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Sujet: Re: G. K. Chesterton Mar 17 Sep 2013 - 15:29
Gilbert Keith Chesterton, Le nommé Jeudi. Titre original: The Man Who Was Thursday: A Nightmare.
NB: à écouter ici, mais vous pouvez préférer Orson Welles en personne qui prête sa voix à Syme dans une version originale, dans tous les sens du mot "original" :
The Man Who Was Thursday:
Encore une oeuvre de jeunesse du Gilbert-Keith, publiée en 1908. Une anodine controverse, ou joute verbale, entre Gabriel Syme, qui représente le camp du bien (et de l'ordre) et Lucien Gregory, zélateur de l'anarchie, nous fait entrer en douceur dans ce roman. Puis la verve, la truculence Chestertonienne, très réaliste-magique, se met en branle.
Sans trop révéler, parce qu'il y a un côté thriller indéniable, additionné d'une théâtralité à effets, Syme infiltre par son talent oratoire une société secrète anarchiste, au sein de laquelle il se rend à l'invite un rien provocatrice de Gregory.
S'ensuivent une série de quiproquos et d'action, tout est dans les faux-semblants et l'exhibition puis le tombé des masques, et dans de bien étranges infiltrations. Le tout servi par la plume, poétique, drôle et raffinée de l'auteur. Par ailleurs, c'est encore un ouvrage de Chesterton qui peut constituer, pour l'amateur, une inépuisable mine de citations. Beaucoup d'action (sans cesse, en fait), il y a aussi un côté polar, mais surtout qu'on ne réduise jamais ce livre à un policier, ce n'est pas une enquête du Père Brown !
Le roman est découpé en quinze chapitres, à noter que le poème dédicatoire est curieusement absent de l'édition française (du moins celle dont je dispose, voir image), ainsi intitulés: 1– Les deux pièces de Saffron Park 2– Le Secret de Gabriel Syme 3– Jeudi 4– L’histoire d’un détective 5– Le repas épouvantable 6– Démasqué ! 7– Conduite inexplicable du professeur de Worms 8– Explications du professeur 9– L’Homme aux lunettes 10– Le duel 11– Les malfaiteurs à la poursuite de la police 12– La terre en anarchie 13– À la poursuite du président 14– Les six philosophes 15– L’accusateur
Enormément d'allégorie(s), quelques références bibliques. Et du burlesque et du comique de situation, à n'en plus finir !
Et bien entendu une somme inouïe de paradoxes (oui, je sais, on est chez Chesterton, normal, quoi !). C'est ma seconde lecture, ou plus exactement ce n'est que ma seconde lecture: comprenez que je suis loin, très très loin d'avoir fait le tour de ce riche ouvrage, sans doute ce que j'ai lu de lui de plus baroque !
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: G. K. Chesterton Mer 9 Oct 2013 - 21:43
La sagesse du Père Brown
Un ensemble de nouvelles, assez courtes, sans liens entre elles autre que le Père Brown et son compère (français) Flambeau.
Meurtre, danger, mystère, qu'il soit là ou arrive en route, le Père Brown se reconnait tout de suite, l'est petit, ne ressemble à rien et à un gros chapeau !
Petites atmosphères pittoresques et hautes en couleur, avec des effets de genre très soignés, tout ce qu'il faut pour qu'on sente ce qui va arriver sans forcément deviner qui a fait le coup ou quels sont les motifs de l'acte criminel. D'ailleurs le Père Brown n'arrive pas toujours trop tard.
Outre le fait que c'est efficace et très plaisamment écrit, ce sont évidemment les traits d'esprits du Père Brown (et de l'auteur) qui nourrisse le plaisir du lecteur. Large choix de possibilités : avec ou sans préjugés, avec ou sans croyances, en travers des habitudes ou des convenances, le Père Brown peut tout faire, et très tranquillement. Sans méchanceté, sans vengeance.
Enchainer les nouvelles fait ressortir quelques ficelles ou tics ou trucs d'écriture (dans les ouvertures surtout) mais comme c'est bien fait et assez varié dans les décors et les situations ça ne gêne pas beaucoup. Quelques considérations raciales font démodé mais il faut reconnaitre que d'un autre côté les préjugés savent être trompeurs.
Il faut imaginer une petite collection de tourne-pages dans un petit livre qui sait être vif et piquant tout en offrant le confort des repères solides d'un genre. Le genre quand c'est bien fait ça ne se refuse pas !
J'y reviendrai certainement et je l'espère avec un roman.
Ariane SHOYUSKI Sage de la littérature
Messages : 2372 Inscription le : 17/04/2014
Sujet: Re: G. K. Chesterton Mer 25 Juin 2014 - 22:43
Ah, oui ! Je ne savais pas qu'il y a le fil de Chesterton !! Je n'ai lu aucun roman (comme d'habitude ???). Mais j'ai adoré ses essais quand j'étais jeune. C'était un vrai trampoline de cerveau C'était rigolo et souple. C'est bizarre. Alors que tout le monde parle de Father Brown, il est un bon essayiste acrobatique pour moi. J'ai lu cinq livres : "Heretics" "Orthodoxy" "The Everlasting Man" "Tremendous Trifles" "George Bernard Shaw". C'est magnifique quand il critique d'autres écrivains ! (Bernard Shaw, H. G. Wells etc.) Je vous conseille fortement "Heretics" et "Orthodoxy" (je crois que ces deux sont les meilleurs). C'était une lecture bizarre mais très agréable.
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: G. K. Chesterton Mer 25 Juin 2014 - 22:46
rien que pour cette expression : C'était un vrai trampoline de cerveau je vais essayer de m'en souvenir, un jour...
kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
Sujet: Re: G. K. Chesterton Jeu 26 Juin 2014 - 7:05
les Anglais aiment bien leur Father Brown... et du coup on ne peut plus compter les adaptations coïncidence que je suis tombée sur la dernière en ligne il y a quelques semaines puisque c'est produit par la BBC qui réalise normalement de bien bonnes choses, j'y ai jeté un oeil et c'est tout à fait plaisant et agréable pour l'instant il y a deux saisons et la troisième a été commandé début de l'année
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: G. K. Chesterton Lun 30 Juin 2014 - 2:45
Ariane SHOYUSKI a écrit:
(...) Mais j'ai adoré ses essais quand j'étais jeune. C'était un vrai trampoline de cerveau C'était rigolo et souple. C'est bizarre. Alors que tout le monde parle de Father Brown, il est un bon essayiste acrobatique pour moi. J'ai lu cinq livres : "Heretics" "Orthodoxy" "The Everlasting Man" "Tremendous Trifles" "George Bernard Shaw". C'est magnifique quand il critique d'autres écrivains ! (Bernard Shaw, H. G. Wells etc.) Je vous conseille fortement "Heretics" et "Orthodoxy" (je crois que ces deux sont les meilleurs). C'était une lecture bizarre mais très agréable.
Hérétiques (titre original: Heretics) -1905
La collection "Climats", de Flammarion, a eu la bonne idée de publier à nouveau Hérétiques et Orthodoxes en 2010 (traductions, notes et préfaces de Lucien d'Azay), tant il est vrai que Chesterton demeure, en France, un écrivain dont il peut s'avérer difficile de trouver les livres, hormis ceux du Père Brown. Chesterton dont on rappelle que nombre d'ouvrages ne sont, du reste, pas encore traduits en français, ce qui est pour le moins étonnant.
Sinon, on trouvera le texte intégral d'"Hérétiques" en français ici, détail curieux: surtout ne tenez pas compte des mentions "à sauter" que l'on rencontre en-tête de certains chapitres, quelle idée d'avoir ajouté une telle ineptie voyante !
Essai écrit sur un plaisant ton discursif, il s'agit d'une compilation de choix d'articles que Chesterton a fourni au Daily News sur trois années, très légèrement retravaillés pour un format livre (20 chapitres, 250 pages environ).
Comment le classer ? Disons entre le conférencier, le polémiste, le journaliste et le professoral, obtenant ses effets à l'aide de paradoxes souvent, de contrepied presque toujours, et en utilisant une gamme instrumentale d'une largeur inouïe, allant de l'entonneur rabelaisien via l'orateur-tribun et le corniste le soir au fond des bois en passant bien sûr par celui de l'homme du monde raffiné jusqu'au propos aquilin de hauteur de vue sommitale, le tout enrobé en permanence de sens de l'humour sans aigreur ni réelle méchanceté ("pour faire rire de bon coeur, il est nécessaire d'avoir touché le coeur" dit-il en toute simplicité) .
Chesterton s'attaque au haut du panier de la notoriété d'alors, aux H-G Wells, R. Kipling, G-B Shaw (bien que celui-ci soit, par ailleurs, son ami), mais aussi à Nietzsche, Zola et bien d'autres, ou encore à des politiques de tout premier plan (Lord Chamberlain, etc...).
En somme il est assez preux pour se mesurer à l'intelligentsia dominante, au mainstream de la pensée, celle qui est assénée avec sa palanquée de dogmes dont le dogmatisme n'est pas assumé, et celle-ci est encore bien vivante un bon siècle plus tard, sous nos latitudes !!
Chesterton, "Hérétiques"
Comme dit à propos des deux ou trois romans que j'ai eu la maladresse et la joie de présenter sur ce fil, on a aussi un visionnaire avec Chesterton. Pas mal de ses supputations, lièvres qu'il a levés et autres observations se sont avérées rigoureusement exacts, se sont accomplis depuis.
D'autres, classés billevesées ou fantaisies, attendent sans doute leur heure. J'avoue avoir jubilé sans réserve ni aucune retenue avec ses propos, sur maint sujet abordé dans ce livre (la quasi-totalité de ceux-ci, en fait); et ce, qu'on tombe d'accord ou non avec lesdits propos ! Disons qu'un son autre est entendu, une voix rare, lucide, drôle, distincte.
Spoiler:
Et quelle source inépuisable à citations, aussi !
Ariane SHOYUSKI Sage de la littérature
Messages : 2372 Inscription le : 17/04/2014
Sujet: Re: G. K. Chesterton Lun 30 Juin 2014 - 16:46
Merci beaucoup pour ton commentaire, Sigismond. Oui, c'est vraiment dommage que ses essais ne soient pas très connus en France. Pourtant c'est vraiment intéressant et drôle. Après que j'avais posté mon article, je me suis demandée, "les intellectuels français ne veulent peut-être plus lire des auteurs catholique ?" C'est vrai que son catholicisme est déjà affiché à ses titres. Mais malgré tout on pourrait apprécier son style très original. Merci. J'aurais voulu écrire comme toi.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: G. K. Chesterton Jeu 23 Juil 2015 - 7:14
La sphère et la croix
Titre original: The ball and the cross. Roman, 300 pages environ, 20 chapitres
aux titres évocateurs:
– Une discussion un peu en l’air – La religion du juge – Antiquités – Une discussion à l’aube – Le pacifiste – L’autre philosophe – Le village de Grassley-in-the-Hole – Un intermède – La dame étrange – Une passe d’armes – Un scandale au village – L’île déserte – Le jardin de la paix – Un musée d’âmes – Le rêve de MacIan – Le rêve de Turnbull – L’idiot – Rencontres – La dernière conférence – Dies Iræ
Publié en 1910 à l'état de livre, parution en feuilletons échelonnés entre mars 1905 et novembre 1906 dans "The Commonwealth". C'est le troisième roman, par ordre chronologique, de Chesterton.
Dessin de Ben Hatke, tiré de son blogue où vous en trouverez quelques autres ayant trait à "La sphère et la croix", ainsi que quelques propos sur le livre, dont il a illustré une ré-édition.
Ici un lien vers un téléchargement du livre (en version originale), ou encore ici.
A recommander à ceux dont les dithyrambes de Borges ou Kafka à l'égard de Chesterton ont pu mettre la puce à l'oreille !
La sphère et la croix est une fable, signée d'un maître-métaphysicien. Rassurez-vous, elle est garnie en paradoxes, l'écriture est leste, décapante et joyeuse, le tout est très enlevé. Pas d'inquiétude, le sens de l'humour, si particulier, est à l'habituel niveau de cette figure de proue britannique du genre. Truculent, rondement mené et jubilatoire !
Tout commence dans le "vaisseau volant" du professeur Lucifer, accompagné par un moine-ermite âgé, bulgare "de grande sainteté", du nom de Michaël, qu'il a kidnappé dans le but de le convertir à ses idées. Croyant aborder une planète inconnue, tout en croisant le fer (verbal) sur des thèmes emprunts de symbolique avec Michaël, Lucifer manque de justesse percuter...la cathédrale Saint-Paul à Londres, surmontée d'une sphère et d'une croix. Furieux des arguments du moine, le professeur Lucifer jette Michaël hors du "vaisseau volant", celui-ci se rattrape in extremis aux branches de la croix qui surmonte la sphère. S'ensuit un passage remarquable, poético-philosophique, celui de la descente du moine, qui rencontre un gardien, lequel l'amène via les escaliers au sol, avant de le remettre entre les mains de la police, afin de le faire interner en tant qu'aliéné.
De façon concomitante, un jeune écossais catholique (Evan MacIan) fracasse la vitre d'un homme de plume athée dont les écrits et son commerce ne provoquent qu'une totale indifférence (James Turnbull), après avoir lu en vitrine quelques propos comparatifs entre la Vierge et une divinité mésopotamienne. S'ensuit un attroupement, une demande de régler cela en duel, et l'affaire finit au tribunal, où MacIan campe sur sa position, tandis que Turnbull, plus roué et plus au fait de ce qui peut se dire à la barre d'un tribunal londonien, s'en sort à son avantage. Mais, à la sortie, coup de théâtre: Turnbull, qui a enfin rencontré quelqu'un qui réagit à ses travaux -la chance de sa vie !-, exige son duel, et voilà nos comparses fouinant dans la boutique d'un antiquaire, afin de trouver les épées ad hoc. Ils en trouvent, ligotent l'antiquaire qui leur refusait le droit de se battre dans son jardinet, et leur duel est interrompu par le fait que l'antiquaire, s'étant libéré, a ameuté la police.
Nos protagonistes s'échappent en cab "réquisitionné" de force, puis quittent la ville afin de poursuivre leur querelle ailleurs, tandis que leur affaire fait grand bruit dans les journaux, et que la police les pourchassent. Chesterton, tout en tirant quelques remarques bien senties et paradoxales sur le journalisme et sur la marche du monde, donne dans le quichottisme. Chesterton a toujours la délicate gaité consistant à poursuivre un genre prisé il y a longtemps, et qui semble avoir perdu ses lettres de noblesse, la farce, ainsi que le burlesque, comme à plusieurs reprises souligné pour ce qui concerne d'autres de ses romans, que j'ai eu la joie de commenter sur ce fil.
Mais Turnbull et MacIan seront sans cesse interrompus dans leurs tentatives de duel, ce qui participe à l'effet comique. Un pseudo-ange pacificste (?), un philosophe sanguinaire quelque peu dérangé, la marée, une dame de la haute société qui les sauve de la police, jusqu'à une fuite en bateau sur une île de la Manche (où, grimés, ils intervertissent leurs rôles en quelque sorte, pour quelques pages savoureuses), et même sur ce qu'ils croient être une île déserte ils sont sans cesse conduits à remettre leur duel.
Je ne vais pas m'étendre sur le pourquoi c'est si spécifiquement pré-kafkaien et pré-borgésien, ce serait vraiment trop dévoiler. Les personnages secondaires, empêcheurs de s'entretuer en rond ou non, sont remarquables. Et le monde -la société moderne- qui empêche deux gentlemen de s'entretuer pour un prétexte qui, paradoxalement toujours, pourrait être le seul qui vaille, donne aussi l'occasion à Chesterton de renverser ce qui est interprété comme la folie ordinaire du côté de la normalité, et vice-versa. Le retournement du regard du lecteur est finement amené, c'est, là aussi, très chestertonien, et de haute volée.
Chesterton, ailleurs que dans ce roman a écrit:
«Toute ma vie, j’ai aimé les bords, les arêtes ; et la limite qui amène une chose à se dresser très vivement contre une autre.»
Pour les principaux caractères, Michaël/Lucifer (très allégoriques) et MacIan/Turnbull sont, peut-être, à rapprocher de Chesterton/G-B Shaw, ou encore Chesterton/Robert Blatchford (directeur de The Clarion comme, dans le roman, Turnbull est directeur de The Atheist).
Il est intéressant de noter la complicité de Turnbull et MacIan, fraternisant, somme toute, très vite dans l'adversité. MacIan veut expédier le duel avant de trop éprouver d'amitié (=caritas, amour du prochain) envers Turnbull. Et le non-dit final, déductible (permettez que je reste vague, c'est pour l'intérêt des futurs lecteurs) les rapproche encore plus.
Quelques extraits:
Spoiler:
Chapitre II La religion du juge a écrit:
Londres l'intimida un peu, non qu'il le trouvât grand ni même terrible, mais parce que cette ville le déconcertait. Ce n'était ni la Cité d'or ni même l'enfer, c'étaient les Limbes. Une émotion le saisit quand, tournant le coin merveilleux de Fleet Street, il vit Saint-Paul se dresser dans le ciel: "Ah, dit-il après un long silence, voici une chose qui fut bâtie sous les Stuarts !". Puis, avec un sourire aigre, il se demanda quel était le monument correspondant dû aux Brunswicks et à la Constitution protestante. Après réflexion, il opta pour une annonce juchée sur un toit et qui recommandait des pilules.
Chapitre XI Un scandale au village a écrit:
Le père et la fille était de cette sorte de gens qui normalement auraient échappé à toute observation,, celle, du moins, qui dans ce monde extraordinairement moderne sait tout découvrir, excepté la force. Tous deux avaient la force sous leur apparence superficielle, comme ces paisibles paysans qui possèdent dans leurs champs d'immenses mines non exploitées. Le père, avec son visage carré et ses favoris gris, la fille, avec son visage carré et la frange d'or de ses cheveux, étaient tous deux plus forts qu'on ne le supposait. Le père croyait à la civilisation, à la tour historiée que nous avons dressée pour braver la nature, c'est-à-dire que le père croyait à l'Homme. La fille croyait à Dieu et était encore plus forte. Ni l'un ni l'autre ne croyait en lui-même, car c'est là une faiblesse décadente.
Chapitre VIII Un intermède a écrit:
- Je commence à comprendre un ou deux de vos dogmes, monsieur Turnbull, avait-il dit énergiquement, alors qu'ils gravissaient avec peine une colline boisée. Et je m'inscris en faux contre chacun de ces dogmes à mesure que je les comprends.
Celui-ci, par exemple: vous prétendez que vos hérétiques et vos sceptiques ont aidé le monde à marcher de l'avant et tenu bien haut le flambeau du progrès. Je le nie. Rien n'est plus évident, d'après la véritable histoire, que chacun de vos hérétiques a bâti un cosmos de son invention et que l'hérétique venu après lui a pulvérisé ce cosmos.
Qui donc aujourd'hui sait exactement ce qu'enseigna Nestorius ? Qui s'en soucie ? Nous ne sommes, sur ce sujet, certains que de deux choses. La première est que Nestorius, en tant qu'hérétique, eut une doctrine tout à fait opposée à celle d'Arius, l'hérétique qui le précéda, et sans aucun intérêt pour James Turnbull, l'hérétique qui vint après lui. Je vous défie de revenir aux libres penseurs du passé et de trouver un asile aupès d'eux. Je vous défie de lire Godwin ou Shelley ou les déistes du XVIIIème ou les humanistes adorateurs de la nature, à l'époque de la Renaissance, sans découvrir que votre pensée est éloignée de la leur deux fois plus qu'elle ne diffère de celle du pape.
Vous êtes un sceptique du XIXème siècle et ne cessez de répéter que j'ignore la cruauté de la nature. Au XVIIIème siècle, vous m'auriez reproché d'ignorer sa bonté et sa bienveillance. Vous êtes athée et vous glorifiez les déistes du XVIIIème. Lisez-les au lieu d'en faire l'éloge et vous découvrirez que leur univers ne subsiste ou n'est détruit que par l'idée de divinité. Vous êtes matérialistes et vous tenez Bruno pour un héros de la science. Voyez ce qu'il a dit et vous le prendrez pour un aliéné mystique. Non, le grand libre penseur, quelles que soient son habileté et sa bonne foi, ne détruit pas pratiquement le christianisme. Ce qu'il détruit, c'est le libre penseur venu avant lui.
La libre pensée peut être suggestive, elle peut être excitante, posséder autant qu'il vous plaira ces mérites qui viennent de la vivacité et de la variété. Mais il est une qualité que la libre pensée ne peut jamais revendiquer...la libre pensée ne peut jamais être un élément de progrès. Elle ne le peut pas, parce qu'elle n'accepte rien du passé; elle recommence chaque fois au commencement, et, chaque fois, s'en va dans une direction nouvelle. Tous les philosophes rationalistes sont partis sur des routes différentes, si bien qu'il est impossible de dire lequel a été le plus loin. Qui peut discuter sur le point de savoir si Emerson fut optimiste à un degré supérieur ou Schopenhauer fut pessimiste ? C'est comme si l'on demandait si ce blé est aussi jaune que cette colline est escarpée.
Chapitre XX Dies iræ a écrit:
- Vous me refusez ma demi-bouteille de Médoc, la boisson la plus salutaire et qui m'est la plus habituelle. Vous me refusez la société et l'obéissance de ma fille que la Nature elle-même impose. Vous me refusez la viande de bœuf et de mouton, alors que nous ne sommes pas en carême. Vous me défendez maintenant la promenade, une chose nécessaire à une personne de mon âge. Inutile de me dire que vous faites cela en vertu d'une loi. Les lois sont fondées sur le contrat social. Si le citoyen se voit dépouillé des plaisirs et des facultés dont il jouirait même à l'état sauvage, le contrat social est annulé.
- Tous ces bavardages n'ont pas de raison d'être, Monsieur, dit Hutton, car le directeur gardait le silence. Nous sommes ici sous le feu des mitrailleuses. Nous avons obéi aux ordres, faites de même.
- Tout fonctionne ici dans la perfection, approuva Durand, comme s'il avait mal entendu; tout marche au pérole, je crois. Je vous demande seulement d'admettre que si par de telles choses nous sommes privés même du confort de l'état sauvage, le contrat social est annulé. Voilà un point intéressant à débattre.
Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
Sujet: Re: G. K. Chesterton Sam 25 Juil 2015 - 21:35
Magie.
Théâtre, une centaine de pages "aérées", 1913, titre original: Magic. A Fantastic Comedy.
Vous trouverez le texte original ici, en audio-livre (anglais) par ici.
Je n'ai jamais vu cette pièce jouée, vous en trouverez quelques versions (en anglais) via les "vidéos" de votre moteur de recherches.
Spoiler:
Disons qu'à la limite ça ne me déplairait pas de la répéter, entre amateurs sans prétentions. Oui, le rôle du Duc, je l'ai dit preum's !
La croustillante genèse de cet opus est narrée en introduction (de François Rivière, dans l'édition Payot-Rivages Poche de 2015), je ne résiste pas à l'envie de vous en livrer les grandes lignes:
Spoiler:
Elles concernent deux gentlemen amis-ennemis, les plus cordiaux débatteurs diamétralement opposés de leur temps et de leur lieu, G-K Chesterton et G-B Shaw.
Ceux-ci vont, en ces temps pré-médias autres que l'écrit, jusqu'à se produire en public pour des joutes-débats qui font salle comble, en plus de s'affronter par journaux et écrits divers interposés !
Or, George-Bernard Shaw brûle de voir Gilbert-Keith Chesterton tâter d'un genre qui devrait lui aller comme un gant: le théâtre, une forme d'expression où son sens comique, de la répartie mais aussi comique burlesque ou de situation, son art du paradoxe et son écriture enlevée devraient faire merveille.
Aussi il le défie publiquement d'écrire une pièce, promettant même de l'aider au besoin. Pas de réponse. Chesterton publie "Un nommé Jeudi" (roman).
George-Bernard Shaw s'enhardit jusqu'à le relancer (1er mars 1908): "Alors cette pièce, où en est-elle ?"
Silence. Mais Shaw revient à la charge en octobre 1909, lui écrivant qu'il a le synopsis à lui fournir, lui indiquant la longueur souhaitable (18000 mots), et même quelle somme il convient de réclamer pour l'édition puis auprès d'éventuels producteurs pour faire jouer la pièce.
Chesterton réagit par...la publication d'un essai sur G-B Shaw ! Mais Shaw ne désarme pas, passe de la persuasion à l'intrusion quand, trois années plus tard, il prend le prétexte d'une visite (fictive ?) auprès d'un tiers à Beaconsfield (où résident les Chesterton), pour adresser à Mme Chesterton une lettre lui demandant de bien vouloir le recevoir, et, je cite (fin de la lettre) :
Citation :
J'aimerais lire ma pièce Androclès et le lion à Gilbert afin de le stimuler car il serait bon qu'il se mette aussi au travail. Il faudrait qu'à cette lecture, vous-même tombiez en admiration et déclariez que vous ne pourrez jamais aimer un homme incapable d'écrire des choses pareilles...Et que si Gilbert n'est pas en mesure de livrer dans les trois semaines une œuvre de cette qualité, telle l'héroïne d'Une maison de poupée, vous quitterez le foyer conjugal pour aller vivre votre vie.
Cette fois-ci, Chesterton cède, mais garde la liberté de ne pas respecter le délai imparti: 18 mois plus tard la pièce, en trois actes et un prélude, est créée au Little Theatre de London. Et restera à l'affiche pour cent soixante quinze représentations, coup d'essai, coup de maître !
L'action se déroule dans le salon du Duc, que jouxtent diverses pièces et un jardin. Personnages: Le Duc (plutôt doux-dingue, incapable d'appuyer une cause plutôt qu'une autre, etc...), trois personnages représentant les autorités, les références morales et comportementales du lieu et du temps: Le Docteur Grimthorpe (la science et la méthodologie scientifico-scientiste) Le Révérend Cyril Smith (la morale, mais celle du Siècle -du temps, distordue vis-à-vis des Evangiles), Morris Carleon (le jeune businessman américain, pétri d'action, de sens des affaires, et de réalisme matérialiste égocentré), Puis trois personnages, dont deux clefs: Hastings (le secrétaire du Duc, guindé, professionnel, froidement drôle) L'étranger (le premier rôle masculin, magicien (?), chamane (?) prestidigitateur (?), illusioniste (?)), Patricia Carleon (sœur de Morris, seul rôle féminin, celle par qui tout arrive...)
Le poétique Prélude se déroule dans le jardin, dans l'obscurité, c'est un échange, plutôt onirique, un rien mystique, entre Patricia et l'étranger.
L'acte I voit l'entrée en scène de tous les autres personnages, et le comique naît de leurs réparties, tutoyant parfois la métaphysique aux confins de l'absurde, si chère à Chesterton.
Se mettent en place les autorités, telles que les symbolisent le docteur, le révérend et l'homme d'affaires.
Face à ceux-là, Chesterton fait donner, via l'étranger (et Patricia, "passeuse" involontaire -ou impromptue), une bien réelle (elle !) leçon: de féérie, de foi, d'amour. Sa patte donne libre cours aux méta (-phore, -physique). A bien y regarder, nous avons là, en trois actes et un prélude, un joli petit morceau de vulgarisation exégétique drôle, en matière d'immanence et de transcendance.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: G. K. Chesterton Lun 17 Aoû 2015 - 18:40
Les enquêtes du père Brown
La clairvoyance du père Brown La sagesse du père Brown L'incrédulité du père Brown Le secret du père Brown Le scandale du père Brown
Il s'agit d'une intégrale des nouvelles mettant en scène le fameux père Brown, le curé détective. Qui, presque par inadvertance, se retrouve aux première loges lors de crimes ou délits divers. Ou ce qui y ressemble. Et qui débrouille tout cela en deux temps trois mouvements alors que les enquêteurs officiels y perdent leur latin.
Les règles du genre sont donc bien respectées, dans les deux premiers recueils le père s'adjoint même une sorte d'acolyte, Flambeau, d'abord criminel puis détective. Les mystères à première vue inexplicables ont une explication très simple au final, à condition d'adopter le bon angle de vision, et ne pas se laisser distraire par ce qui n'a pas d'importance, mais qui saute aux yeux. Et puis utiliser sa raison, qui au final est le don le plus précieux que Dieu a donné aux hommes. Le père Brown est le pourfendeur de faux miracles, de mystères ésotériques, et de la crédulité humaine en général. Alors que ses interlocuteurs le supposent par principe prêt à croire à tout et n'importe quoi.
C'est ma foi fort divertissant, toujours à prendre au second degré, comme le fait l'auteur, même s'il glisse un peu de sérieux et de sa vision du monde l'air de rien. Et évidemment cela donne envie de lire autre chose de lui.
Toulousaing Plume timide
Messages : 11 Inscription le : 25/01/2016 Age : 73 Localisation : Toulouse
Sujet: Re: G. K. Chesterton Mar 26 Jan 2016 - 11:55
Le paradoxe ambulant. 59 essais (Actes Sud)
Une compile. Sympa quand on ne connait pas l'auteur, ce qui était mon cas. Un peu comparable aux billets "Cavalier seul" du regretté André Frossart dans Le Figaro. Mais bon, côté littéraire, je reste un peu sur ma faim.
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: G. K. Chesterton Sam 22 Oct 2016 - 22:25
Les contes de l’Arbalète
Un curieux livre. Huit parties, au départ on peut penser qu’il s’agit de nouvelles, puisque nous partons à la découvertes de certains personnages à un moment clé pour eux. Mais tout cela finit par se rejoindre, et une sorte d’action, tout au moins de progression se met en place, jusqu’à un dénouement. On peut donc sans doute considérer cela finalement comme une sorte de roman.
Les personnages sont de respectables anglais réactionnaires, un colonel à la retraite, un homme de loi, un savant etc. Ces gentlemen, sont amis, ou le deviennent, car ils partagent la même vision de l’existence, des valeurs traditionnelles d’une Angleterre rurale, et n’ont guère d’estime pour le monde moderne et les hommes qui le gouverne. Et à moment, ils décident de passer à l’action, fondent la ligue de l’Arbalète pour donner aux choses un cours qui leur conviendrait mieux.
Cela semble très sérieux, alors que c’est tout le contraire, pétri d’un certain non-sens et humour. Comme dans le premier texte, L’Imprésentable apparence du colonel Crane, dans lequel ce digne militaire se met à porter en guise de chapeau, un chou évidé. Il n’est pas fou, mais a fait une promesse inconsidérée, celle de manger son chapeau si un certain événement improbable survenait. Il a perdu son pari, et pour respecter sa promesse, utilise un comestible comme couvre chef.
C’est cela que j’ai le plus apprécié dans le livre, son côté drôle, absurde, très intelligent. La façon aussi dans les récits s’emboîtent les uns avec les autres dans les premiers textes tout au moins, d’une façon coulant de source, montrant une maîtrise étonnante de la part de l’auteur.
La satire politique et sociale, fait aussi mouche, et est toujours d’actualité sur plusieurs aspects. Après, les exploits guerriers des membres de la ligue, sont moins convaincants, ainsi que certaines idées concernant le monde idéal exprimées par l’auteur.
kenavo Zen Littéraire
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Sujet: Re: G. K. Chesterton Dim 23 Oct 2016 - 5:14
tiens, voilà qui pourrait donner envie d'approcher cet auteur