Manon Lescaut de Puccini d'après l'abbé Prévost
La monnaie donne en ce moment cet opéra de jeunesse de Puccini dans une mise en scène du dramaturge et cinéaste
Mariusz Trelinski. La direction est assurée par
Carlo Rizzi et le rôle titre était chanté hier soir par
Eva-Maria Westbroeck.
Version très différente du Manon de Massenet créé peu de temps avant. Puccini a eu du mal à obtenir le livret qu'il souhaitait et ce dernier a été réécrit plusieurs fois. Il en résulte une oeuvre en 4 parties dont les jointures sont très elliptiques. On passe d'une situation à une autre sans transition mais c'est finalement une bonne chose qui laisse part à une dimension quasi fantasmatique potentielle. Des Grieux pouvant imaginer ou rêver cette Manon insaisissable et changeante. De fait le metteur en scène a choisi une scénographie très cinématographique qui revisite ces figures féminines énigmatiques des films de Bunuel, Hitchcock ou surtout David Lynch dont j'ai perçu bien des citations durant le spectacle.
Nous somme sur un quai de gare très stylisé dans une ville moderne. Des panneaux coulissants permettent de matérialiser une rame de métro ou de cadrer une action dans un lieu différent comme une sorte de zoom. Des projections vidéos créent une dynamique en arrière plan. J'ai trouvé ce travail plastique très séduisant à l'oeil et possédant une certaine poésie urbaine quasi onirique. L'introduction orchestrale du 3e acte permettant un moment assez magique musicalement et visuellement. Tout semble d'ailleurs rêvé par cet homme allongé sur un banc et présent à chaque scène comme témoin parfois silencieux.
Cet opéra n'a pas la force de ses oeuvres ultérieures mais il y a de très beaux moments et un climat un peu étrange qui se prête à une vision plus contemporaine ou même intemporelle.
Carlo Rizzi a formidablement bien dirigé cette musique et le plateau vocal était de qualité même si le ténor était souffrant (et donc pas au plus haut de ses possibilités) et Eva-Maria Westbroeck pas toujours à l'aise dans un registre qui n'est peut-être pas idéal pour elle. Elle forçait un peu trop dans les aigus. Il faut dire qu'elle est aussi une géniale Wagnérienne ou Straussienne (sans parler de sa Lady Macbeth de Chostakovich d'anthologie). L'ensemble était quand même de haut niveau.
Il m'a manqué un peu d'émotion car ce parti-pris d'onirisme gagne en poésie et en mystère ce qu'il perd en mélodrame.
J'ai apprécié tout particulièrement les hommages subtils à Lynch dont on retrouvait des situations et figures de Lost Highway, Mulholland Drive et même Inland Empire. Le tout parfaitement à sa place et intelligent. Un beau spectacle!