertinente mais, comme pour la plupart des théories de Steiner, elles ont la qualité d'être originales et de permettre au lecteur de se lancer dans sa propre voie de réflexion.
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyMer 14 Nov 2012 - 20:45

Le Transport de A. H. (1981)


George Steiner [Philosophie] Le-tra10


A. H. ou comment évoquer sans avoir l’air de le faire le personnage le plus épique, le plus effroyable, le plus intelligent, le plus génial, le plus fou du 20e siècle (chaque lecteur choisira l’adjectif qui lui convient en fonction de ses affinités particulières) : Adolf Hitler.

Ne nous atermoyons pas sur le caractère houleux du choix d’un tel sujet. George Steiner ne laisse pas le temps au lecteur de se poser des questions et le fait débarquer de manière impromptue dans son roman, alors que deux personnages semblent en pleine confrontation :

« -Toi.
Le vieil homme se mordit les lèvres.
- Toi. C’est toi ? »


Le premier chapitre amorce une présentation très vague de la situation. George Steiner prend un malin plaisir à effacer tout indice permettant d’identifier les personnages, et même l’objet de leur discussion demeure un mystère insoluble. On espère que la situation s’éclaircira au fil du temps, mais Steiner est aussi terrible (à un autre niveau) que A. H. et il prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à perdre son lecteur dans les bifurcations improbables d’une intrigue qu’on peine à comprendre.
Ainsi, quatre fils différents s’entrelacent (peut-être même davantage, il n’est pas facile de trancher clairement), mettant en scène des personnages différents dont le seul point commun est celui d’être liés d’une quelconque façon à A. H.


A. H. est mort depuis des années, dixit l’opinion générale, et des preuves tangibles semblent pouvoir le confirmer. Mais quelques voix se font entendre, qui remettent en cause ce fait établi. En vérité, A. H. ne serait pas mort mais croupirait dans un marais au fin fond de l’Amazonie (torture autrement plus intense). Une équipe a été dépêchée pour le retrouver dans le plus grand secret gouvernemental. Dans les hautes sphères politiques, entre personnalités bien informées, la question entraîne également son lot d’interrogations. Entre juifs et rescapés des camps de concentration, les considérations prennent une tournure plus personnelle, et c’est à ce moment-là seulement que le Transport de A. H. devient véritablement intéressant.


On sent que George Steiner n’est pas très à l’aise avec la forme du roman. Plus connu pour ses essais, lorsqu’il s’empare de la fiction, il donne l’impression de s’embourber avec des usages et des expressions convenues. Vaille que vaille, il tente d’instaurer une atmosphère différente à chaque chapitre mais se perd surtout dans des descriptions creuses et des accumulations de détails inintéressants (« Ryder passa les doigts sur le cuir craquelé. Tout cela aurait eu besoin d’un peu de cire ») lorsqu’il ne donne pas l’impression de se lancer dans une parodie de roman noir un peu laborieuse :


« Il s’approcha. Son haleine sentait l’alcool mais sans exagération.
- Sales bestioles.
Il se donna une tape sur l’avant-bras et fixa pensivement l’insecte écrabouillé. »



George Steiner instaure un rythme également éprouvant. Il faudra plier l’échine et s’y soumettre avec maints efforts dans les deux premiers tiers du roman, avant d’accéder au dernier tiers, qui constitue de loin la partie la plus intéressante du Transport de A. H.. On comprend alors pourquoi George Steiner a choisi la forme du roman pour aborder les questions troubles liées à l’existence d’Adolf Hitler : elle permet un désengagement partiel de l’écrivain qui peut alors oser avancer des théories politiquement incorrectes en les attribuant à ses personnages ou à Hitler, sans que la parenté avec sa réflexion personnelle ne soit directement invoquée. Question de prudence bien compréhensible puisque George Steiner s’érige à l’opposé des bonnes âmes pleines d’une compassion qui ne permet pas à l’Histoire d’avancer. Il remet également en question le rapport victimes/coupables dans une tentative non pas de rejeter les accusations d’une partie de l’humanité sur l’autre mais de répartir équitablement la dose de bien et de mal en chacun, dans une négation totale du manichéisme qui sévit habituellement lorsqu’on évoque les conséquences de l’Holocauste et du Reich. Le plaidoyer final d’Adolf Hitler sera l’occasion pour George Steiner de poser une question cruciale : en désirant éliminer les juifs, l’homme n’aurait-il pas permis, finalement, leur résurrection ? N’est-ce pas grâce à lui qu’Israël a pu se fonder aussi facilement aux lendemains de la seconde guerre mondiale ?


On s’avance sur un terrain nébuleux. La prudence de George Steiner traduit peut-être une autre incertitude : celle de pouvoir répondre clairement à ces questions. Là où l’essai est censé pouvoir apporter une réponse, le roman permet quant à lui de laisser les interrogations en suspens…


Des propos qui auraient peut-être été moins bien acceptés s'ils avaient été énoncés explicitement dans un essai ?


Citation :
« Dieu, quelle vie ce fut ! Chaque année atroce comme une centaine, un millier d’années ordinaires. Lui, il n’a pas manqué à sa parole. Un Reich millénaire en chacun de nous, un millénium de vie en mémoire. Nous n’avons rien laissé pour ceux qui ont suivi. C’est là notre vrai crime. Toute cette génération n’est plus qu’un troupeau d’ombres, maigrichonnes ou rondelettes, mais des ombres. Ils n’y sont pour rien. Nous leur avons laissé les cendres froides de l’histoire, la peau des raisins. Mais jamais je n’échangerais ce que j’ai vécu contre quoi que ce soit, jamais. »

Citation :

« Parce que Sa présence inconcevable, inimaginable nous enveloppe tout entiers, nous devons obéir à chaque iota de la loi. Il nous faut ravaler nos rages et nos désirs, mortifier notre chair et nous traîner sous la pluie, lamentables et courbés. Et c’est moi que vous appelez tyran, esclavagiste ! Mais quelle tyrannie, quel esclave ont plus cruellement opprimé, plus profondément stigmatisé la chair et l’âme humaine, que le Juif et ses fantasmes débiles ? »


Cela concerne aussi la facilité des jugements évoqués avec le recul...
Citation :

« N’importe qui peut dire Auschwitz, et s’il le dit assez fort, il n’y a plus qu’à baisser les yeux et écouter. C’est comme un verre qu’on casse au milieu d’un repas. C’est trop facile, si on était gosse ou pas encore né à ce moment-là. Quand on n’a pas la moindre idée de ce que cela a représenté réellement pour la plupart d’entre nous, pour la classe aisée et cultivée qui tentait de survivre sur l’autre face de la lune. Allez-y, citez Auschwitz, Belsen, ou ce que vous voudrez, couvrez-vous la tête de cendres, montrez-nous le poing, et exigez que nous fassions pénitence ad vitam aeternam. Il y a une somme rondelette à la clé des remords, c’est le produit des feuilletons télévisés et des livres de la rentrée d’automne. Laissez-moi vous poser une seule question, chers petits amis : qu’auriez-vous fait, quels mots superbes auriez-vous criés alors ? Au pas cadencé des hommes en brun, les plus braves d’entre nous faisaient dans leur culotte. »
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyLun 17 Déc 2012 - 22:06

Je dois vraiment réétudier toutes ces contributions de colimasson - merci! Jusqu'à maintenant j'avais seulement entendu son nom sans pouvoir l'associer avec un contenu concret. Puis, ce matin, une connaissance me met un livre entre les mains et me dis: "Lis cela!" Euh, cela avait l'air si petit..., et en plus je m'apprêtais à une visite médicale, donc à asser un moment dans une salle d'attente.

Quel éblouissemnt ce "Le silence des livres", de George Steiner! Si je lis les mots-clés de colimasson, on retrouvera pas mal de sujet typique à lui dans cet essai d'à peine 50 pages, grandes caractères. Quelle érudition! Mais cela avec une certaine humilité et simplicité que cela en fait un vrai plaisir de lecture et de début de réflexion.

Il y a plutôt des reflexions sur l'écrit: le rapport avec l'oralité ancestrale, le virtuel actuel (et à devenir), la mémoire (!), la dictature, la censure, mais aussi comme une des grandes passions qui fond un rapport vis-à-vis l'imaginaire etc. Le livre se termine aussi avec une note d'avertissement: de ne pas perdre dans l'immersion dans cet imaginaire le sens pour le réel, la responsabilité concrète.

Je suis loin d'avoir digéré tous les ingrédients de cette lecture enrichissante, passionante, mais il me semble bien qu'un tel sujet "devrait" intéresser nous autres, amateurs des livres...

Très grande recommandation!!!
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyMar 18 Déc 2012 - 23:01

Tiens, tiens ! Ca pourrait être une bonne idée de lecture pour continuer à découvrir son oeuvre ! Very Happy

Si tu as des extraits marquants à nous proposer... avec plaisir !
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyMar 13 Mai 2014 - 16:30

Dans le château de Barbe-Bleue

Je me faisais une fête de lire ce livre. Il me déçoit.
A part l'anachronisme évident (il date des années 70 et évoque encore le "tiers-monde"), je ne vois pas trop où l'auteur veut en venir, notamment quand il décrit les Juifs comme les inventeurs du monothéisme (? d'où tire t-il cela ? Les religions antérieures, apparemment polythéistes, possèdent toutes et je dis bien toutes, une unité primordiale), ou du marxisme avec l'idée qu'ils imposaient un modèle d'absolu, de perfection, trop dur à atteindre (donc, on les dégomme, d'où le nazisme).

C'est tiré par les cheveux et très confus.

Je ne suis pas sûre de finir.

Je ne vois pas en quoi un spleen littéraire peut être la source, à moyen terme, d'une volonté génocidaire.

Et j'en passe, d'idées qui me semblent totalement farfelues.

Mais c'est moi qui dois être totalement bête !

Ce monsieur fait fi d'une donnée toute simple et qui n'impliquerait pas le pédantisme agaçant de son essai : la nature humaine est cruelle.

Le reste est...


...bavardage....ou

...vernis civilisateur.



Ou rêve.

....
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyMar 13 Mai 2014 - 17:57

Ah, George STEINER !
Il y a des parfumés qui l'aiment ! Yohoooh  bravo !
J'ai plusieurs livres de lui dans mes étagères : "Dix raisons (possible) à la tristesse de pensée", "Maîtres et Disciples". Et bien que j'aie sûrement un autre, je n'arrive plus à ranger mes étagères après la naissance de ma fille. Et je ne me souviens même plus du titre.
En plus Gallimard a publié ses "Oeuvres" dans la collection "Quarto" en 2013.
Mais c'est encore cher, 23€ même à Amazon. En plus comme ce n'est pas "oeuvres complètes", ça devient moins intéressant.
Je l'achèterai peut-être quand je le trouverai à moins de 20€.
Il y a des japonais qui l'aiment car une dizaine (quinzaine ?) de livres sont déjà traduits en japonais. Ce n'est pas mal.
J'ai lu "Les Antigones" et un autre il y a longtemps (mais en japonais). J'ai beaucoup aimé "les Antigones". Alors que je veux bien écrire un commentaire ici, comme je ne l'ai pas apporté en France, ce sera un peu difficile..., Dommage.
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyJeu 15 Mai 2014 - 21:30

tina a écrit:

Mais c'est moi qui dois être totalement bête !

Ce monsieur fait fi d'une donnée toute simple et qui n'impliquerait pas le pédantisme agaçant de son essai : la nature humaine est cruelle.

Le reste est...


...bavardage....ou

...vernis civilisateur.



Ou rêve.

....

On sera bête à deux alors Tina.
Il ne me reste plus rien de ce livre.

Ariane SHOYUSKI a écrit:

Il y a des japonais qui l'aiment car une dizaine (quinzaine ?) de livres sont déjà traduits en japonais. Ce n'est pas mal.
J'ai lu "Les Antigones" et un autre il y a longtemps (mais en japonais). J'ai beaucoup aimé "les Antigones". Alors que je veux bien écrire un commentaire ici, comme je ne l'ai pas apporté en France, ce sera un peu difficile..., Dommage.

Vivement ton commentaire. Tu pourras peut-être retrouver ce livre en bibliothèque ?
Je n'imaginais pas Steiner apprécié au Japon... en quoi sa pensée peut-elle y trouver un écho ?
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyJeu 15 Mai 2014 - 22:09

Ah bon, parce qu'il a une "pensée" ??



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colimasson
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MessageSujet: Re: George Steiner [Philosophie]   George Steiner [Philosophie] EmptyDim 18 Mai 2014 - 8:55

Ourf, tu me prends au piège... il me semble que quiconque se propose de publier un texte a la volonté d'apporter quelque chose d'original qu'on désigne plus couramment sous le terme de "pensée". Tu le trouves totalement impersonnel ?
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