Holy motors [Leos Carax]

eXPie a écrit:

coline a écrit:

eXPIe, tu m'étonneras toujours...Tu connais beaucoup de dialogues de cinéma par coeur?...

Ah non non, je me souvenais de cette scène, j'ai retrouvé et copié/collé la citation depuis imdb, je me doutais bien qu'elle y serait.
Je n'ai pas la mémoire des dialogues. A l'armée, j'avais essayé, spontanément, de refaire un peu de Full Metal Jacket ("You will give your rifle a girl's name"), mais ça n'était pas facile, en tout cas ça a surpris.

Holy Motors

Mr Oscar, sorte d'être multifonctions est conduit dans une longue limousine Lincoln blanche dans Paris et alentours pour une drôle de balade au pays du cinéma. La plupart des références m'ont échappées (pas vu pas reconnu) mais on voit quand même de foutues images qui fonctionnent très directement très bien et ce depuis le début avec un penchant pour le désuet pas si désuet (architectural par exemple). Pot pourri de situations et d'instantanés de genres réalisés avec humour, occasion aussi avec ce grand fouillis de parler d'une vision du cinéma. Une émotion simple, un monde différent, une intention, une gratuité du geste. Et oui, pour moi ça marche, entre les trucs drôles, les scènes hyper esthétiques pas si surfaites que ça : la séance de motion capture est sublime en plus d'être une sauvage opposition d'imageries, cette grotte pleine de fleurs qui va chatouiller des idées de peintures dans un registre bien choisi pour parler de cinéma...

Je n'avais vu que les Amants du Pont-Neuf qui était à la fois un peu lourd et pas si désagréable... là franchement c'est d'une fluidité bien plus terrible et d'un beau sens du détail que je ressens comme visant avant tout, malgré le fatras et les diverses surcharges et exagérations, le lien tout bête entre le cinéma et l'émotion très simple. Donc il n'a pas besoin d'en rajouter tant que ça sur ce que ça pourrait vouloir dire je pense. Et il montre sans fausse pudeur ce qui peut venir d'ailleurs.

Je trouve ça honnête, téléphoné certes mais touchant et franchement réussi. Le seul bémol serait du côté du rythme à la française, l'humour reste présent mais il faut qu'on s'attriste vers les deux tiers ! Ah il en reste de belles choses et on se relève.

Et puis il y a des beaux chiens, et des singes. En plus. Je ne m'attendais pas à trouver ce film aussi bon et aussi vivifiant

Holy Motors. Le film est envoûtant dès les premières images (la scène avec Leos Carax himself) et ne faiblit pas, jusqu'à la dernière goutte ! Je ne vais pas refaire - en nettement moins bien - tous les articles qui en ont parlé.

J'ai le souvenir que Mauvais sang contenait tous les germes de Holy Motor, ou qu'il existe un dialogue étroit entre ces deux films. Le rôle de Denis Lavant d'abord : hier jeune homme cherchant son chemin, aujourd'hui homme mûr un peu fatigué "jouant" sa vie ou vivant ses rôles, hier et aujourd'hui titillé par Piccoli ; sa fascinante course-danse reprise dans Holy Motors sur le tapis roulant, etc. Et puis : la même ambiance urbaine (Monsieur Oscar dira "les forêts me manquent"), des personnages qui sillonnent la ville dans une voiture luxueuse, des courts-métrages en noir et blanc utilisés en "interludes", le visage et la silhouette d'Edith Scob et de Carroll Brooks... et le même plaisir pour moi. J'ai eu plusieurs fois des envies d'applaudir, ce que nous avons fait à la fin du film. L' "entracte" m'a collé des frissons de joie.

Il faudrait que je revois Mauvais sang. J'ai très envie de revoir Mauvais sang.

Holy Motors est un grand moment de cinéma. (pour moi)

Et bien, moi aussi j'ai apprécié Holy Motors. J'avais vu précédemment deux films de Leos Carax, Boy meets girl (son premier long métrage) et Les amants du Pont Neuf. Et je n'avais pas vraiment été convaincue. J'ai bien fait de faire une troisième tentative. La différence entre les deux autres films du réalisateur que j'ai vus, c'est incontestablement l'humour et le second degré. Il y a une légèreté, une absence de prétention. Et le film je trouve est un formidable hommage au cinéma, sans doute le cinéma qu'il aime. J'ai trouvé particulièrement émouvante l'une des dernières images, lorsqu'Edth Scob met ce masque, on saute à travers les générations et les années.
Evidemment, il y a des approximations et des choses moins réussies, mais au final un film vivifiant.

Une absence de prétention ? Pour moi elle transparaît de la première à la dernière image. Surtout quand on connaît le personnage et ses déclarations ironiques et méprisantes à l'égard des spectateurs. Mais le problème n'est pas la prétention qui peut inspirer des œuvres géniales mais ce qui pour moi relève de la mauvaise imitation. Ses citations plus ou moins inspirées ne suffisent pas à créer une œuvre qui dépasse ses intentions. En matière d'absurde, de surréalisme ou de féerie décalée et burlesque les modèles qui l'inspirent sont tellement plus habités et excitants que cet exercice de style laborieux et un peu vain. Mais j'imagine qu'on puisse se laisser séduire par cette envie de cinéma et de fantaisie.

Tu sembles avoir une réaction quasi épidermique de rejet Marko, c'est ton droit, mais voilà, personnellement je pourrais dire quasiment l'inverse de ce que tu dis sur ce film.
Je crois d'ailleurs que tu disais quelque part, que le propre de films importants, est de diviser d'une façon extrême les commentateurs.

Il me manque beaucoup des références présentes dans le film c'est clair mais je trouve qu'il arrive à concrétiser avec pas mal de bonheur l'ambition de son discours sur le cinéma qui va de paire avec la forme qui implique des émotions cinématographiques directes. (Et l'originalité en devient très secondaire). C'est le genre de prétention que je pardonne.

En plus il a une belle cohérence dans les mélanges de périodes à l'écran : 205 avec GPS, anecdotique briquet branché, cette motion capture beaucoup plus belle que le résultat...

Pour l'exemple de la féérie, pourquoi pas, on peut lui trouver le bon goût de l'utiliser avec distance que ce soit dans l'enlèvement du modèle ou la mort à l'hôtel, ce n'est pas montré autrement que comme un artifice direct et une façon d'en montrer la beauté celle de l'artifice et celle de l'émotion recherchée qui en est la cause. Il n'y a pas besoin de discours derrière ni de gimmick trop forcé.

Arabella a écrit:

Je crois d'ailleurs que tu disais quelque part, que le propre de films importants, est de diviser d'une façon extrême les commentateurs.

Presque! Je trouve que les grands films divisent radicalement entre admirateurs et détracteurs en part quasi égales. Ce qui n'est pas le cas de Holy Motors qui a une unanimité pour lui et quelques voix discordantes. Mais je m'arrête sinon tu vas dire que je suis de mauvaise foi
Épidermique oui totalement. Je n'aime pas du tout son cinéma. Même s'il me reste en tête quelques moments intéressants dans Pola X qui lui avait été copieusement massacre par ceux qui l'ensencent aujourd'hui.

Marko a écrit:

Mais je m'arrête sinon tu vas dire que je suis de mauvaise foi

Long métrage ou assemblage de sketches ? Holy Motors prétend détenir une unité mais ne propose qu’une suite désunie de scénettes qui n’ont qu’un point commun : la récurrence du personnage principal –pas très sûr de son identité d’ailleurs puisque chaque partie est précédée par un long et ennuyeux rituel de grimage qui fait bâiller aux corneilles.

Le personnage, M. Oscar donc, serait un homme d’affaires d’un genre atypique. Ses rendez-vous le confrontent à des scènes où il se trouve souvent seul –comme lorsqu’il se grime en vieille mendiante- ou simplement en conversation avec des personnages qui ne semblent aucunement impliqués dans une quelconque situation de rendez-vous –comme lorsqu’il vient récupérer sa « fille » à la sortie d’une fête. Les neuf rendez-vous qui rythment la journée de M. Oscar permettent surtout au réalisateur de pouvoir varier les situations, les ambiances et les thèmes. En prétendant relier les sketches par un fil cohérent, Léos Carax se dédommage surtout de ne pas avoir réussi à ficeler la moindre intrigue vraisemblable. Ainsi, les scènes qui se succèdent sont trop courtes pour que le spectateur ait le temps d’y voir autre chose qu’un simple exercice spéculatif, et trop longues pour qu’il ne ressente pas presque instantanément un profond ennui l’envahir. Les situations nous tombent crûment sur les épaules. Le temps d’y comprendre quelque chose, on passe déjà au rendez-vous suivant.


Pour parer aux critiques justifiées que peut susciter son film, Léos Carax s’accorde un statut de réalisateur expérimental –en fait cache-misère pour réalisateur en manque d’inspiration, réalisateur dispersé qui ne réussit pas à concentrer son imaginaire sur une seule cause. Le résultat est un triste gâchis. On sent en effet que Léos Carax possède une vision du monde originale et qu’il ose prendre des risques dans sa façon de filmer, dans les thématiques qu’il aborde et dans les personnages qu’il met en scène, mais il ne peut se contenter de le faire simplement et on l’entendrait presque hurler, à chaque seconde du film, la supériorité revendiquée de son opinion sur le cinéma quant au reste du monde. Position si suffisante et prétentieuse que la moindre tentative de tordre le cou aux codes habituels du cinéma devient une attaque que l’on sent presque destinée à soi-même.


Passée la surprise relative à la découverte de l’univers de Holy Motors, la progression devient mécanique, répétitive, et les minutes s’égrènent lentement. On quitterait bien la salle avant la fin de la projection, mais le potentiel du réalisateur laisse espérer un retournement qui éclairerait les scènes précédentes. Rien de tel.


Holy Motors se donne les atours de l’avant-gardisme et croit que l’originalité est forcément obtuse et hermétique. Pas question de laisser la possibilité à quiconque ne serait pas Leos Carax de saisir une bribe du message que celui-ci a cherché à transmettre en réalisant son film. Manière prétentieuse d’écraser la pauvre plèbe qui vient se parquer dans les salles de cinéma. Leos Carax semble un peu trop sûr de lui, et après de nombreuses scènes grossières et ridicules, on se sent insulté à la fois pour soi-même et pour le réalisateur. Un résultat décevant dont il ne restera sans doute pas grand-chose…

Marko a écrit:

Moi c'est Carax qui me gonfle Je le trouve inauthentique et faussement inspiré.

Oui, je suis d'accord. "Faux" c'est l'adjectif qui convient le mieux à ce film. En regardant certaines scènes, j'étais embêtée... j'avais envie de dire au réalisateur "Arrête de te mettre en scène à travers ton cinéma". Tout ça me donnait l'impression de manquer de sincérité, de conviction véritable...
Pas tout au long du film, bien sûr, mais c'est un sentiment dominant.

Citation :

Pour parer aux critiques justifiées que peut susciter son film, Léos Carax s’accorde un statut de réalisateur expérimental –en fait cache-misère pour réalisateur en manque d’inspiration, réalisateur dispersé qui ne réussit pas à concentrer son imaginaire sur une seule cause. Le résultat est un triste gâchis. On sent en effet que Léos Carax possède une vision du monde originale et qu’il ose prendre des risques dans sa façon de filmer, dans les thématiques qu’il aborde et dans les personnages qu’il met en scène, mais il ne peut se contenter de le faire simplement et on l’entendrait presque hurler, à chaque seconde du film, la supériorité revendiquée de son opinion sur le cinéma quant au reste du monde. Position si suffisante et prétentieuse que la moindre tentative de tordre le cou aux codes habituels du cinéma devient une attaque que l’on sent presque destinée à soi-même.

La cause est identifiée : le cinéma de même que le rapport aux codes qu'il n'explose pas, puisqu'il longe des chemins cinématographiques balisés, c'est l'ensemble du film qui crée le recul. Peut-être un peu discursif comme procédé plutôt qu'une recherche d'intrigue (mais pas sans charme ni talent). Et du coup si je conçois qu'on n'apprécie pas le film je pense que c'est un peu à côté comme façon de gratter la plaie.

Je pense aussi qu'on lui prête à tort les volontés de l'avant-gardisme et du remue ménage sur ce film qui tient plus du retour en arrière.

colimasson a écrit:

Holy Motors prétend détenir une unité mais ne propose qu’une suite désunie de scénettes

Je n'ai pas du tout la même impression : j'y ai vu, au contraire, une belle et envoûtante continuité.

Comme quoi, "le spectateur" est un dahu moderne. Il y a plutôt "des spectateurs", non ?

animal a écrit:

Et du coup si je conçois qu'on n'apprécie pas le film je pense que c'est un peu à côté comme façon de gratter la plaie.

Et donc la plaie ce serait quoi à ton avis ?

MezzaVoce a écrit:

Comme quoi, "le spectateur" est un dahu moderne. Il y a plutôt "des spectateurs", non ?

Ben, oui, tout le monde aura compris que c'est un "je" qui se cache derrière le "spectateur"

je ne sais pas... trouver qu'il en fait trop et lui supposer trop de clés introuvables dans les références, l'abus du sketch pourquoi pas, l'abus d'imagerie d'un cinéma populaire, lui reprocher d'essayer de jouer sur deux tableaux dans ses sketchs. on peut trouver plein de choses quand on aime pas un film. même juste que ce n'est pas si expérimental pourrait être une forme de critique. tout ça étant compatible avec un besoin de dire qu'on n'est pas du tout d'accord avec le film qu'on a vu. le gratter de la plaie.

tu pourrais même refuser cette idée du film sans intrigue, le choix assumé d'arranger autrement le film, de choisir un propos à travers des moyens cinématographiques mis en œuvre, en raillant qu'utiliser la supercherie du cinéma ne fait pas tout.

et ça c'est pratique ça me permet de revenir et détourner la conversation vers d'autres films pour lesquels l'intrigue est plus ou moins secondaire et qui sont des films, des spectacles réussis et du genre à être efficaces, mettons 2001 et Tree of Life. Ils sont à leur manière très aboutis et ils sont aussi ce que j'appelle discursifs : ils essayent avec des moyens différents du texte d'approcher sons sens (résumé bancal). Mais contrepartie qui peut sembler malheureuse (c'est mon cas) ils en deviennent linéaires et monolithiques (pourquoi pas ?). Pour que ça puisse passer c'est appuyé, il y a un risque (grave) de réduction du sens, de ce qu'on peut voir. Et cette sensation fait que ça vide l'image, si on le voit comme ça. L'émotion de l'image est privée d'une substance cinématographique très primaire... que j'ai trouvée très mise en valeur sous ses diverses formes dans Holy Motors (ce que j'ai perçu comme objet principal du film à côté du rapport au temps dans l'image). Le résultat est guidé, comme dans une histoire, c'est le spectateur qui s'emballe pour quelque chose d'instantané, fort et limité (ce qui est un atout possible), ce n'est pas une démonstration plastique fermée (dont le doute apparait supprimé).

Comme ça reste pas clair je sens que je vais devoir me creuser les méninges pour la prochaine réponse.