Lecture en commun - Mervyn Peake : Titus d'Enfer

Oui il y a plein de détails succulents (comme cette histoire d'oeil à travers la serrure), on se demande comment un récit peut être aussi imaginatif.

La mise en scène du nouveau né à l'intérieur du livre parcheminé lors de la cérémonie du Baptême vaut aussi son pesant (d'autant plus que Grisamer dans son empressement fait tomber le livre par terre)

Assez long passage mais ô combien important pour mesurer l'immensité et la bizarrerie du domaine de Gormenghast. Finelame s'est échappé de la pièce où l'avait enfermé Craclosse et grâce à sa ruse monumentale, sa jeunesse, son agilité et sa résistance toute déterminée, il se retrouve sur les toits, puis dans une immense cour carrée dallée, où il entreprend à l'image d'un aigle une inspection en règle des tous les parapets, fenêtres, tours, pour mieux s'approprier les lieux et effectuer une démarche de retour, c'est à dire se réintroduire dans le château, l'autre issue étant......le vide.

Me voilà enfin embarqué dans le monde délirant de Mervyn Peake. J'ai lu les 80 premières pages jusqu'à la présentation de Titus aux yeux violets à la comtesse d'Enfer (et ses oiseaux) qui lui fait porter son anneau d'or. Ce qui me frappe d'entrée c'est le parallèle manifeste qu'on peut faire avec Alice au pays des merveilles (que Peake a d'ailleurs illustré). Un même univers dément qui au lieu de se dérouler sur un échiquier comme dans Alice, semble se dérouler dans les labyrinthes de Eischer ou de Piranese.



On pénètre progressivement dans le labyrinthe en suivant différents personnages (Rottcod, Craclosse) dont le jeune finelame qui semble prendre conscience de la folie du monde dans lequel il se trouve et tenter de s'en échapper. Comme Alice il est témoin de situations aux frontières de l'absurde et du non sens même si ce délire a sa cohérence interne dont on apprend peu à peu les lois. Mais j'attends de voir ce que va devenir ce personnage.



Un univers dans lequel on entre ou qui laisse indifférent tellement il est totalement déréalisé. On peut vite se lasser de ces scènes génialement décrites avec un sens de la narration et de la description formidable mais qui ont une dimension presque cartoonesque (je pense à certains films d'animation français récents qui explorent ce type d'imaginaire).

Reste que je suis fasciné par la force d'évocation tant des lieux que des personnages. Un pouvoir d'incarnation très impressionnant qui nous fait effectivement visualiser toute l'action avec une grande précision (comme le soulignait Shanidar et la plupart d'entre vous). On voit bien la tête de vautour de Craclosse, les yeux de poisson du Dr Salprune... Et je suis surpris qu'on trouve que l'histoire mette du temps à se mettre en place dans la mesure où on est d'entrée entraîné dans un tourbillon de découvertes qui ne sont pas qu'architecturales. J'attends la suite avec curiosité. A signaler aussi que ça se lit avec une facilité et un plaisir déconcertants.

Je suis vraiment enchantée de vous voir participer à cette lecture commune avec enthousiasme, même si des doutes surgissent ici ou là, c'est bien normal vu la bizarrerie du récit. Mais autour de moi, je n'ai jamais réussi à faire lire ce livre et donc à en parler, rien que pour cela, je suis Happy !

Darkanny, je ne vais pas lire ce livre qui ne me semble pas du tout fait pour moi, mais je vais surement l'offrir à ma fille grâce à toi!

darkanny a écrit:

Je suis vraiment enchantée de vous voir participer à cette lecture commune avec enthousiasme, même si des doutes surgissent ici ou là, c'est bien normal vu la bizarrerie du récit. Mais autour de moi, je n'ai jamais réussi à faire lire ce livre et donc à en parler, rien que pour cela, je suis Happy !

C'est toujours excitant (et rare) de pouvoir partager certains univers avec les autres. Celui de Mervyn Peake n'est pas non plus complètement inédit pour les amateurs de fantasy, d'imaginaire, ou de fantastique médiéval mais il a des qualités d'écriture et de construction qui sont plus rares. Chapeau au traducteur d'ailleurs qui fait un beau boulot.

C'est en cela que je le différencie de nombreux auteurs de fantastique et fantasy même si mon expérience dans ce domaine se résume à Tolkien, Robin Hobb, Poe, Lovecraft, Lewis Caroll, et Grimm pour en citer quelques uns.
Ici pas besoin de lutins, de fées, elfes ou mieux encore de balai magique fendant l'air ou d'épée qui sort de l'eau.
Et encore moins de vampires, on est bien loin du château de Dracula.

Tout est "plausible" et non ancré dans une dimension surréaliste. Mais vivez dans ce château de Gormenghast et vous verrez si votre personne ne va pas subir quelques transformations et ne va pas être façonnée par ces rituels et cette vie si cloisonnée.

Donc Topocl pas besoin d'avoir une empathie pour le "fantastique" pour apprécier, juste se laisser porter par l'histoire qui est finalement d'une logique implacable, lutte d'intérêts, de pouvoirs, ambition, frustration. et volonté de pérenniser la tradition.

Et sur le style, comme c'est ma deuxième lecture j'y suis plus sensible, il est frappant de voir à quel point L'auteur utilise les notions d'ombre ou de lumière, qui ne fait qu'accentuer les troublantes visions du décor ambiant, modifiant à souhait les perceptions des objets et des personnages.

darkanny a écrit:

Je suis vraiment enchantée de vous voir participer à cette lecture commune avec enthousiasme, même si des doutes surgissent ici ou là, c'est bien normal vu la bizarrerie du récit. Mais autour de moi, je n'ai jamais réussi à faire lire ce livre et donc à en parler, rien que pour cela, je suis Happy !

Je plussoie. L'univers qu'a créé Mervyn Peake mérite le détour. On accroche ou pas, mais si on apprécie, on se trouve face à une trilogie que l'on n'oubliera pas de sitôt.
Personnellement, c'est une des oeuvres qui aura le plus marqué ma vie de lecteur.
Je vous souhaite bien du plaisir dans les dédales de Gormenghast.

L'épique cérémonie du baptême devient immédiatement une nouvelle scène d'anthologie, à la fois à cause de l'absurdité du rituel, de l'emplacement des personnages, de la grandiloquence du moment (alors que juste avant Lenflure et Craclosse se sont bien battus...), tout est très solennel et puis (comme on s'y attendait) tout tombe par terre, la première est l'impatiente Comtesse, extraordinaire de sans-gêne qui houspille le maitre de cérémonie, puis tout le monde se met à jouer aux chaises musicales sous les yeux déconcertés puis embués de Grisamer. Tout pourrait s'achever par un drame, mais Peake est trop malin, et le texte s'achève sur une double déclaration d'amour de Fuchsia...

J'adore le personnage double et sans équivoque des soeurs jumelles, dont les paroles se font échos, très efficace, très simple et très juste (pour fréquenter deux paires de jumeaux je trouve Cora et Clarice criante de réalité).

En revanche, j'envie Arabella de ne pas avoir les dessins de Peake sous les yeux, je trouve que cela freine l'imagination, l'enferme dans des images qui ne sont pas à soi. Le langue suffit à donner à voir.

Ce qui est passionnant c'est que le texte, parce qu'il est dérangeant, inhabituel, déstabilisant, nous pousse à réinventer nos propres références (Piranese, Rabelais, Tim Burton, Genet et tous les autres...).

Ah et les dialogues sont un régal, mais à la différence de Marko je trouve le texte très loin de celui d'Alice, car chez Carroll on ne comprend pas les motivations, on ne comprend pas les dialogues, on est face à un paquet insoluble, chez Peake nous sommes dans une dimension qui rejoint ce que je crois être la folie : chaque lieu, chaque geste, chaque parole sont des éléments qui suivent une logique mais sont placés dans un univers illogique (ou bizarre, ou ritualisé de manière étrange). De ce fait, on comprend tout ce qui se passe mais on devine qu'il existe une lecture sous-jacente à ce qui est montré, une lecture motivée par une logique incompréhensible... (pas sûre d'être très claire...).

shanidar a écrit:

En revanche, j'envie Arabella de ne pas avoir les dessins de Peake sous les yeux, je trouve que cela freine l'imagination, l'enferme dans des images qui ne sont pas à soi. Le langue suffit à donner à voir.

Comme quoi on voudrait toujours ce que l'on a pas.

shanidar a écrit:

Ah et les dialogues sont un régal, mais à la différence de Marko je trouve le texte très loin de celui d'Alice, car chez Carroll on ne comprend pas les motivations, on ne comprend pas les dialogues, on est face à un paquet insoluble, chez Peake nous sommes dans une dimension qui rejoint ce que je crois être la folie : chaque lieu, chaque geste, chaque parole sont des éléments qui suivent une logique mais sont placés dans un univers illogique (ou bizarre, ou ritualisé de manière étrange). De ce fait, on comprend tout ce qui se passe mais on devine qu'il existe une lecture sous-jacente à ce qui est montré, une lecture motivée par une logique incompréhensible... (pas sûre d'être très claire...).

Je n'ai pas dit que Mervyn Peake copiait Alice mais qu'on pouvait établir un parallèle dans sa démarche de créer un monde absurde qui a sa logique interne. D'autant plus que l'espace où l'action se déroule est très important. Et ce que tu exprimes me semble aller dans ce sens justement. Il y a une même "folie" dans les deux romans même si elle ne s'exprime pas de la même façon. Lois mathématiques chez Lewis Carroll, plus poétiques chez Peake? En tout cas l'influence me semble très importante. Elle n'est pas la seule d'ailleurs et ça ne l'empêche pas d'être original et d'être lui-même un pionnier.

Les jumelles Cora et Clarice me font penser à des personnages de Dickens, même si le style de Peake est moins caustique. Mais sinon, cette stupidité, cette avidité, cette façon de se regarder à travers l'autre...


La bataille sanglante entre le chef et le serviteur du comte fait aussi très "scène de fin !"

Je l'ai terminé et me dis que je lirais bien la suite

Sûr que certains personnages pourraient figurer dans des romans de Dickens

La suite est tout aussi bien Krys, avec un final tout à fait époustouflant.

Je rejoins Marko. Moi aussi j'ai immédiatement pensé à Alice, mais aussi à Queneau (pour l'humour), à Rabelais, aux contes de Grimm et de Perrault... Finalement, on tisse des liens entre les oeuvres, on trouve des similitudes d'ambiance mais l'oeuvre de Peake est profondément originale.

J'aime beaucoup. Darkanny, merci. Titus dormait depuis longtemps dans ma PAL et je suis bien contente que tu m'ais donné l'occasion de l'en sortir.

J'y retourne.

Je suis contente que vous accrochiez, c'était pas gagné.
Et comme tu dis, chacun tisse ses propres liens avec d'autres oeuvres.

Un chose qui m'a également frappée dans ce roman, c'est qu'à aucun moment l'auteur ne situe le château en temps ou lieu, complètement intemporel, à nous d'essayer de transposer cette histoire où et quand bon nous semble. L'auteur se permet une totale liberté, aucune référence littéraire, socioéconomique ou politique.