Eva-Marie Liffner est né en 1957 à Gothenburg en Suède.
Chambre noireEd. Rivages / Noir
Chambre noire = Camera
1995-1998. Le quotidien de Johanna Hall bascule lorsque, pénétrant enfin dans l’appartement de Goteborg que lui a légué plusieurs années auparavant son vieil oncle Jacob Hall, elle y fait la découverte d’un journal codé accompagné de vieux clichés photographiques.
Jacob avait quitté la Suède durant plusieurs années pour démarrer son apprentissage de photographe au début du siècle dernier, auprès du britannique Herbert Burrows qui n’était pas seulement libre-penseur, socialiste attaché à la laïcité et qui prit part à la grève des allumettières de Bryant and May ; Burrows fut aussi dès 1889 un membre actif de la Société théosophique d’Annie Besant (2e photo) fondée par Helena Petrovna Blavatsky (1ère photo).
L’intrigue de
Chambre noire nous plonge donc à la fois, de la fin du 19e siècle jusqu’aux années 30, dans les prémisses des premières techniques photographiques et de l’éclosion d’un ésotérisme où de célèbres auteurs (Yeats, George Bernard Shaw) ainsi que Charles Webster Leadbeater (prêtre anglican et auteur théosophe), croiseront, lors d’assemblées organisées sous le toit de Madame Besant, un peuple venue des bas fonds du Londres d’Edouard VII et croulant sous le poids de la pauvreté (sans-abris, enfants des rues, marins et chômeurs…). Enfants orphelins que personne ne réclamera, vraissemblablement cloîtrés dans le grenier d’un Charles Webster Leadbeater (3e portrait) qui veut prouver par ses expériences que les corps et les âmes continuent de vivre dans les profondeurs d’un cliché photographique, aspirant à prouver par ce nouveau support l’élément paranormal….
Ce décor est posé sous la plume d’Eva-Marie Liffner dans un style d’une richesse inouïe et composé de digressions qui vous lasseront si en général vous préférez prendre la route la plus rapide pour déchiffrer une énigme.
Moi aussi, côté polar, je suis pressée et je m’insurge contre ces digressions inutiles qui me font sortir du cadre. Lorsque je suivais Wallander et ses migraines, Wallander et son taux de cholestérol, Wallander avec sa fille réparant la toiture de la maison de son père ou empêtré dans ses relations sentimentales (alors que je savais pertinemment que la structure même de l’intrigue était antérieurement dessinée et close à l’avance par Henning Mankel), ma lecture devenait ultra rapide pour ne ralentir que sur les détails-mêmes de l’action policière. Tout ce qui tend à retarder l’action et le déchiffrage d’une affaire au cœur d’un scénario fait figure, face à l’impatience du lecteur, d’une production inutile, d’un surplus dont on peut se passer et qui nous fait penser qu’un romancier à la mode ne fait que nous retarder alors que 100 pages auraient suffit et qu’il nous en a pondu 350.
Liffner fait dans le détail : des chapitres de plusieurs pages offrent de longues descriptions d’un paysage londonien qui n’a pas l’air de coller toujours au cœur de sujet.
Mais ce n’est peut-être pas tant pour combler un vide que pour juxtaposer des clichés présents sur les clichés premiers, les originaux, ceux que Jacob a livrés.
Au fur et à mesure que l’affaire s’éclaire à la lumière du laboratoire photo, Liffner emprunte des hors piste dont le lecteur aura l’impression de pouvoir se passer… mais elle le fait au même rythme que celui d'une recherche qui va permettre à la protagoniste principale d’assembler ses découvertes. Car Johanna Hall aussi est photographe :
- Citation :
- « J’aime photographier des objets en détail, avec des films à longue exposition, de l’ISO 32, ou éventuellement 25, qui donnent des images au grain fin que l’on peut agrandir presque à l’infini.
On peut aussi pénétrer à l’intérieur de la photo pour y retrouver une réalité bien précise, à l’instant du cliché. Je me suis dit parfois qu’il continue de sa passer des choses dans ces images -je ne parle pas de dégradation ni de l’inévitable décomposition chimique-, je crois que cette image de la réalité est un monde à part, avec sa temporalité propre.
Les vieilles photographies recèlent souvent des secrets.
Grâce à leur précision, elles racontent ou occultent des choses, dans la netteté ou dans la pénombre. Le bougé du photographe à l’époque demeure dans la photo cent ans plus tard ; on peut dire aussi, d’un autre point de vue, que la scène que le photographe avait sous les yeux se déroule encore sous les yeux du spectateur. L’image est une narration sans fin. Je ressors parfois de vieux clichés que j’agrandis pour voir s’ils ont changé. »
- Comment ne pas digresser sur les relents de Londres en proie à la canicule de 1905 tandis que les pas de Johanna vont se poser sur ceux de son oncle ? Comment ne pas s’attarder sur l’immeuble de Highgate datant de 1870 où avait logé le peintre Whistler et dans l’appartement duquel 100 ans plus tard une reproduction d’Hokusai (
Sous la vague au large de Kanagawa) est suspendue au-dessus du lit ? Comment ne pas shooter, lorsqu’on possède un Hasselblad grand format, ces ruelles étroites et sinueuses qui avaient été si peu pratiques pour les fiacres et les calèches? Comment ne pas entrer sur la pointe des pieds dans ce que fut le siège de la societe theosophique ?
Le roman démarre en janvier 1887 sous le titre :
Ouverture. Il enchaîne en 1995 sous le titre :
Le Voyage. Il s’agit du voyage de Johanna, Suède, Angleterre, Irlande, qui va la conduire à remonter ces années occultées dont Jacob, apprenti photographe chez Herbert Burrows, n’a jamais parlé…
Pour les fanas d'ésotérisme, une fiction mêlant l'existence réelle de certains personnages qu'on a pris la liberté de faire évoluer. Un roman non ésotérique sur l'ésotérisme.