Akseli Gallen-Kallela

Akseli Gallen-Kallela (1865-1931)

En lisant un peu sur ce peintre on découvre qu'il est suédophone et se tourne dans sa jeunesse vers une vision finnoise de la Finlande. Il étudie le dessin et fait des illustrations pour faire des sous pour la famille. Puis études à Paris. Ses œuvres montrent une intégration de plusieurs influences parfois bigrement mélangées avec toujours le souci d'affirmer une identité particulière ni russe, ni vraiment à la façon allemande ou française. Avec la même idée d'identité il participe à la guerre civile du côté des blancs (refus d'une domination russe). Ses voyages l'emmènent en Russie, en Angleterre, Allemagne, États-Unis, Afrique...

l'ouverture de ce fil, fait suite à la visite de l'exposition au musée d'Orsay le weekend dernier. L'exposition mettait l'accent sur sa participation à l'exposition universelle de Paris 1900 pour laquelle il réalise les fresques du pavillon finlandais (belle repro virtuelle et photos de la bâtisse trapue, rustique et étonnamment vivante, et apparemment lumineuse, et avec des grosses bêtes sur le toit). Mes permettait surtout de voir une orientation et des réapparitions dans sa peinture.

Plusieurs portraits au début : et nus académiques et autres, comme ici dans son habitat parisien avec de la Finlande dedans :



Il y a une phase réaliste qui dérive vers une certaine étrangeté :

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quelques croisements de perspectives qui ne se font pas, une tendance élémentaire comme une tension sauvage et un peu aveugle, qui se double comme sur le portrait de la vieille femme qui nourrit le chat ou de la fille perdue d'une accentuation très particulière.

C'est un peu ce qu'on retrouve ensuite les paysages, un mélange de réalisme sauvage et d'une déformation de la représentation vers une forme de mythologie. comme les nuages sur un lac qu'il faudra retrouver plus tard :

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Des évocations puissantes dans lesquelles sont toujours présentes des végétations très fines ou de menus détails.

Les représentations du Kalevala mélangent sur deux modes différents selon les tableaux (et la période ?) des représentations très réalistes et très fines, classiques mais néanmoins déroutante par des éléments de fond ou une espère de naturalité vivante et bizarre (comme le triptique de la fille qui fuit un vieux mais avec le sourire avant de se transformer en poisson) ou des stylisations puissantes qui font penser entre autres à quelques sauvageries japonaises bariolées et tout ce qui va donner un fond stylisé et habité.

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C'est une espèce de retour de symbolisme sur quelque chose de plus ancien (une variante de la petite parenthèse religieuse qui précède les grosses pièces du Kaleval).



Une tension sélective entre une liberté dans les moyens modernes (et la maîtrise) et une matière entière qui provoque un sentiment immédiat tout en donnant à regarder (c'est là que les arrangements de formes et de directions ou perspectives continuent à faire impression).

Les autres grandes toiles de du mausolée de Juselius du nom de l'industriel qui lui commande les fresques de ce mausolée consacrée à sa fille morte à 11 ans. Les tableaux représentent les saisons et la mort et atteignent quelque chose d'incroyablement équilibré dans la présence de formes très pleines qui ne masquent pas le sujet.

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L'exposition se terminait avec du mobilier et des objets dessinés par le peintre pour son atelier-maison. Toujours dans le goût du mélange et dans la finesse rustique épurée.

On pourra peut-être chipoter sur les effets sauvages ou le côté trop évidemment impressionnant des couleurs vives qui sautent aux yeux ou de la grosseurs de certains traits représentés mais quand on a toute cette diversité à voir et tous ces exemples d'influences captées et travaillées, essayées, affinées, ajustées et qu'on confronte le tout avec la modernité d'alors en plus d'être très souvent beau et sauvage (c'est très séduisant cette sauvagerie) on peut y trouver un sens surprenant "d'existence moderne".

C'est d'ailleurs pas si surprenant de voir les derniers tableaux du peintre skiant avec son fils ou d'Afrique, prendre avec la même observation une vie différente.

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Très réjouissant, plutôt fin tout en étant loin des beautés éthérées diverses et variées.

Beau travail !
Je me demande un peu ce que ça donne comme dimension de tableau.

les plus petits sont le lac et les roses blanches (juste à côté), moins de 1m x 1m. Les skieurs doivent être intermédiaires... les autres sont souvent grands, le triptyque fait un mur en largeur et les deux suivants sont aussi de grandes surfaces.

la lecture du catalogue de l'exposition fait placer les voyages, y compris l'Afrique (et voyage en famille) avant la guerre civile. Il y a aussi l'insistance sur ses longs séjours dans les contrées reculées de la Finlande dans le calme de sa première maison-atelier ou plus sauvage encore.



et pour le pavillon de l'exposition universelle, une image du film de reconstitution :



et pour apercevoir les ours derrière les arbres (en haut, au pied de l'espèce de clocher) :

refermé le catalogue de l'exposition qui donne un peu de lecture sur les influences contemporaines et plus anciennes (ce qui n'est pas sans lien avec le contemporain), parle aussi un peu de la part d'art décoratif travaillée par le bonhomme pour sa propre maison ou pour l'exposition. il y a semble-t-il pas mal de documentation et de correspondances en plus des critiques d'époque. Si la volonté d'identité est assez évidente il reste une part de mystère dans les dynamiques entretenues avec les mouvements avant-gardistes du moment, de l'intérêt et de la défiance quand ça ressemble à une mode ou s'éloigne de la représentation. Mais il manque certainement des connaissances pour bien lire tout ça. J'ai un faible pour le mélange qui tire vers un primitif naturaliste, je reste étonné devant la facilité ou l'équilibre de cette puissance démonstrative assez brutale parfois. Je suis diablement curieux de cette mouvance, il est loin d'être unique, très portée sur l'extérieur et une recherche intense, un renouvellement ou renaissance dans cette Europe d'époque dont le mystère s'épaissit au fur et à mesure que j'y pense. L'étrangeté de la présence du passé ou d'une suite de passés, pour la peinture il brasse les influences de ses prédécesseurs directs, des classiques et du moyen-âge/renaissance et ajoute ses contextes culturels propres de finlandais désireux d'indépendance. Des choix, des essais, des ouvertures pour construire autre chose. C'est vrai que c'est ainsi que c'est présenté, et que ça représente une vision confortable... ça ressemble aussi à quelque chose d'époque et d'assez beau pour laisser rêveur.

quelques images pour se remettre :

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Très jolie découverte ! J'aime beaucoup cette impression d'étrangeté.
D'autres pour le plaisir ?

lisant des mots sur le compositeur Sibélius, je découvre quelques explications qui pourront peut-être apporter un éclairage supplémentaire à ce fil. Etre suédophone au début du XXème siècle en Finlande est réservé à l'élite intellectuelle, j'apprends par exemple que le père de Sibélius ne parlait pas finnois et que Sibélius a appris cette langue comme on apprend une seconde langue à l'école. Soumise durant des siècles à l'emprise suédoise, c'est en 1809, que la Finlande devient un duché de la Russie tsariste et en 1917, le pays obtient son indépendance. D'où les tiraillements entre un vieil attachement à la culture et à la langue suédoise, une volonté de redécouvrir l'apport folklorique de la Finlande (à travers le Kalevala que Sibélius a mis en musique et que Gallen-Kallela a illustré) et la puissance russe qui impose sa langue et sa politique.

En 1894, Gallen-Kallela peint une toile qui fait scandale car elle montre Gallen-Kallela, le chef d'orchestre R. Kajanus, et les deux compositeurs O. Merikanto et J. Sibélius, le regard fixe et des bouteilles et des verres devant eux. Cette toile intitulée Symposium (ou le Problème), est censée montrer les représentants les plus actifs de l'Art Nouveau finlandais. Elle montre aussi le problème rencontré par Sibélius dont l'alcoolisme le pousse à disparaitre pendant des jours et finira par l'évincer des scènes mondiales.

ce n'est pas exactement la même toile que celle déjà postée par animal, mais elles semblent porter le même nom...

on voit bien ici l'abrutissement des fins de soirée un peu trop arrosées, ce mélange d'ivresse méchante et d'apathie qui grève les rêves, cette fatigue d'un côté et l'acharnement brutal de l'autre, ce moment où plus rien ne traverse l'esprit et laisse complètement vide.

Je découvre!
Éblouissant et quelle diversité, c'est parfois de l'illustration proche de la BD:

(très effrayant, je me demande même si c'est regardable en vrai, tellement les peintures sont déjà, là sur l'écran, d'une force morbide assez repoussante)

Je l'imagine bien illustrant "La Horde du Contrevent"

(Je suis plongé dans "la flaque")

shanidar a écrit:

(très effrayant, je me demande même si c'est regardable en vrai, tellement les peintures sont déjà, là sur l'écran, d'une force morbide assez repoussante)

Avec la ressemblance à la BD, c'est assez vif, le mélange des deux est étrange. l'apparence simple, grosse, et toute la force en même temps. En vrai ça se regarde, avec le reste et la direction vers quelque chose de rustique, puissant et net, mais pas sans finesse et pas sans échos, moyenâgeux entre autres, surtout que c'est grand !

Pour la ressemblance à la BD et en admettant que ce soit un peu caricatural, si je compare en esprit avec ce que j'avais vu à Nantes aux Utopiales de toiles BD qui ressembleraient à de la peinture "classique" ou normal, je dirai que la ressemblance de Gallen-Kallela fait peur sans que le mal se concrétise... le vide n'apparait pas (ou on dépasse le gimmick maniéré). Je pense que ça tient de ce qui charge le tableau entre les symboles très visibles (l'instrument magique en mâchoire de gros poisson en bas à gauche), à la construction tenace de l'image et du jeu des motifs de fond qui ne sont pas qu'une occupation de l'espace, c'est le retour vers une peinture plus ancienne avec des éléments efficaces et qui en plus amènent leurs échos chez le spectateur. c'est vrai que c'est bizarre.

Les deux tableaux avec Sibelius sont bien deux Symposium, la version que tu as postée étant la première. je rechercherai dans le catalogue les explications qui vont avec !

shanidar a écrit:

on voit bien ici l'abrutissement des fins de soirée un peu trop arrosées, ce mélange d'ivresse méchante et d'apathie qui grève les rêves, cette fatigue d'un côté et l'acharnement brutal de l'autre, ce moment où plus rien ne traverse l'esprit et laisse complètement vide.

J'aime beaucoup ton commentaire. Ca traduit exactement ce que je ressens moi aussi en regardant cette oeuvre.

Citation :

De même, Symposium, son chef d'oeuvre symboliste, précédé d'une remarquable étude préparatoire à l'huile, peut être considéré comme un paysage spirituel véhiculant une vision du monde chargée de symboles. Quelques temps après lui avoir donné le jour, Gallén, dans une lettre à Robert Kajanus, décrit son tableau en ces termes : "Trois hommes (Merikanto, Kajanus et Sibelius) sont assis à une table avec des bouteilles et des verres. L'un deux, qui se tient au sommet de la table et semble mener la discussion, explique de façon visiblement probante et paisible une affaire qui va au fond des choses. Pour donner plus de force à ses mots, il lève sa main dans laquelle il tient un cigarillo en train de s'éteindre, en ponctuant ainsi le rythme de ses phrases. Puis il regarde avec intensité, ses paupières jusqu'alors mi-closes s'ouvrent pour mieux diriger l'attention des deux autres exactement sur ce qu'il voit, tandis qu'ils se mettent tous les trois à pousser des cris en choeur et à manifester leur joie au spectacle de la belle vision... Et qu'est-ce qu'ils voient ! Je ne voudrais pas en dire plus..."

le tableau n'a pas l'air d'avoir plus à l'époque.

Citation :

Gallén représente ce cercle par deux versions successives, en 1894, dans Symposium. Ses amis, Oskar Merikanto, Robert Kajanus et Jean Sibelius sont assis à une table, en pleine beuverie ; Gallén se tient derrière Merikanto, qui est effondré sur la table. Kajanus et Sibelius, prostrés, regardent fixement devant eux. Dans une première version du tableau, Gallén a peint un Sphinx féminin écorché, qu'il a ensuite fait disparaitre en coupant la toile. Il a représenté un corps astral masculin, qui se tient en lévitation, bras levés, devant la planète Jupiter striée de nuages rouges. Dans la seconde version, ce que regardent fixement Gallén, Kajanus et Sibelius, immobilisés, reste caché pour le spectateur qui ne voit que le battement de deux ailes d'un être ésotérique : Osiris

animal a écrit:

C'est une espèce de retour de symbolisme sur quelque chose de plus ancien (une variante de la petite parenthèse religieuse qui précède les grosses pièces du Kaleval).

Je crois me souvenir que, dans le texte accompagnant l'oeuvre à l'expo, il était écrit que les artistes regardaient l'Inspiration, ou quelque chose comme, contrairement à la personne écroulée, qui est un critique et qui, comme tel, ne parvient pas à voir les mêmes choses que les Authentiques Artistes...

colimasson a écrit:

On remarquera l'abeille, juste au-dessous des rayons du soleil. Les rayons qui pénètrent dans l'obscurité lugubre de Tuonela symbolisent un rayon d'espoir ; l'abeille, juste en-dessous, apporte le baume qui permettra de ressusciter Lemminkäinen.
"Gallen-Kallela a utilisé sa propre mère comme modèle." (infos tirées du Ateneum guide).